Comment définir les œuvres de Günter Neupel, sinon comme des “écritures” picturales fantasmatiques d’un “auteur” pour qui la vie a trop souvent été chienne, traduisant des rêves sériels sur des thèmes aux formulations à la fois variables et répétitives, mais tournant autour de l’homme, avec détails récurrents ?

          C'est qu'ils sont là, ses petits compagnons, parfois seuls ou côte à côte, simples visages avec une amorce de torse, leurs chevelures plaquées au crâne ou gonflées striées et crénelées au-dessus des yeux, cachant le front ; les pommettes ornées de petits symboles ; les oreilles absentes, comme si le visage en gestation devait naître centré sur lui-même, n’avoir pas vocation à "écouter" l’extérieur (ce que contredisent les yeux en amande dépourvus de pupille, fixés justement sur le spectateur, d’où un paradoxe a priori) Et puis, presque rien… Un nez, épaté, filiforme, en V, en triangle inachevé, marqué d'un simple trait curviligne, quasi-réaliste parfois… Et la bouche dont les jeux de formes (bée en large O, pincée en deux lèvres lippues…) lui confèrent des nuances d’humeurs et de caractères, allant de joies menues à des étonnements peut-être… dubitatives souvent, ou bon enfant... Car il s’agit chaque fois pour Günter Neupel, avec ces traits rudimentaires, cette grande spontanéité, cette discrétion, cette immutabilité absolue, cette absence radicale d’effets spectaculaires ou fictifs, de rendre perceptibles à l’instant, leurs états psychologiques.

          Est-ce l’instinct grégaire qui les place ainsi ? Sont-ils, néanmoins, si égocentriques qu’aucune place n’est dévolue à d’autres, dans leur cadre ? Sont-ils de purs esprits, que nulle connotation sociale, géographique, temporelle, ne permette de les situer, d’imaginer pour eux la moindre vie hors de ce cadre ; ni entre eux la moindre relation ? Ont-ils le sentiment d’être universels ? Sont-ils, en somme, les mille facettes subjectives d’un unique individu qui serait, pourquoi pas, leur géniteur : Günter Neupel et ses multiformes (mais combien "similaires") alter ego ? 

 

Mais la plupart du temps, subsiste certes la proximité, mais dans leur entièreté physique, ils sont en fait séparés par un infime trait noir ou une fine guirlande ascendante : conçus de pied en cape, ils ont l'air d'être chacun dans son jardin ! Ils sont alors entourés de minuscules plantes étranges poussées sur de petits tertres de verdure, voire d'arbres entiers déployant leurs branches… Parfois, ce sont même les personnages qui deviennent plantes, une tête s'épanouissant alors au sommet d'une tige, la simplicité et le détail séduisant l'œil ; ou qui deviennent des sortes d'Horus égyptiens, quand le visage est remplacé par une tête d'oiseau ! Au gré des fantaisies de l'artiste, ils se retrouvent, tel des gymnastes, bien droits, pliés en deux ou cul par-dessus tête ; à cheval sur deux autres ; les bras en l'air comme en prière ; ou bien crucifiés exprimant le même air penché que Jésus ; ou encore minuscules, réduits à l'état de simples pictogrammes ! Tandis que tout autour de chacun vogue ici un bateau sur les vagues ondulées ; là volètent des cœurs, des étoiles ; s'enroulent des nuages spiralés qui emplissent le moindre espace. Et puis les animaux, multiples, qui partagent leur solitude, la plupart appartenant à des races inconnues : quatre longues pattes raides et corps tatoué, carapace de tortue et tête de vache avec cornes, coq au sommet d'un arbre, oiseau pépiant ailes éployées sur un dos complaisant, etc.

          Tout ce petit monde conçu, en dépit de tous les questionnements, avec tant de certitude, que chaque élément est chantourné sans hésitation d’un unique trait de pinceau ou de stylet, sans qu’il soit possible d’en déterminer le point de départ : Et il revient au visiteur de découvrir pas à pas, les infimes symboles qui se cachent derrière cette apparente répétitivité.

 

          D'autant que, chemin faisant dans le monde de Günter Neupel, chacun se demande s'il s'agit de villes, puisque toutes les œuvres proposent des étagements. Et chaque étage est conçu dans le même esprit, mais représente des scènes particulières où tous les personnages semblent masculins, les seules transgressions étant des visages féminins plaqués sur deux étages à la fois, leurs longs cheveux ondulés encadrant leurs figures introverties, aux yeux clos ! Tout ce qui implique une "séparation" (planchers, plafonds, murs…) est réalisé en si fines lignes ; les éléments humains, animaux ou végétaux sont tellement filiformes que le visiteur s'exclame et se demande comment même à cette toute petite échelle, l'artiste parvient à saisir et reproduire les détails les plus infimes et les rendre si immédiatement lisibles ? Ainsi, avec ses miniatures délicates et minutieuses, le peintre lui offre-t-il une immersion dans son monde imaginaire dont textures, couleurs, formes, appartiennent incontestablement au micro-Art !

          Et puis, peut-être par un retour à son enfance, Günter Neupel sépare souvent ces étages par des frises composées de petites formes géométriques semblables assurément à celles qu'il réalisait alors sur son cahier à la fin de sa journée d''écolier. Si petites ! Et pourtant, tout est là, (comme dans l'œuvre entière d'ailleurs), le sens inné de la couleur ; l'art d'apposer en teintes douces, les ocres et les jaunes, les bleus et les violets légers, en des plages parfaitement équilibrées, tous motifs identiques ou au contraire variantes inattendues. 

          Et par ailleurs, comme pour faire bonne mesure, la plupart des œuvres sont entourées de demi-cercles aux multiples arceaux concentriques qui, à la fois ornementent le tableau, et isolent la scène comme pour en garantir l'intégrité !  

 

Ainsi, le peintre procède-t-il en une sorte de carcan monolithique, répétitif, obsessionnel même, comme si explosaient alors ses propres nostalgies et ses angoisses, son besoin de participer du monde, de fantasmer sur son quotidien universel. Pourtant, nul militantisme ne vient ouvertement rompre son expression aussi littéraire que picturale, puisque souvent il ajoute des écritures, parfois des textes entiers, des poèmes exprimant ses états d'âme… Et la poésie née de l’expression sans hiatus du "vécu" de Günter Neupel et de son "dit", exprime les états psychologiques de cet artiste chez qui le besoin viscéral, la volonté de peindre s’accrochent à ses personnages comme à des bouées libératrices. Quel âge a donc cet artiste, qui dessine ainsi de façon si naïve ses “mondes imaginaires" miniaturisés ? L’âge, sans doute, où le talent aidant, un créateur peut s’amuser sans complexes de l’étonnement et la perplexité suscités par ses œuvres où sont étalées au grand jour ses intimités cérébrales... en des fantasmagories situées entre réalisme et illusion... leur floribondité servant de contrepoints à son mal-être existentiel.

Jeanine RIVAIS

Il fait nuit

Quand les étoiles dansent,

Et la lune pâle chante sa chanson muette,

Alors je suis tout silencieux.

Et sans dire un mot j`attends calmement l`heure prochaine.

Et ce qui va arriver

Alors je n`ai plus l`intention de changer le monde

Et j`accepte ma vie comme elle est.

Alors l`heure devient éternité

Et je suis si calme

Alors ma chambre est immense comme l ́univers

Et tout est bien.

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Le jour du vent

 

Je voulais écrire sur mon trajet en train,

dans lequel je me sens étranger,

et je me sens si étrange comme dans un film de science-fiction.

Je voulais écrire sur cette ville,

laquelle est si étrange et folle.

Je voulais écrire sur cette humanité folle,

laquelle encore est pleine de guerre et violence, comme il y a mille ans,

et laquelle n`a rien appris de nouveau pour vivre en paix, malgré les connaissances scientifiques,

malgré les arts, toutes les pensées et la philosophie.

Je voulais écrire sur ma visite à mon ami malade.

Mais maintenant j`écris tout autre chose.

C'était beau de regarder par le train,

comment le vent emportait les nuages, tel qu`il emporte déjà pour des milliers d`années.

C'est beau de sentir le vent en face et sentir sa puissance.

Il y a des tempêtes violentes, qui nous effraient, nous les hommes.

Un tel vent n`était pas aujourd`hui. Aujourd`hui il y avait en effet un vent fort, mais agréable.

Il me faisait sentir la puissance de la nature.

 

Nous, les gens, nous n`avons pas vaincu le vent.

Le vent souffle comme avant temps impensable.

Il souffle à travers nos villes et emporte les nuages,

et ne se soucie pas de nous, les hommes.

Le vent ne prend pas soin de nous.

Comme nous, les hommes, le faisons.

Il fait seulement cela, qu`il fait toujours, il souffle.

Déjà hier soir le vent s`est rafraîchi.

C`était un vent de l`ouest.

Lequel venait de la mer.

Le vent apportait de la pluie,

dont la nature avait un besoin urgent.

Et il poussait autour de notre immeuble

et secouait la porte du balcon.

Maintenant, comme il fait nuit,

le vent est toujours là,

et je désirais, qu`il emporte les pensées stupides de nous, les hommes,

comme il emporte les nuages.

NEUPEL