ANNETTE PRAL, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Annette Pral, votre unique préoccupation me semble être l'humain ? 

Annette Pral : Oui, mais je n'ai pas commencé par les humains, j'ai commencé par des natures mortes. Puis par les animaux, mais je me suis rendu compte que je leur donnais un regard humain ; et que, dans la nature humaine, il y avait beaucoup de choses à dire. Il y a la vérité, la nécessité de faire rêver la vérité ; donner aux gens un regard et leur faire raconter des histoires. C'est ce que j'aime dans les tableaux : peindre des histoires. Raconter l'histoire des gens que je peins. 


J.S-R. : Certains de vos personnages pourraient appartenir à notre quotidien, comme ce jongleur ou la femme qui dort. Pour d'autres, vous avez complètement fantasmé, et vous les avez traités comme des cartes à jouer. 

A.P. : Oui, pour faire rêver. C'est un autre monde. Il y a le monde "réel", et le monde virtuel, celui des rêves. Une carte à jouer est tout un symbole. Il ya le recto verso, le haut et le bas, le yin et le yang… un peu tout ce que vous voulez ! 


J.S-R. : Tous vos personnages sont conçus sur le même "moule", au point que l'on pourrait dire qu'ils sont tous parents ! Ils ont un nez assez proéminent, des lèvres un peu pincées mais malgré tout très lippues, et toujours les yeux un peu dans le vague. Ils donnent l'impression de ne jamais vraiment nous regarder. Que regardent-ils ? 

A.P. : Ils se regardent, eux ! 


J.S-R. : Vous voulez dire qu'ils sont tous introvertis ? 

A.P. : Non, ils se regardent, et ils regardent le monde du haut de leurs rêves. Les yeux sont toujours rêveurs, mais les airs sont parfois ironiques. Un peu coincés. L'air de dire ; "Moi, je regarde cela de loin, et j'en prends ce que je veux" ! 


J.S-R. : Je crois quand même que beaucoup sont introvertis : pour certains vous allez jusqu'à leur fermer les yeux. Les autres semblent passer par toutes les phases de quelqu'un qui est inactif. Se demander ce qu'on leur veut ? Ce qu'il se passe autour d'eux ? Etc. 

A.P. : Oui. Je travaille actuellement sur le thème du cirque ; en fait le thème "des cirques". Récemment, j'ai travaillé celui de la musique ; l'évasion à travers la musique, à travers le cirque… Je ne peux pas toujours trouver des symboles. Ce que je fais quelquefois sont des choses de la vie, comme ces deux personnages qui, au lieu de regarder tomber la pluie regardent tomber des bulles. Mais pourquoi pas ?  Parfois, c'est insolite.

J.S-R. : L'une de vos cartes à jouer me fait penser au film "Freaks" et je me demande si c'est elle qui est belle comme tout, mais qui a des mains complètement difformes, -sans compter qu'elle n'a que quatre doigts- où est-ce que ce sont les mains de l'homme, mais qui seraient sur les épaules de la femme ? Vous les avez  mélangés dans une sorte d'imbroglio ou une osmose ? 

A.P. : C'est une osmose ! Elle a besoin de lui, et inversement. Ils sont imbriqués l'un dans l'autre, et ne peuvent pas avancer l'un sans l'autre ! C'est le principe : le couple qui avance ensemble. C'est un jeu, c'est pour cela que ce sont des cartes. 


J.S-R. : Oui, en même temps chacun tient son cœur. On peut donc penser qu'il y a une histoire d'amour entre eux deux. 

A.P. : Oui, c'est certain. Et l'amour, quel que soit l'atout. Même dans le pique, il y a l'amour. La femme arrive à transformer une liane en quelque chose de rond, quelque chose qui peut redevenir doux. 


J.S-R. : Un autre tableau me semble plus inquiétant, parce que vous venez d'appeler une liane est pour moi un serpent. 

A.P. : Oui, il y a aussi la notion de serpent. C'est inconscient, mais on y pense forcément. 


J.S-R. : J'ai l'impression que quatre de ces tableaux du moins, sont réversibles ? 

A.P. : Oui. Il y a deux tableaux en un. Il faut savoir que j'ai accroché ces tableaux avec mon mari, qui m'a reprocher d'exagérer en mettant toutes les femmes en haut et les hommes en bas ! 


J.S-R. : C'est la remarque que j'allais vous faire !

A.P. : Je lui ai répondu que c'était "normal" ; que c'était cela, un couple ! On peut vraiment les retourner.


J.S-R. : Mais pour le trèfle, cela entraîne un changement complet, parce que la notion de danger liée à ces deux trèfles pointus en l'air, disparaît. 

A.P. : C'est dans ce sens-là que je vous dis que, dans mes peintures, j'aime bien raconter des histoires. Ce que l'on peut raconter à travers un tableau n'est pas forcément, d'ailleurs, ce que j'avais prévu au départ. Et c'est ce qui est intéressant et fascinant dans la peinture. Voyez tout ce que nous avons raconté ! Il y a toujours le rêve que je me suis fait, et celui que je fais faire au visiteur. Je ne dis pas que cela m'est égal si quelqu'un passe indifféremment, mais quand je vois qu'il sourit je suis heureuse de penser que l'histoire que j'ai racontée les a fait rêver. 

J.S-R. : Parlons maintenant de ceux que l'on pourrait dire "en perdition" ? Mais ils ont l'air de rire, ce doit donc être un faux danger ? 

A.P. : Oui. Le tableau avec les poissons rouges a été peint après un retour en bateau, au cours duquel j'ai eu très peur. J'ai intitulé ce tableau "Les belles filles en mer". 


J.S-R. : Et puis, vous avez un clown traditionnel, et lui joue avec les quatre couleurs. 

A.P. : C'est un clin d'œil sur le monde du cirque, comme je vous le disais tout à l'heure. Je vais essayer de reprendre plusieurs nuances. Et pourquoi pas le clown rêvant à son impossible petite écuyère ? 


J.S-R. : Vous êtes réellement allée dans des cirques pour étudier leurs attitudes ? 

A.P. : Pas encore, mais l'année prochaine je vais traiter le monde du cirque en parallèle avec une école de la région. Les élèves étudieront ce thème. Et je m'associerai avec eux et cela se terminera par une exposition avec eux. 


J.S-R. : Je vous pose cette question parce que j'avais autrefois écrit un texte sur le travail d'une peintre, Paule Garrigue, qui ne travaillait que sur le cirque, Elle allait sans cesse dans tous les cirques où tout le monde la connaissait, et elle dessinait in situ. C'était passionnant de découvrir son travail sur des gens qui sont toujours des espèces de mythes, pour nous. Et il semble qu'ici, vous avez mis votre propre mythe sur le mur.  

A.P. : Oui, et ce n'est pas fini, parce qu'il y a une école du cirque dans ma région, et j'ai l'intention d'aller les voir pour mieux comprendre de l'intérieur : leurs motivations, leurs joies, leur goût du spectacle. 

J.S-R. : La moins "participante" est celle qui se tient la tête en dormant. Il est impossible de déterminer si elle fait bien partie de cette bande qui se ressemble ? De plus, elle n'a pas la forme des yeux qu'ont les autres…

A.P. : Elle n'a pas le même âge. Elle est plus âgée. Je ne l'ai pas traitée comme les autres, mais je l'aime bien.


J.S-R. : En plus, elle est totalement sans défenses. Elle est insolite, parmi les autres de ce groupe qui présente une réelle harmonie. 

On peut aussi dire que vous avez de très belles couleurs. Il n'y a aucun hiatus dans tout ce que vous avez présenté.  

A.P. : Merci ! 


      J.S-R. : Je vais en venir maintenant à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

A.P. : Non, je trouve que vous êtes parfaite ! Je suis ravie que vous m'ayez questionnée sur les tableaux. Et ce que vous avez vu dans mes tableaux me convient tout à fait. C'est bien ce que j'avais voulu dire. Et j'ai envie de continuer à peindre !


ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.