CREATION POPULAIRE EN MAYENNE

"La face cachée de l'Art contemporain"

GUSTAVE CAHORO / PATRICK CHAPELIERE / CENERE HUBERT / RAYMOND LEMEE

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           A plusieurs kilomètres encore de Sainte-Suzanne en Mayenne, le voyageur commence à apercevoir tout en haut de la colline, les tours et toitures d'ardoises du château. Qui vont se précisant à mesure qu'il approche, jusqu'au moment où il se trouve au sein même de ce lieu d'histoire. Lequel a été magnifiquement aménagé et prévu pour des manifestations artistiques diverses. En particulier l'ancienne bergerie, devenue galerie d'expositions.

          Au cours de l'été 2018, La CNS, Création Naïve et Singulière, association mayennaise, -dont le Président est Jean-Louis Cerisier, le trésorier Jean-Luc Mady, et l'animateur Michel Leroux, collectionneur d'Art brut et Art singulier-, obtient l'autorisation d'investir cette bergerie, présentant quatre créateurs autodidactes, authentiques marginaux, soucieux pendant des décennies, de dessiner ou sculpter à l'infini, embellir leur vie, en somme. Deux d'entre eux, toujours vivants, continuent leur création, sans se préoccuper de plaire ou même tout simplement de montrer ; étonnés, même, de l'intérêt qu'ils suscitent ! Tandis que les deux autres s'en sont allés porter sous d'autres cieux leurs imaginaires tellement poétiques !

          (Les biographies sont de JEAN-LOUIS CERISIER et de MICHEL LEROUX qui connaissent parfaitement les œuvres de ces quatre artistes, et ont connu ou connaissent les artistes eux-mêmes. Merci pour leur aide).

GUSTAVE CAHOREAU

 

          A la mort de son père, ce petit paysan ayant atteint la quarantaine, commence à ramasser des pierres et des racines aux formes étranges et les sculpte au gré de sa fantaisie. Jusqu'au jour où l'instituteur du village lui offre un livre sur l’Art Nègre. Révélation ! 

          A partir de ce moment, vont se succéder (présentés dans l'exposition) pendant des décennies des totems creusés dans des bois de récupération (chevrons, rayons de roues de charrette, etc.). Et puis des femmes africaines, la plupart de profil, en format carte d'identité. En fait, il faudrait presque dire "une" femme africaine, tant est évidente la proximité entre les œuvres successives. Visages aux lèvres lippues, nez épaté, front bombé, gros chignon ou récipient en équilibre au sommet de la tête. Naissance de la poitrine pendante, (d'avoir sans doute trop longtemps été comprimée par le châle qui transportait l'enfant ? ). Et puis, lorsqu'il s'aventure dans une anatomie complète, la femme se retrouve enceinte, son ventre lourd posé sur des jambes courtes, à demi-pliées. 

          Mais l'homme est présent, également, dans la création de Gustave Cahoreau, et il est parfois de face. Ses traits sont moins négroïdes que ceux de la femme, mais son cou est puissant, ses oreilles très décollées, ses yeux ronds et brillants. Et sa chevelure épaisse dépasse la largeur de sa tête, à moins qu'il ne s'agisse d'une coiffe plantée au milieu de son front ?

          Les années passant, l'entrée en maison de retraite, et la santé de Gustave Cahoreau ne lui ont plus permis de continuer à sculpter. Il s'est alors vraiment lancé dans le dessin au feutre ou au pastel. Dès lors, homme ou femme, le personnage a changé. Il ou elle sont de face, la chevelure relevée en deux pointes ou couverte d'un énorme chapeau. Les yeux en amande sont immenses, traversant tout le visage, semblant aller jusqu'aux oreilles ! Les narines du nez toujours épaté, sont béantes. Au bas du cou, les épaules sont inexistantes, et les bras en croix partent de la jupe ou du pantalon, car le tronc n'existe pas non plus ! Ils ont bien cinq doigts, mais le nombre de phalanges est variable. Et chaque main tient ce qui par endroits peut ressembler à un minuscule crucifix, à d'autres moments à une fleur. Les hommes ont aux pieds des bottes à éperons, mais les femmes sont dépourvues de jambes ! 

          Et souvent, outre la signature il transcrit de son écriture maladroite mais tellement volontaire, des messages inattendus, comme la copie d'une publicité pour du thé, ou des  maximes telles que "HERITIERS DE LA FOI BATISSANT BATISSONS L'AVENIR", etc.

          Une œuvre d'une rare cohérence, tellement diverse malgré l'apparent côté répétitif des œuvres ; pleine de poésie et de plaisir créatif.

Jeanine RIVAIS

 

          BIOGRAPHIE : Fils d'ouvrier agricole, Gustave Cahoreau naît le 16 août 1929 à Néau en Mayenne. Une maladie infantile vient perturber sa croissance cérébrale. De son court passage à l'école communale, il ne garde aucun souvenir excepté celui du dessin : "J'étais champion !". Il a dix ans lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate ; elle le traumatisera durablement. Dès l'âge de treize ans, il est placé comme domestique dans les fermes de la région, emploi qu'il occupera toute sa vie. En 1963, son père meurt accidentellement. C'est à cette période qu'il commence à ramasser et sculpter des pierres et des racines aux formes évocatrices. Il approche alors de la quarantaine et la nécessité de créer ne le quittera plus.

          Les sculptures de Gustave ont pour thèmes les animaux, mais aussi des têtes humaines. En 1965, l'instituteur de son village (Jublains, en Mayenne) lui offre un livre sur l'Art nègre. Il commencera alors une grande production de totems sculptés dans du bois de récupération (chevrons, rayons de roues de charrettes, etc.). Plus tard apparaissent les nombreux profils de femmes (africaines ?). Le dimanche matin, les sacoches de son vélo pleines de sculptures, il aimait se rendre au village et distribuer ses "statues" aux habitants contre un paquet de gâteaux ou un café. Hélas, de nombreuses sculptures sont parties en fumée...

          Au printemps 1986, Madeleine Lommel et Michel Nedjar, fondateurs de la Collection d'Art brut,  L'Aracine (Racine de l'art) découvrent ses créations. Ce sera le début de la reconnaissance du travail de Gustave par les musées d'Art brut en France, mais aussi en Suisse. (¹)

               En 1998, Gustave entre dans une maison de retraite. Il lui est plus difficile de sculpter le bois. Il va alors se lancer dans le dessin. Dans la solitude de sa chambre, avec ses feutres et ses crayons de couleurs, une profusion de "Bonhommes au chapeau", de "Profils de femmes", de "Chats", de "Papes" va voir le jour.

             Qui est ce bonhomme hautement chapeauté ? Qui est cette femme aux lèvres charnues et aux cheveux en chignon ? "Ché pas". Nous ne le saurons donc jamais ! Gustave n'aime pas parler de son travail. Il ne comprend pas que des amateurs s'y intéressent. Lui-même ne porte guère attention au dessin qu'il vient de terminer. Son unique objectif est d'en refaire un autre. Il est dans l'émotion de Faire. Attitude assez fréquente chez les auteurs d'Art brut. Ils ne sont pas dans un art de parade mais dans un art de nécessité. Gustave Cahoreau est de ceux-là !

                                                                     Michel Leroux, avril 2018.

(¹) Le travail de Gustave Cahoreau est présent dans les collections du musée du LaM à Villeneuve d'Ascq, du musée de La Création Franche à Bègles, du musée de La Fabuloserie à Dicy, des musées d'Art Brut de Montpellier et de Lausanne en Suisse.

 

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PATRICK CHAPELIERE 

 

          Quelle surprise pour le visiteur qui, entrant dans la salle d'exposition, se trouve de but en blanc devant les œuvres charmantes de Patrick Chapelière ! 

          Celles à l'encre, noires sur blanc, d'abord, gentilles petites souris aux longs poils drus, entourés de touffes de plumes (!!) qui pourraient, à apercevoir ici un œil, là une minuscule patte… être des oiseaux en train de s'ébrouer, ou ce qui semble parfois être la queue empanachée de quelque indescriptible écureuil ? Ou oiseaux aux plumes délicatement ciselées, penchant mélancoliquement la tête, au visage perdu dans un ébouriffement de plumets, debout au milieu d'un véritable parterre de fleurs finement ouvragées. 

          Et puis, celles en couleurs ; de jolies couleurs mêlées de noir qui les fait vibrer : souris encore, mais personnalisée, cette fois, avec une jupe longue à volants, grosse boucle à la ceinture, immenses oreilles qui, paradoxalement, pourraient être ornées de plumes ; ou chouette plus vraie que vraie : toutes deux accompagnées chaque fois de papillons morphos, voletant autour d'elles. 

          Et puis, ici et là, une fillette vêtue d'une robe aux airs folkloriques, d'où dépassent deux mignonnes chaussures pointues. Le visage très rond aux grands yeux maquillés, à la bouche menue, est surmonté d'une épaisse chevelure brune ; tandis que ses mains disparaissent dans une collerette à… plumes. 

          Idyllique, donc, ces animaux et ces fillettes qui se succèdent sur les cimaises. Sauf que…cette chevelure admirable ressemble plus à des poils animaliers qu'à des cheveux "humains"… Que les yeux tout ronds, verts et  brillants de la souris, ceux plissés de la chouette, n'ont rien de "gentil", finalement, aucun sourire ne les éclairant… Que le bec de l'oiseau réduit à une sorte de longue pointe ressemble plus à une arme qu'à un bec picorant !!! Et que toutes les huis du château tout décoré soit-il,  sont closes ou couvertes de barres suggérant qu'en vain les angelots voletteront-ils autour, aucune belle princesse ne les accueillera ! 

          Alors, le monde de Patrick Chapelière est-il un monde charmant, plein de douceur, de gentillesse ? Ou faut-il aller au-delà des apparences, et penser que pour lui la vie n'est pas forcément un long fleuve tranquille ? Peut-être un peu des deux, au gré de son imaginaire ? J.R.

 

 

BIOGRAPHIE : Patrick Chapelière est né le 3 juin 1953 à Champfrémont, en Mayenne. Il est issu d'une famille modeste et nombreuse. Son père était menuisier. Sa mère, femme au foyer, exerça, pratiquement jusqu'à la fin de sa vie en 2014, la charge de guérisseuse auprès des malades de sa contrée et de l'ouest de la France. Scolarisé jusqu'à l'âge de quatorze ans, Patrick apprend ensuite le métier de pâtissier, activité qu'il exercera pendant de nombreuses années. Il devient alors cuisinier pour une collectivité. Il terminera sa carrière professionnelle dans une entreprise de conditionnement de CD. Il profite maintenant de sa retraite en pratiquant deux occupations : le jardinage et la création artistique.

Vers l'âge de cinquante ans, suite à un problème de santé et à une longue période de chômage, Patrick commence à peindre. Il évoque ainsi ses premiers pas : "Le premier tableau que j'ai fait, je n'avais pas de pinceau. Je l'ai fait avec un coton tige". Son voisin et ami, ancien pâtissier comme lui, l'artiste alençonnais Joël Lorand, va l'encourager. Il lui donnera des pinceaux puis des crayons de couleur qui vont l'amener à la pratique du dessin. Le soir, et plus particulièrement l'hiver, il se met à l'ouvrage. Il développe une œuvre inventive, empreinte d'une grande sensibilité. Ses thèmes favoris : les fleurs, les animaux sauvages, sont en lien avec la campagne mayennaise qui est son environnement quotidien. Des architectures imaginaires telles que des églises et des châteaux font aussi partie de sa thématique. Il s'en explique ainsi : "J'aime beaucoup la nature, mais il faut faire des choses inventives. Sinon, autant prendre une photo".

          Au premier regard sur son travail, nous avons l'impression d'entrer dans un monde paradisiaque : la végétation y est luxuriante, les biches gambadent entourées de papillons multicolores. Mais un regard plus attentif nous met face à une autre réalité, celle d'une nature sous haute tension : les pattes de ses oiseaux ont de longs ergots acérés, ses papillons ont de grands yeux inquiétants, ses gueules de lézards laissent échapper de longues langues fourchues. Parfois même, un grand couteau genre poignard vient se glisser dans ses compositions. Patrick connaît bien la vie des animaux avec leurs luttes impitoyables. Et que dire de cette force qui se dégage de ses bouquets de fleurs ? Comme devant une peinture de Séraphine Louis, plus connue sous le nom de Séraphine de Senlis, nous éprouvons un sentiment d'étrangeté.

          D'année en année, les créations de Patrick Chapelière évoluent vers une manière faussement naïve. "Quand je commence un dessin, je ne sais pas ce qui va arriver. Ça vient tout seul. Et quand j'ai fini, je me demande toujours si c'est moi qui l'ai fait". À la lecture de cet aveu, pouvons-nous parler d'art médiumnique ? Patrick Chapelière serait-il un passeur d'images guidé par des forces surnaturelles ou des esprits ? Ses dessins chargés d'énergies nous renvoient à l'art magique. N'oublions pas que sa mère, par des prières, guérissait les corps. Les compositions florales de Patrick Chapelière ne guériraient-elles pas les âmes ?

Michel Leroux, avril 2018

Le travail de Patrick Chapelière est présent dans différentes collections publiques dont le Musée de La Création Franche à Bègles, le Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne à Paris, la collection ABCD (Art Brut Connaissance et Diffusion) à Montreuil.

 

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CENERE HUBERT 

 

          Céneré Hubert était bien loin des choix de vie du moine mayennais dont il perpétuait le nom, et qui finit sa vie dans la solitude et l'austérité ! Car ce créateur a beaucoup travaillé en extérieur, créant et ornant le portail de son jardin, les communs qui entouraient sa maison, et même le moulin à vent apparemment fait main !  Le tout dans toutes les nuances de roux mêlés de blancs, qui donnaient à son environnement des airs joyeux et bon-enfant.

           Mais à Sainte-Suzanne n'étaient exposées de lui que des œuvres en deux dimensions : des œuvres surprenantes par  le choix des supports, couvercles de gazinières, caissettes de supermarchés, plaques de zinc provenant de vieilles gouttières, toutes surfaces planes, en fait, susceptibles de lui permettre de reproduire les animaux dont il était l'ami ! 

          Et sur ces surfaces, quel sens du mouvement : du cheval au galop, au cerf en plein élan, au sanglier fuyant la meute, à la cigogne perchée sur son nid ou au canard et la bécasse picorant au bord d'une mare… chaque gestuelle est parfaitement dessinée, les herbes dûment dérangées, les fleurs couchées par le passage des sabots, etc. Et puis, des saynètes finement dessinées, avec le coin de la maison arrondi pour laisser passer l'eau du ruisseau, l'oiseau mort couché sur le dos, l'ombre de l'éolienne… tout cela entouré de bois de sapins, de fleurs : la vie paysanne en somme, et le moment intime où le visiteur peut imaginer Céneré Hubert penché sur son support, réfléchissant à rendre très exactement ce qui l'a impressionné dans la journée !   

          Par ailleurs, cet autodidacte était un véritable coloriste, sachant faire se côtoyer les bruns et les verts, avec parfois des nuances un peu floutées sur certains animaux, comme aux murs des grottes préhistoriques peut les admirer le visiteur.

          Une œuvre très personnelle, à la fois vieillotte, intemporelle, et tellement vivante ! J.R.

 

 

BIOGRAPHIE :  L'Eden recréé (1910-2001). Hubert est né dans le village de Saint-Ouen-des-Toits en Mayenne. Fils de maréchal-ferrant, il a repris l'affaire de son père. Plus tard il passera au métier de forgeron. On ne saurait affirmer si son caractère solitaire et fuyant était lié à une nature misanthrope ou si Céneré a été à jamais marqué par la cruauté et la violence éprouvée dès l'enfance auprès de ses pairs. On a du moins appris de sa propre bouche, qu'il avait perdu un œil lors d'une bagarre dans la cour de récréation. Pour le reste, seule sa compagne a pu recevoir ses rares confidences. 

          L'âge de la retraite venu, sa compétence professionnelle s'est muée en activité artisanale et artistique, basée sur le façonnage et la décoration du fer et de l'acier. Au début des années 80, il a entrepris de décorer et rehausser le portail de son jardin, celui de son atelier dans le village ainsi que celui de son terrain de loisir un peu plus loin sur la route de La Baconnière. Les cerclages et les fers à cheval ont été de cette façon recyclés en éléments de décor. Céneré a développé un véritable savoir-faire, remarquable par exemple dans sa capacité à réaliser des bouquets de jonquilles en fer aussi vrais que nature. Il découpait dans le métal des profils d'animaux et d'insectes qu'il fixait sur son portail ou bien les faisait ressortir en bas-relief par martelage sur l'envers de la plaque. Il a de même personnifié un dessus de gazinière qu'il a placé sur le fronton de son atelier. Les sujets étaient ensuite peints avec des couleurs vives. Ses portails étaient dédiés à la nature, aux animaux, insectes et plantes. Grand ordonnateur de cet Eden, Céneré a placé sur le plus grand portail décoré une inscription en fer forgé, résumant sa démarche par la devise : L'Ami des Bêtes. En 1984, il s'est mis pour un temps à peindre sur des fonds de cagette glanés au marché de Laval, des animaux exclusivement.

         Se consacrant dorénavant essentiellement à la peinture, il a réalisé sur le mur extérieur de son jardin dans le village une fresque dédiée au voyage par terre, mer et air. Il entreprenait de la sorte son grand périple imaginaire et initiatique, lui qui confiait n'avoir quitté son village qu'une fois dans sa vie pour une virée en moto au Mont Saint-Michel.

          Ses dernières œuvres sont de remarquables peintures de facture naïve sur de grandes plaques de métal où il s'est exercé à représenter des bateaux élancés ou bien le plan d'eau aménagé sur son terrain. Il rendait ainsi hommage à son havre de paix et de rêverie, là où, entouré des tombes décorées de ses chats et de belles princesses dénudées peintes par lui sur son éolienne et sur la porte de son lieu d'aisance, il se plaisait à penser et à refaire le monde, selon sa fantaisie et à sa convenance.

Jean-Louis Cerisier, avril 2018

 

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RAYMOND LEMEE

 

     Plus rustiques que les œuvres de ses trois complices, celles de Raymond Lemée sont plus linéaires lorsqu'il les réalisait avec du fil ; ou au contraire plus lourdes lorsqu'il employait carrément un soc de charrue, une faux, etc. Car, au gré de son intuition, il pouvait ainsi participer à un travail de déconstruction des objets récupérés dans les granges des fermes ou sur les décharges, puis de reconstruction des personnages filiformes ou massifs nés de son imaginaire, permettant au visiteur de s'amuser à déceler tantôt une pelle, une clef à mollette, tantôt un rétroviseur, etc ! 

    Au gré de son humour aussi, car l'humour est le trait principal des créations de Raymond Lemée ! Ici, avec la plus intense gravité (!!), il met en croix le Christ et ses larrons ; là il fait pédaler sur un bi une bonne-sœur à cornette portant réticule ; ailleurs, toujours sur son vélo à roue unique il envoie le garde-champêtre équipé de sa sonnette, annoncer quelque nouvelle au village

 

          Ailleurs encore, ce sont les portraits du général De Gaulle et son képi,  ou de François Mitterrand et sa rose rouge qui conquièrent l'espace. Pour ne rien dire de cette  touriste en mini (très mini)-jupe, soutien-gorge dardé, bouche maquillée, lunettes noires et chevelure rousse coiffée d'un coquin petit bibi ! 

         Une œuvre pleine de vitalité, de bonne humeur, gentiment provocatrice. J.R.

 

 

BIOGRAPHIE : Raymond Lemée est né à Laval en 1924. Il est le troisième d'une fratrie de neuf enfants. Il obtient son certificat d'études à l'âge de 14 ans, puis il quitte l'école. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'engage dans le régiment des transports de l'armée anglaise. Après la Libération, il mène une vie d'ouvrier tuyauteur soudeur sur d'importants chantiers, dont une centrale nucléaire. C'est à la retraite, en 1982, qu'il se lance dans une production foisonnante de sculptures.

          "Quand je me suis retrouvé en retraite, il y avait autour de moi plein de morceaux de ferraille, de pièces agricoles, de tubes, et l’idée m'est venue de les souder ensemble". Raymond Lemée passe donc de nombreuses heures sur les décharges ou dans les granges des agriculteurs, à la recherche de pièces de métal abandonnées qu'ensuite il soude puis recouvre de peinture automobile en bombe. " Au début, ce n'était pas simple mais à force d'essais, je suis arrivé à faire quelque chose des pièces que je récupérais ".

Ses thèmes favoris sont les animaux, les portraits des hommes politiques, des sujets liés à l'actualité tels que l'écologie ou bien les travers de notre société de consommation. L'humour est souvent présent dans ses créations. "Je travaille tout à la main et à la soudure à l'arc. Chaque jour, dans mon garage, je compose. C'est ma passion". Raymond Lemée manie l'arc à souder comme d'autres manient le pinceau.

          Après le décès de sa femme, il aménage sa salle à manger en lieu d'exposition, véritable "Caverne d'Ali Baba tôlier", dans laquelle il aime accueillir des groupes d'enfants accompagnés de leurs professeurs. Il installe également des sculptures dans son jardin, dont une dépasse les deux mètres de haut : Homme robot anti¬pollution.

          Il participe à de très nombreuses expositions en Mayenne (1) et au-delà du département. Son grand plaisir est d'exposer dans les fêtes de villages. L'organisation humanitaire Médecins du Monde lui commande une sculpture pour le Cambodge.

          Raymond Lemée décède en septembre 2012, à l'âge de 88 ans. L'exposition Création populaire en Mayenne présente, entre autres, une sculpture représentant une religieuse infirmière sur son grand bi, cornette au vent, avec la flamme de la Croix-Rouge sur sa mallette. " Cette sculpture est une de mes préférées. Elle m'a demandé du temps ". Raymond Lemée ne se considérait pas comme un artiste mais comme un bricoleur. Il était un Bricoleur de l'Imaginaire !

Michel Leroux, mai 2018

(1) Nous pouvons voir des sculptures de Raymond Lemée sur les places publiques de plusieurs villages mayennais : La colombe de la paix à Bazougers, Vibration bleue à Craon, Le seigneur de Craon à l'abbaye de La Roë.

 

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Une très belle exposition, donc, qui méritait largement les foules qu'elle a attirées. Et qui aura enrichi de ses quatre fantasmagories,  les cimaises et l'espace de ce beau lieu qui, l'espace d'un printemps, lui a été dévolu.

PRINTEMPS 2018. CHATEAU DE SAINTE-SUZANNE (Mayenne)