S- KIFART ET LES YEUX

***** 

" Les yeux sont faits pour effacer ce qui est laid. " 

 Raoul Dufy

Si l'on pense à la multitude d'adjectifs qualifiant l'"œil" ou les "yeux" et à l'infinitude de citations s'y rapportant ; et si l'on se dit que "leurs modes d’apparition dans le texte" mais aussi dans les tableaux et les photographies, "et les effets qu’ils y produisent sont si nombreux et variés"… on en vient à la suggestion de l'écrivain Liliane Louvel qui a proposé "le concept d’"iconotexte" pour rendre compte de cette entité hybride qui entremêle dispositifs discursifs et dispositifs optiques et dont il s’agit d’étudier la poétique singulière".

          Alors, lorsqu'elle affiche, seul au milieu d'un mur, un tableau ne comportant que des yeux, quel sens S-Kifart leur donne-t-elle par rapport à ses autres oeuvres qui représentent des personnages eux-mêmes aux gros yeux globuleux, exorbités, voire complètement hors de leurs orbites, hors même de l'idée d'orbites, puisqu'ils se retrouvent fixés sur les têtes comme, au bord de la mer, on voit les coquillages soudés aux rochers ! 

          Il faut dire que, quelles que soient les créatures qu'imagine l'artiste, elles relèvent plus de la science-fiction que de l'ordinaire terrestre ! Individus sans corps, à six pattes fixées à une énorme tête sans cou ; lèvres épaisses, tordues, découvrant des dents démesurées ; nez absent ou surgissant au-dessus des deux yeux, se prolongeant jusqu'au-delà du crâne en des sortes de tentacules. Ou avec seulement une amorce de jambes, des petits êtres très mobiles, striés de noir et blanc, émergeant dans ce cas, incongrus, de leur corps massif... Ou encore "Cyclope" mural, l'œil vert agrippant le regard du visiteur, avant qu'il ne se porte sur la bouche pincée, les nombreux tentacules et les personnages dansant au hasard du visage.

          Par ailleurs, en quelle matière sont conçues ces petites créatures ? Il semble bien qu'il puisse s'agir de papier encollé, parfaitement lissé, et couvert de peintures aux formes acidulées.

 

          Que de mystères, en somme, dans la démarche de S-Kifart (pour ne rien dire de son nom bizarre !). Alors, cessons de chercher quel sens donner à ces yeux multiples. Qui sait si elle ne leur dédie pas uniquement un rôle décoratif ? Renonçons à essayer de deviner sur quelle planète sont nés ces petits individus étranges ! Et contentons-nous du plaisir intrigué de nos… yeux… à les regarder vivre ! 

Jeanine Rivais 

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2016 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.