STEPHANE GILLAIN, peintre et dessinateur 

 ET SON QUOTIDIEN  DE MORTS-VIVANTS

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Certains dessinateurs dérangent, en toutes circonstances, parce qu'ils se moquent des travers d'un tel ; d'une mode, d'une manie, etc. D'autres, traduisant avec gravité leur anthropomorphisme ont, lors des dramatiques événements survenus en France et en Belgique, amplifié leurs "témoignages", foncé de toute leur énergie et leur cœur vers des œuvres encore plus tragiques qu'à l'habitude ! Stéphane Gillain, lui,  ne se moque pas, il dénonce. Il n'amplifie pas, il médit à hauteur paroxysmale d'une civilisation avec laquelle il n'est pas en conformité ! En conséquence, comment pourrait-il aller vers "plus" d'horreur, accroître la puissance de ses œuvres puisque cette dénonciation se développe au quotidien ? Que ses individus taillés à coups de serpe, jetés sur le matériau comme des cris d’alarme, qui pourraient être autant d’autoportraits cabossés par le mal de vivre ; sur lesquels il travaille instinctivement… sont autant d’évolutions, de rythmes qui lui conviennent, d’enchaînements qui le font rêver, le sortent de cette vie qui suscite son déplaisir et sa colère.

Il n'accorde, de ce fait, aucune indulgence à l'aspect de ses personnages : des êtres au physique de morts, même s'ils présentent une dynamique de vivants : Et, parce qu'il connaît sans doute l'anatomie sur le bout de son pinceau, il en joue sans vergogne, peint des squelettes ambulants, des morts-vivants, en somme ! Ils sont chauves, aux lourds crânes excessivement bombés, dents démesurées, mentons carrés. Ils sont tous borgnes, la prunelle de  l'œil "actif" mi-ouverte, méchante ;  l'orbite atrophiée recouverte d'un cache noir ou décoratif. Le nez creux triangulaire, la bouche absente… Nus, leurs côtes saillent. Sinon, leurs corps/vêtements sont noirs. Parfois, des cornes pointues partent des deux côtés de leur tête. Quelques-uns ont une grande oreille… Donc, même s'ils ne parlent pas, ils entendent. D'ailleurs, ils ont des sentiments aussi, à en juger par celui qui, sur son pull-over noir arbore un cœur tout vert ! Ils ont des bras, mais ont-ils des jambes ? Si oui, elles ne sont jamais visibles. Leur absence expliquerait qu'ils soient tous dans une posture statique. 

D'ailleurs, souvent, ils sont réduits à de simples crânes, dressés, inversés, tête bêche… Comme si, finalement, cet élément était le seul indispensable dans l'univers de cet artiste, d'où leur récurrence dans ses œuvres. 

Crânes ou corps, ils sont intemporels, le décor dans lequel tous évoluent n'ayant aucune connotation de temps, d'espace, de milieu social : Il est constitué de coulures, de géométries variables ou ronds multicolores, de grandes taches roses ou bleu fluo…

         Parfois, lassé peut-être de toute cette couleur qui envahit son espace, Stéphane Gillain se fait dessinateur. Chacun sait combien le dessin est puissant car il court-circuite la pensée et la réflexion, trouble le spectateur. Les siens ne manquent pas à la règle. Sur fond devenu signifiant (ici un alignement de maisons ; là, vues du centre d'une pièce, une fenêtre qui atteste de leur intérêt pour l'extérieur, et une chaise paillée suggérant qu'ils aiment se reposer !) Ses personnages sont incisifs, gris bleuté sur gris. Si les têtes demeurent des crânes à l'instar des peintures, leurs organismes sont complets ou à peu près. Et ils sont vêtus. 

          Par contre, ils ont d'étranges fréquentations ! Quel est cet individu insolite qui suit l'un d'eux, à crâne humain encapuchonné, mais à oreilles pointues dressées au-dessus de la capuche ; et à longue queue annelée, traînant au sol comme une troisième jambe ? Un allochtone, assurément ! Alors, les créatures dessinées de cet artiste seraient-elles des mutants ? En train de réveiller leur civilisation moribonde ? Ou au contraire de la regarder s'éteindre ?  Aucun élément culturel ne permet de trouver la clef ! 

Un problème demeure : Où sont les femmes dans le monde de Stéphane Gillain ? A moins que l'idée de sexe n'ait jamais traversé les crânes de ses personnages, elles semblent de prime abord totalement absentes de ses œuvres ! Mais leur auteur se défend de toute misogynie, et affirme qu'un regard approfondi révélera de longs cils courbés et maquillés, ici ou là le profil d'un sein... qui attesteront de leur existence. Ce qui est réconfortant, "en ces temps où les femmes sont bien présentes dans tous les secteurs de la vie sociale, tous les champs de réalisation phallique qui, auparavant, leur étaient fermés : le savoir, le pouvoir, les biens, les amours..."(¹) ! Finalement, il serait incongru d'affirmer que même dans sa civilisation de remplacement, ce sont  les hommes qui règnent seuls sur la terre ! 

 

 Ainsi, masculines ou féminines,  les  créatures de Stéphane Gillain sont-elles de nulle part et de partout, de nul temps et de toujours ; de nulle chapelle et de toutes oppositions ; de nulle complaisance et contre tous les stéréotypes ! Témoignant à l'évidence qu’il les met sur la toile pour soulager son propre mal être !

           Il s’agit, en tout cas, d’une œuvre forte, sincère, réalisée avec la fausse naïveté d’un artiste soucieux de styliser ses personnages pour mieux dire l’essentiel ; d’une grande contemporanéité malgré l’atemporalité évoquée plus haut… 

Jeanine Rivais

(¹)"Les femmes sont-elles asociales ?" de Jeanine Pirard-Le Poupon

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2016 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.