NANCY VAN REETH, dessinatrice

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"Mon corps est une histoire,

Sur lequel de simples mots posés,

Lui donne un éclat, qui le pare,

De toute sensualité …." Barjini nini Heyno (¹)

          Chacun sait que, pour donner à leur création le maximum de puissance, parvenir à la plus forte expression, les dessinateurs accentuent les signes, les rythmes, jusqu'à ce que l'œuvre donne l'impression d'une explosion, de vibrations mettant en valeur le moindre détail.

          Tel est le cas de Nancy Van Reeth. Dirait-on qu'elle est portraitiste, elle qui, à l'infini, présente des personnages dont les têtes tiennent la plus grande partie du support ? Non ! Mais qu'elle crée des portraits imaginaires, certes ! Peut-être pas aussi imaginaires qu'il le semble, d'ailleurs, car toutes ses créatures sont des femmes, des femmes jeunes pour la plupart, et tellement similaires qu'il est à se demander si, finalement, ce ne sont pas autant d'autoportraits ? 

          Qu'à cela ne tienne, quelles sont donc les caractéristiques des "femmes" de Nancy Van Reeth ? Leur place, pour commencer : Toujours seules, au milieu du tableau, se détachant parfois sur un fond noir ou gris ; mais la plupart du temps, le fond disparaît au profit d'une chevelure opulente, aux cheveux longs, bouclés, étalés, entrelacés, se resserrant autour du visage dont ils épousent étroitement la forme, en accentuant encore la minceur. 

          Les visages, alors ? Quelle que soit la posture de la femme, ils sont tous des hexagones surallongés, formant un front haut et pointu et un menton aigu sous lequel s'étire un cou filiforme démesuré (comme l'étaient naguère les cous des personnages de Bernard Buffet). La bouche généreuse, bien dessinée traverse le visage. Le nez n'est qu'un trait vertical se terminant par l'arc des sourcils gauches, l'arc droit se raccordant au premier. Pas de pommettes. Des yeux clos d'où pendent trois traits (des pleurs ? Des rides ?...) Comme si toutes ces femmes étaient introverties, centrées sur elles-mêmes, sans savoir qu'un monde extérieur existe !  

          Et les corps ? Ils sont très souvent inexistants, sans même le cou, ou alors il est caché par les cheveux dont les extrémités sont déjetées sur la gauche. (²). Parfois, ils descendent jusqu'aux hanches. Dans ce cas, la femme est de face, statique, et le spectateur peut alors se rendre compte à quel point les silhouettes de Nancy Van Reeth sont longilignes, avec leurs épaules étroites, leurs seins menus, leurs amorces de bras fins. Lorsqu'ils sont entiers (ou presque), aucune ligne ne dessine leurs contours, ils n'"existent" que par l'omniprésence des cheveux qui les encadrent. Le visage reste alors de face, mais le tronc est de profil, comme pour mettre en valeur leur galbe parfait, leur élégance idéale. Beaucoup sont nus, mais s'ils sont vêtus, ils le sont de collants ultra-moulants, de shorts hyper-courts, de robes du soir épousant leur minceur… Dans ce cas, ils sont "en mouvement" -même si leurs yeux demeurent clos-: tendus vers l'avant, courant, dansant… ou simplement allongés sur une chaise longue ! 

La Belle au bois dormant
La Belle au bois dormant

          Tout de même, parfois, l'artiste devient illustratrice de poèmes, de contes, et la connotation de ses personnages change. Ainsi de "La Belle au bois dormant" allongée à même le sol, couverte d'une robe ressemblant étrangement aux replis d'un intestin, tandis que, de sa taille, jaillit une giclée de sang projetant son cœur et supportant la bulle qui contient un fragment de l'histoire ! Nancy Van Reeth donnant dans le macabre ? Mais la plupart du temps, celles qu'elle a baptisées ses "drôles de Madames" (allusion peut-être aux drôles de dames de la célèbre série ?) sont coquettes lorsqu'elles ne présentent que leurs têtes, ornées de bijoux ; voire de longues cornes incongrues ; ou érotiques lorsqu'elles se présentent dans leurs vêtements/peaux, leurs bas à jarretelles, les mamelons de leurs seins ornés d'étoiles… ! 

          Et il faut en venir aux titres, tous féminins (Vanessa, Mona, Yahia, etc.) car l'homme n'existe pas dans le monde de cette artiste ! Mais certaines sont aussi fées, sirènes, "filles vaudou", et shamans (du vent, de l'automne, de la nuit, aux serpents, etc.) ce qui, après coup, donne à penser que leur introversion ne sert qu'à entrer en contact avec les esprits, (lesquels ?) mais puisque le sens de ce mot est aussi "celui qui sait", "celui qui bondit, s’agite, danse", voilà éclairci le mystère de leur mise en mouvement !  

 

          Ainsi, lorsque l'on considère le côté prolifique des créations de Nancy Van Reeth, peut-on imaginer la patience, l’application, la minutie qui sont ses qualités principales ! En même temps, n'est-il pas évident que la présence exclusive de femmes, la récurrence de leurs similarités, de ce qui pourrait n'être qu’une seule et même œuvre qui se multiplie et se décline à l’infini, donnent à cette créativité une caractère obsessionnel ? Mais Voltaire et Jean-Jacques Rousseau ne nous rappellent-ils pas que le créateur a "la nécessité d'un ailleurs qui est un monde intérieur, celui du rêve et de l'imaginaire et dans le même temps d'un retrait de la vie matérielle" ? (³) Nancy Van Reeth au milieu de "ses" Madames, peut-elle penser au quotidien ? 

Jeanine Rivais

 

(¹) Ce poème a été illustré par Nancy Van Reeth.

(²) A gauche du personnage, donc à droite pour le spectateur.

(³) Philippe Brénot : "Le génie et la folie en peinture, musique, littérature". Editions Odile Jacob.

Illustration du poème ci-dessus
Illustration du poème ci-dessus

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2016 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.