CATHOU, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Cathou, peut-on dire que vous êtes entourée d'une galerie de portraits ?

Cathou : Oui. De personnages.

 

J.S-R. : Personnages un peu spéciaux, ayant tous de gros nez, de gros yeux. Quelquefois, même avec des ailes. Vous êtes donc dans un monde complètement fantasmé ?

C. : Un monde imaginé ; avec des personnages dans des situations complètement inventées. En particulier par rapport à leur corps ou à l'espace.

 

J.S-R. : De l'espace, vous ne leur en donnez pas beaucoup !

C. : Non ! Ils sont souvent très coincés dans leur cadre.

 

J.S-R. : Cela peut-il suggérer que vous souffrez d'enfermement ? Que vous les faites souffrir d'enfermement ?

C. : Le mot "souffrance" me paraît exagéré, mais disons que j'aspire à respirer, et je pense que c'est ce qu'ils traduisent.

J.S-R. : De plus, ils n'essaient jamais de transgresser les limites de ces espaces restreints. Ils se sont bien serrés et, à en juger par leurs yeux, ils se sentent tout à fait à l'aise ! Sauf l'un d'eux qui est en train de crier, comme si cette situation ne lui convenait pas.

C. : En fait, elle est en train de chanter. Mais parfois, le rictus peut être confondant entre la souffrance et le chant. Le cri et le chant. La personne en volume sort en effet du support.

 

J.S-R. : Elle est pratiquement la seule à avoir une bouche. Tous les autres sont réalisés en semi-plongée, et on ne voit pas leur bouche. Pourquoi, en plus de les enfermer, ne leur mettez-vous pas de bouche ? Les privant ainsi de la parole.

C. : Ils sont donc silencieux. Mais ils n'ont pas l'air tellement en souffrance. Ils ont des bonnes joues. Je pense qu'ils n'ont rien à dire, c'est pourquoi ils n'ont pas de bouche. Ils ne passent pas par les mots, seulement par le regard.

 

J.S-R. : Cependant, j'en vois deux qui ont réussi à introduire un oiseau. Serait-ce parce que, finalement, cet espace si serré serait ouvert ?

C. : En tout cas, ils auraient le désir de s'envoler. Un peu comme le papillon ou l'oiseau. Ou une chauve-souris. Ou les hirondelles… Il y a donc bien, je crois, le désir de s'envoler ?

 

J.S-R. : Lorsque vous avez donné un peu d'espace à vos personnages, le fond est visible. Or, ce fond, vous l'avez travaillé comme des patrons de couture.

C. : Ce sont des patrons de couture collés. Des feuilles de livres. Des papiers peints. Des partitions de musique.

 

J.S-R. : Est-ce à dire que, dans ce lieu si fermé dont, la plupart du temps, on ne voit pas le fond, ils auraient une vie intellectuelle ? Ils vivent ainsi au milieu des livres, au milieu d'activités quotidiennes ? Comme la couture, etc.

C. : Je ne sais pas si "intellectuel" est le mot. Mais ce serait leur univers. En tout cas, ce qui les entoure. Et cela m'inspire. Je trouve un lien entre le fond et les personnages. Qu'ils soient dans la couture me semble évident. Et puis, si vous vous approchez de ce qui est écrit, vous verrez que c'est un livre de morale. "Comment faire lorsque l'on est parent ? Enfant". Comme cela se faisait dans les années 40. La musique est liée au chant… C'étaient des vieilles pubs de radios des années 60.

 

J.S-R. : Sur certains tableaux, vous avez ajouté une toute petite pastille. Je suppose qu'ici, c'est l'auteur de ce livre de morale ? Ailleurs, c'est une bobinette de machine à coudre. Cela veut-il dire que vous avez réalisé des doublons avec le fond que vous avez mis ?

C. : Doublon non. Mais prolongement, puisque c'est une cannette avec un fil qui sort de la toile. Pour moi, c'est un prolongement. Le titre continue à raconter l'histoire.

J.S-R. : Il me semble plutôt que sur l'œuvre où vous avez mis des patrons, la cannette indiquerait que vous êtes "en train" de coudre ! Coudre ce qui est sur la femme, plutôt que le découdre.

C. : Oui. C'est une tentative de couture.

 

J.S-R. : Donc, elle serait en construction ?

C. : Tout à fait. En essayage.

 

J.S-R. : Ce petit roi, avec sa figure à moitié éclairée, que fait-il ?

C. : Il est en train de découvrir un trésor contenu dans une toute petite boîte. Un trésor illuminant.

 

J.S-R. : Mais le spectateur ne peut pas voir le trésor ?

C. : Non, à lui de l'imaginer !

 

J.S-R. : Vous employez très peu de couleurs. Surtout des gris ou des bruns. Avec un petit peu de vert, mais un vert éteint…

C. : Et un petit peu de rose. Il est vrai que j'aime bien les couleurs patinées. Je crois que cela participe du côté un peu désuet, bricolé, avec tous ces éléments de récupération auxquels je donne une seconde vie.

 

J.S-R. : En assemblant ainsi tous ces personnages, est-ce que vous voulez créer une généalogie ?

C. : Oui. C'est tout un monde. Ce sont "mes" personnages. Ils vivent autour de moi. Je trouve qu'ils se ressemblent beaucoup. C'est donc la déclinaison d'une famille.

 

J.S-R. : Il y a longtemps que vous peignez ?

C. : Il y a une dizaine d'années.

 

J.S-R. : Et vous vous êtes toujours intéressée à ce genre de portrait ? Ou êtes-vous passée par des période différentes ?

C. : J'ai fait du spectacle vivant. De la marionnette. J'ai une compagnie de marionnettes qui s'appelle "Le poisson soluble". Et je me suis toujours intéressée aux personnages. J'ai vraiment du mal à peindre autre chose.

 

J.S-R. : En somme, vous faites bouger vos marionnettes ; et en compensation, vous enfermez vos personnages ? Vous avez donc deux mondes ?

C. : Voilà !

J.S-R. : Et vous faites vous-même vos marionnettes ?

C. : Oui, tout à fait.

 

J.S-R. : Pourquoi n'en avez-vous pas apporté quelques-unes ?

C. : C'est vrai, j'aurais dû. J'ai même un livre illustré que j'aurais pu montrer. Mais j'ai tout oublié !

 

J.S-R. : Comment êtes-vous arrivée dans l'Art singulier ? Ou bien êtes-vous à Banne pour l'Art d'aujourd'hui ?

C. : Je ne sais pas trop ce que sont l'un ou l'autre ! Mais peut-être que je me sens plus "Art singulier" ? Je me sens bien avec les artistes Singuliers qui sont ouverts sur l'imaginaire ; avec un côté très spontané. Mais j'ai beaucoup de mal à me définir dans une catégorie !

 

J.S-R. : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

 C. : Non, je crois que nous avons fait le tour de mes personnages.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.