BARBARA MORIN, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Barbara Morin, je trouve votre monde tout à fait primitif, très naïf : êtes-vous d'accord ? 

Barbara Morin : Oui. Tout de même, peut-être pas aussi naïf que vous le suggérez ? Tout dépend de ce que vous appelez "naïf" ?


J.S-R. : Il me semble naïf par la présence des personnages et leurs attitudes. Et, en même temps, par la façon de les peindre. 

B.M. : Oui, effectivement.


J.S-R. : Mais cette définition n'a rien de péjoratif ! 

B.M. : Plutôt que "naïve", je préférerais "peinture paysanne".


J.S-R. : Je les ressens comme "naïfs" parce qu'il me semble que c'est le monde de l'enfance ?

B.M. : Tout à fait ! Oui, effectivement. Mais on voit aussi paraître des couples, qui peuvent paraître enfantins. Mais pas forcément, il y a aussi des femmes. Des mères, avec leur enfant… 


J.S-R. : Dans la plupart des cas, vos personnages ne sont pas seuls. L'une d'entre eux l'est pourtant. Et vous avez marqué "A affirmer", comme si elle n'était pas sûre d'elle-même et qu'elle soit par exemple, en train de chercher quelqu'un ? Etes-vous d'accord avec cette impression ? 

B.M. : Oui. Il y a quand même quelques filles seules. Car mon travail est assez féminin, je fais beaucoup plus de filles que de garçons. Pour ce qui concerne plus particulièrement cette petite fille-là, mon intention était plus d'exprimer un sentiment, la colère…


J.S-R. : C'est pourquoi elle a des yeux si perçants ? 

B.M. : Plutôt furieuse, avec l'idée d'une colère bien affirmée. 

J.S-R. : Tous vos personnages sont très lippus ! Pourquoi ? 

B.M. : Effectivement ! Pourquoi ? Je n'en sais rien ! Sans doute parce que j'aime les lèvres bien pulpeuses ? 


J.S-R. : Vous présentez tous vos personnages sur des fonds non signifiants, et en plus leurs vêtements sont sans âge. On peut donc dire que culturellement; historiquement, socialement, géographiquement, ils ne sont pas connotés ?  

B.M. : Oui, on peut dire ainsi. De temps en temps, il y a un paysage de nature d'enfant, mais rarement. De temps en temps, il y a quelques montagnes, parce que je viens d'une région montagneuse. Mais il n'y a jamais de perspective. 


J.S-R. : Vos cinq femmes debout sont des Africaines ? 

B.M. : C'est un tableau que j'ai intitulé "Les copines", donc pas forcément africaines. 


J.S-R. : Ce qui me faisait supposer cela, ce sont leurs lèvres particulièrement lippues, et leurs chignons ! 

B.M. : C'était sans doute pour symboliser qu'elles sont copines parce qu'elles ont des points communs ? Des copines qui font de la danse ensemble, par exemple, d'où le chignon. Qui se ressemblent mais sont en même temps différentes. Dans leurs vêtements… Comme un groupe d'appartenance, en fait. 


J.S-R. : On ne peut pas généraliser, mais si on considère vos couples, ils ne se regardent pas ! Et quand ils se regardent, on a l'impression qu'ils ont un masque sur le visage. Mais en fait, chaque personnage est janiforme ! 

B.M. : Je les ai divisés en deux. Ils représentent un couple qui s'est fâché, et qui se réconcilie. La partie bleue est la partie contrariée, fâchée, donc ils se tournent le dos, et la partie blanche est la réconciliation. Ils sont quand même censés se regarder, mais effectivement… 


J.S-R. : En fait, vous avez là deux scènes réunies en une ? 

B.M. : Oui, c'est cela ! 


J.S-R. : Ce qui les rend janiformes ! Ce tableau-là est un peu spécial. Parce que pour les autres, l'une danse et son conjoint semble lui faire une scène. Là, on est dans une scène unique. Et, pour la plupart, il en va de même. 

B.M. : Oui, ils sont tous un peu particuliers. Evidemment, je ne fais pas toujours de la même façon. Même dans les visages, les yeux ne sont pas tous semblables. J'aime bien explorer différentes façons de faire. 


J.S-R. : Beaucoup, en particulier ceux qui sont seuls, regardent vers vous. Est-ce bien vous qu'ils regardent ? Ou est-ce le visiteur ? Comment interprétez-vous leur regard ? 

B.M. : Je ne me suis jamais posé cette question ? 


J.S-R. : Mais avez-vous le sentiment qu'ils vous rendent votre regard ? 

B.M. : Oui, pour une bonne partie d'entre eux ! Pas forcément tous, certains ont un peu le regard dans le vide ! Mon intention consciente n'était pas forcément qu'ils me rendent mon regard ! Mais il est vrai que, dans tous mes tableaux, le regard est très important ! Je le travaille beaucoup.


J.S-R. : D'ailleurs, tous ont les yeux très grands. Le contraste entre le blanc et le noir –parce que tous ont les yeux noirs !- est très important. 

Par contre, vous avez plusieurs façons de faire vos personnages. Certains sont très linéarisés, certains n'ont pratiquement pas de cou, d'autres ont des cous très longs : comment décidez-vous que vous allez leur donner tel ou tel aspect ? 

B.M. : Je ne décide pas forcément d'emblée parce que je ne sais jamais à l'avance ce que je vais faire. Je commence par jeter des formes, puis je les retravaille jusqu'à ce qu'une forme qui me plaît apparaisse. Je n'ai pas d'intention au départ, de leur donner une forme, si ce n'est que je sais qu'ils vont par exemple être tout en longueur ; à moins que j'aie envie d'occuper le tableau d'une autre façon, mais rien n'est jamais précis.

Je réalise avec vous qu'en effet, il y en a beaucoup qui n'ont pas de cou ! Les enfants, surtout ! Mais il est vrai que les bébés sont tellement rondes qu'ils n'ont pas vraiment de cou ! Et puis, j'ai plusieurs façons de faire mes personnages. 


J.S-R. : Une chose est évidente, en tout cas, quand on arrive à votre espace, c'est que vous aimez la couleur !  

B.M. : Oui. J'aime les couleurs franches et vives. 


J.S-R. : Votre stand est certainement le plus coloré de toute l'exposition. J'imagine que, dans votre atelier, avec tout ce petit monde autour de vous, vous devez parfois avoir envie d'un fond beige ? Ne vous arrive-t-il jamais d'avoir envie de les quitter ? 

B.M. : Je n'ai pas trop ce ressenti, mais je me suis aperçue que les visiteurs ont des réactions très fortes face à mes tableaux. Soit ils adorent, soit ils ne supportent pas, parce que c'est trop coloré ! Les avis sont toujours très tranchés. Mais, pour moi, si je mets autant de couleurs, c'est que je les supporte plutôt bien ?  


J.S-R. : Parlons un peu d'un autre tableau, très réaliste, complètement différent des autres ! Pourquoi est-il là, est-ce pour montrer que vous pouvez peindre autrement ? Ou, comme diraient les enfants, voulez-vous  montrer que vous pouvez peindre "pour de vrai" ? 

B.M. : Je ne sais pas trop ! Les personnages sont venus spontanément. Je ne le trouve pas tellement réaliste ! Le corps est tout de même un peu bizarroïde ! En fait, je l'ai fait à partir de journaux déchirés, et j'ai donné corps après. Il est peut-être un peu moins brut que ceux d'à côté ? 


J.S-R. : Oui, tout à fait. Ce n'est pas du tout la même facture. Malgré tout, l'ensemble de vos œuvres est naïf, bon enfant, plein de tendresse. Le visiteur a l'impression que vous devez passer des heures dessus, à les peaufiner ! A composer ces non/décors, ces non/vêtements, et ces personnages tellement présents ! 

B.M. : Oui, c'est vraiment mon sujet : révéler des personnages qui me semblent déjà être là, et que je ne fais que révéler, finalement ! 


J.S-R. : Venons-en à ma question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

B.M. : Non. Sinon que j'ai envie de faire une peinture humaniste, qui parle des relations humaines, de l'amour, de la tendresse mais aussi des relations de tensions, la maternité dont je n'ai pas apporté beaucoup de toiles, Ce sont mes thèmes préférés. 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.