Depuis si longtemps que des photographies “rencontrées” épisodiquement témoignaient de la persistance du rêve de Jules Mir, il “fallait” profiter d’une semaine à Lyon, pour aller visiter son jardin !
Mais, pour y parvenir, il a fallu, aussi, accomplir une peu agréable progression le long d’une ruelle bordée de poubelles, traverser une ébauche de jardin totalement anonyme, commencé par la ville de Lyon au milieu des H.L.M. qui cernent celui de Jules Mir ; passer devant des tinettes égales à la connotation du mot ! Enfin, écrasé de soleil, éclatant de couleurs, le jardin était là, minuscule espace fleuri qui mériterait infiniment mieux que cet environnement !
Pourtant, au début, la magie n’a pas joué : Enervement de cette arrivée marquée du sceau du vulgaire ? Trop de bruit de visiteurs, d’enfants se bousculant ? ... Et puis, soudain, les intrus partis, il était bon de se trouver -enfin !- seul dans ce jardin lilliputien ; se concentrer sur la démarche de son créateur ; essayer de l’imaginer tendu vers un seul but : aller bien au-delà de la médiocrité de son existence, se dépasser pour créer un lieu de beauté. Il était soudain bon de rêver parmi ses arbres monolithiques, tendant vers le ciel leurs branches pétrifiées et tronquées ; contourner ou lever les yeux vers ses colonnes faites de galets de rivières teintés et de pierres de l’Ardèche ; ses tables “brodées”, nostalgiques de leur hôte ! Et partout, des milliers de coquillages, coquilles Saint-Jacques, escargots blanchis par le temps, prélevés naguère dans des poubelles de restaurants, soigneusement nettoyés et patiemment collés un à un, constellant les murs de fleurs, d’étoiles, au fil de vingt années de recueillement, de volonté d’accomplir un voeu, continuer jusqu’à la mort cette oeuvre à la fois onirique et de dévotion.
Qui était donc ce Jules Sens-Mir dont le jardin de 400 m2, peuplé de plus de 100 000 coquilles, a été sauvé par une association créée par ses amis ; et est devenu depuis 1987, propriété de la ville de Lyon ? Né en Espagne en 1913, d’une famille de maçons, il fut maçon lui-même. Il s’engagea dans les Brigades de l’Armée républicaine, côtoya Malraux... Venu en France, il s’installa à Lyon où, en 1951, atteint d’un cancer, il fut hospitalisé. Il resta trois ans et demi à l’hôpital, au cours desquelles il se fit la promesse de réaliser, s’il guérissait, “quelque chose de beau”.
Ce sera ce jardin, dédié à sa mère, Rosa Mir. Lieu insolite, réalisé sans plan préconçu, avançant au gré de sa fantaisie, croisant d’allées et de minuscules massifs de fleurs, les éléments minéraux érigés au prix d’un travail opiniâtre, et avec la ferme intention de réaliser un chef-d’oeuvre.
Le Dieu de Jules Mir a-t-il senti, comme dans la solitude le ressent le visiteur cheminant au milieu de ses étranges topiaires ; a-t-il compris, contemplant le jardin, la sincérité de cet ex-voto si original, fait de délires spirituels et d’agencements rigoureux ? Quelle que soit la réponse, à sa mort en 1983, ce jardinier de l’Absolu pouvait, son oeuvre accomplie, partir la conscience en paix. Car, outre l’aspect mystique d’une telle création ; outre une conception qui a fait, à son propos parler d’Art rupestre ou d’Art-rocaille, le jardin de Jules Mir demeure, dans ses modestes proportions, un haut lieu de poésie et, ce que n’avait certainement pas prévu cet artiste d’une oeuvre unique, un haut lieu de l’Art brut !
Jeanine Rivais.
LE JARDIN DE ROSA MIR :
83, Grande rue Croix rousse. 69004. LYON.
Merci à Bernard Pilorgé pour le don de ses photos.
CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 61 DE NOVEMBRE 1997 DU BULLETIN DE L’ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.