Plus que toutes choses, clef de voûte de cette iconographie très intuitive, il semble bien que Tim, empêché de fréquenter l'école à cause de la méchanceté des autres élèves, et parce qu'il était incapable de suivre les cours, ait appris quelques rudiments grâce à ses oncles et tantes qui l'ont élevé.  Et que, montrer qu'il savait écrire ait été l'une de ses préoccupations.

          A en juger par les multiples pages de "textes" ("fo pas oubé toton", "fa fa qom sa pas tou sel"…), il faisait des efforts considérables pour exprimer ses problèmes ou ses réflexions. Et, à voir les images où il classait ses biens personnels, il était très méthodique ("☆és a po"),  (les sabots)

          Parmi ses multiples dessins, Tim a réalisé des centaines de "portraits" et "autoportraits" de face, pris en buste à la manière des photos d’identité. Le seul portrait dont soit sûr le spectateur est celui réalisé par une de ses aides qui le représente ainsi : visage carré, crâne demi-chauve, moustache, oreilles collées à la tête, une légère ride au front, sourcils bien dessinés yeux vifs, nez épaté, bouche plutôt petite, légèrement de travers, chemise un peu chiffonnée ; dûment encadré, orné d'arcatures et de quelques lettres et pictogrammes de Tim. Il semble que ce portrait soit "ressemblant", puisque tous les autoportraits de Tim s'en approchent, sauf la bouche qu'il dessine toujours large, souriante. Et ainsi, s'est-il tout au long de sa vie, représenté avec seulement sa tête, au milieu de fioritures ; bras en l'air torse poilu ; de la tête aux genoux, en short, un mouton sur les épaules ; en bermuda, tablette appuyée sur son ventre pour montrer qu'il sait lire ; allongé sous sa couverture poitrine nue… Et puis, attestant qu'il ne souffrait d'aucun tabou, Tim nu, proposant à qui veut le voir, le caressant, bandant ou en triste posture, mais toujours visible même avec Tim de dos, son sexe naissant au milieu de son ventre bedonnant, et qui, à en croire nombre d'évocations figurant dans ses relations du quotidien, a dû tenir une place importante dans sa vie !!

          Quant aux portraits de famille, ils sont les témoins de l'existence et du rayonnement de ce paysan et attestent que ses souvenirs ont été intenses. Et le visiteur attendri, mêlé d’un brin d’admiration et de scepticisme, un peu apitoyé en même temps devant cette naïveté, voit Tim avec son calot militaire côte à côte avec une "petite amie" (celles-ci semblent avoir été nombreuses et variées, douteuses parfois). Une autre portant sur ses épaules une sorte d'appareil, qui se retrouve nue, avec une fleur entre les jambes pour prouver que Tim connaissait bien cette partie de l'anatomie féminine. Une encore, dont seuls les seins sont visibles, etc. 

          Finalement, il semble que Tim ait été un joyeux drille, manifestant son humour en tirant la langue (au spectateur ?) mais c'est "pouR-RIR ! Et, dans sa démarche protéiforme, sans obligation d’unité, son humour introduit ici une petite touche drôle, là une parodie jubilatoire, ailleurs, un clin d’œil, une complicité.

          Mais Tim sait aussi se montrer aimant, lorsqu'il dessine sa maman (décédée) protégeant et tenant dans ses bras l'irremplaçable "mou mouRRjam" ; ou immortalise "le toRRchon de mou mou RRe jam" (cette Moumour Jeanne qui, dans d'autres évocations semble avoir été sa tante) qu'il place à côté et de la même taille qu'elle, vêtue d'une belle robe décolletée ornée de petits oiseaux, une chevelure opulente et des ailes d'ange. Sans doute, ce sont ces ailes d'ange qui, dans un autre dessin l'amènent à affirmer sans voir le double sens que présente l'image, que "li fe déqouvRRiRR le siel à mou mou RRjam" !!

          Car, l'érotisme (sans faire dans la dentelle) semble bien avoir été un trait de caractère de Tim : à tour de rôle, ce sont "a la mou R tata totom craq craq" ; Tim qui fait des galipettes à côté d'une femme allongée couverte de tatouages ; Tim qui goûte les délices issus de son sexe ; ou qui s'attriste du fait que "mou mouRR jam e paRRtii". 

          Il y aurait sans doute bien d'autres traits de caractère à tirer du testament inopiné de Tim, sa gentillesse assurément, sa bonhomie... Comment ne pas admirer, malgré sa naïveté, une telle constance à raconter son histoire ? Ne pas s’attendrir en pensant à cet homme fruste, confronté à la barrière de la culture, du langage et de l’orthographe, consacrant sa vie à la partager avec autrui, bien que se heurtant probablement aux scepticismes les plus divers ? Ce personnage qui, incapable de s’arrêter, a couvert des milliers de pages, de dessins infiniment beaux, riches, surprenants, présentés parfois sur des bandes de papier de plus de dix mètres de long, recto verso ; et de "dits" complètement libérés de tout souci de techniques ou de conventions ! Et, c'est un régal pour les yeux du visiteur, avant même d’avoir perçu l’"histoire" portée par ces réalisations, de regarder ces plages de couleurs tendres et ces formes aux détails souvent compliqués. Mais lors d'une seconde approche, il se demande comment, avec des traits aussi rudimentaires, ce créateur (car Tim en fut un), parvenait-il à traduire tant de nuances de caractères et d’humeurs, allant de petites joies, d’amour, à des expressions (rarement) de tristesse… ? Cette question n’appelle en fait aucune réponse car cet autodidacte était incapable de se préoccuper du moindre "effet" spectaculaire ou factice : il dessinait, tout simplement ! Ainsi a-t-il été l’auteur prolifique d’un travail obsessionnel, dont la répétitivité et l’immutabilité, la charge psychologique sont d’emblée perceptibles ! Cette œuvre, conçue avec une si grande spontanéité, une discrétion tellement marquée, n’a peut-être jamais libéré Tim de l’angoisse et de la souffrance nées de la conscience sans doute très forte de sa "différence" ; mais elle lui a permis de les accepter sans agressivité. Avec une évidente honnêteté et une grande modestie. Aussi, sa création si talentueuse continue-t-elle de susciter chez ce spectateur, une vive admiration et subséquemment, une intense émotion !

           Alors, ne méritait-il pas la part de lumière posthume qui lui est accordée ? 

Jeanine RIVAIS