NADINE VERGUES, sculptrice

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

*****  

Jeanine Smolec-Rivais : Nadine Vergues, quand je suis entrée dans votre lieu, j'ai vraiment eu l'impression que votre travail était de la terre ! Or, je viens de vous entendre dire que c'était du feutre ! 

Nadine Vergues : Du feutre, oui ! 


J.S-R. : Comment transformez-vous l'apparence de ce feutre, pour donner l'illusion de la terre ? 

N.V. :  Ou du fer, ou du bois ! Ce sont les adjonctions de matières plastiques sur le matériau de base. Et le fait que je travaille vraiment la matière. A l'origine, le feutre est noir absolu ! 


J.S-R. : Ces adjonctions de plastique, ce sont les parties grises ? C'est du plastique liquide? 

N.V. :  Non, ce sont des morceaux de plastiques que je trouve et que je fais fondre à la chaleur. Des emballages, etc. 


J.S-R. : C'est pour cela qu'on ne voit pas de différences de reliefs ? 

N.V. :  Oui. 


J.S-R. : Certaines de vos œuvres sont tout à fait humanoïdes. D'autres me semblent un agglomérat ! Pour l'œuvre qui est à côté de nous, que font-ils ? Sont-ils à la fenêtre ? 

N.V. :  Peut-être. Il y en a même qui vont sauter, se suicider ! 


J.S-R. : Ce n'est pas gai ! 

N.V. :  Ce n'est pas le but ! C'est comme on veut ! Ils racontent une histoire ; moi, j'ai mis la mienne et celui qui regarde crée la sienne… 


J.S-R. : Mais quelle est la vôtre ? 

N.V. :  Je ne le dis pas, pour n'induire personne en erreur…


J.S-R. : Moi, j'ai vu des personnages à la fenêtre, mais ce peut être différent. Comme tous vos personnages regardent du même côté, on pourrait se dire qu'il regardent par exemple un défilé dans la rue ? 

N.V. :  Oui, pourquoi pas ? C'est une version. 

J.S-R. : Par contre, vous avez sur une de vos œuvres, une tête qui supporte plusieurs personnages. 

N.V. :  Ce sont les chimères que l'on a dans la tête, les fantasmes… 


J.S-R. : Je crois qu'ils sont lourds à porter ! 

N.V. :  Oui. 


J.S-R. : Quels qu'ils soient, vos personnages ont tous l'air plus ou moins durs ! En particulier, celui où vous parlez de chimères. Est-ce parce que leurs fantasmes ne sont que pénibles ? 

N.V. :  Moi, je n'ai que des beaux fantasmes. 


J.S-R. : Un autre personnage semble sur le point de pleurer ? 

N.V. :  Oui, je le crois aussi.


J.S-R. : Pleure-t-il de chagrin ? Ou de souffrance ?

N.V. :  Je n'en sais rien ! 


J.S-R. : Pourquoi a-t-il le visage fissuré ? A-t-il été agressé ? 

N.V. :  Peut-être est-il né ainsi ? En même temps, c'est ce qui fait sa fragilité. Je trouvais que c'était cette grande fissure qui créait l'émotion sur le visage. Il pleure. Il est "marqué" ! La vie l'a marqué.


J.S-R. : On pourrait donc dire qu'il est handicapé ? 

N.V. :  Le pauvre ! Il devrait vous toucher !


J.S-R. : Il me touche, mais en même temps, tous me mettent un peu mal à l'aise, parce qu'ils ont l'air d'être en auto-défense ! 

N.V. :  Oui, c'est possible. Je crois que quand je fais une sculpture, je la fais comme je peux, et je ne maîtrise pas forcément ce que les gens vont y voir ! 


J.S-R. : Certains de vos personnages sont infiniment travaillés, très sophistiqués. A d'autres, vous n'avez pratiquement pas touché. Et l'ensemble propose des visages tout à fait contrastés. Heureux ou malheureux. Est-ce que cela vous convient ? 

N.V. :  Oui. Je dirai que c'est juste la vie.


J.S-R. : Vous dessinez aussi. C'est de l'encre de Chine ? 

N.V. :  Oui, de l'encre sur zinc. 


J.S-R. : En le regardant au départ, seules paraissent des parties grises. Qui semblent abstraites. Ensuite, il faut fouiller dedans pour y distinguer les petits personnages qui n'apparaissent pas tout de suite. 

N.V. :  En effet. Il faut attendre un peu, et au bout d'un moment ils apparaissent. Et quand on en distingue un, celui d'à côté apparaît et ils sortent petit à petit. 


J.S-R. : Vous allez peindre cette plaque des deux côtés ? 

N.V. :  Non. Après je vais faire des trous pour pouvoir l'accrocher. Mais je veux le laisser un peu brut.


J.S-R. : Parfois, ces minuscules apparitions une grosse tête avec des cheveux et des mains qui deviennent immenses… Est-ce que ces mains enlacent quelqu'un, ce qui serait dans la logique des fantasmes que vous avez évoqués ? 

N.V. :  Oui ? C'est possible ! Vous voyez, c'est ce que je vous ai dit : On ne maîtrise pas toujours ce que l'on fait ! 

J.S-R. : Et ce personnage, comme sur vos sculptures, est complètement fendu en deux. C'est le chemin de la vie qui traverserait pratiquement tout le tableau ? Sinon, quel sens lui donnez-vous ? 

N.V. :  C'est peut-être l'ambiguïté de la vie ? Toujours deux côtés : le blanc/le noir, le bien/le mal…


J.S-R. : En même temps, c'est peut-être un fleuve ? En tout cas, quelque chose qui coule.et qui arrive dans la tête du personnage plus bas… 

Votre création n'est pas simple ! Elle est même très psychanalytique ! Finalement, c'est très beau… 

N.V. Mais on voit bien, au final, qu'elle ouvre la porte à de nombreuses histoires. Ce qui est bien, c'est lorsque votre histoire se rajoute à la mienne, et que cela en génère encore une autre ! Cela part dans tous les sens ! 


J.S-R. : Mais votre création n'est d'aucun lieu défini…

N.V. :  En effet.


J.S-R. : Ni l'espace temps ; ni rien de sociétal ou sociologique. Rien ne nous indique où et quand peuvent vivre ces personnages que vous êtes en train de créer. 

N.V. :  Peut-être juste dans la tête ? 


J.S-R. : Ce seraient donc les fantasmes que vous évoquiez précédemment, que vous auriez sortis ? 

N.V. : Peut-être. 


J.S-R. : A ceci près que les personnages sculptés sont raboteux, rêches, tirés au cordeau ; alors que les personnages dessinés sont tout en nuances formelles.

N.V. :  Parce que je pense que, du fait d'être sur du zinc, apparaissent des nuances qui sont douces. C'est beau de travailler tous ces gris. 


J.S-R. : Et par ailleurs, sur cette plaque, je vous défie de trouver un angle droit ! 

N.V. :  C'est plus en rondeurs, en effet ! Mais peut-être l'un compense-t-il l'autre. Encore une fois, on n'est pas monolithique ! Quand je travaille de cette façon, il est clair qu'il n'y a pas d'angles. 


J.S-R. : Mais c'est curieux de voir comme vous trompez votre monde ! Je rentre ici en voyant de la terre qui est… du feutre. Puis je vois du papier qui est… du zinc ! Je trouve une plaque dessinée abstraite… dans laquelle vivent tout plein de personnages !Vous avez une façon de travailler le matériau qui est un vrai détournement. 

N.V. : Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tellement le matériau, en fait. Ce qui m'intéresse, c'est l'émotion que l'on doit ressentir, quel qu'il soit. Je fais du feutre, mais je pense que j'aurais pu travailler la terre ou tout autre matériau. Ce n'est pas le matériau qui est important, c'est ce que l'on en fait, ce que l'on donne à voir.  


J.S-R. : Vos matériaux sont donc aléatoires ? 

N.V. :  Mes matériaux sont à ma disposition. Ceci dit, depuis dix ans que je travaille le feutre, si je voulais travailler la terre ou le fer, il faudrait que je réapprenne, que je recommence à maîtriser ces nouveaux éléments. 


       J.S-R. : J'en viens maintenant à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

       N.V. :  Non, tout va bien ! 


ENTRETIEN REALISE DANS LA MAIRIE DE SAINT-PAUL LE JEUNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.