"Il était une fois..." et Grand mère racontait au petit Gaston des histoires de paysan, de maréchal ferrant ; de bonnes histoires du coin du feu, toutes pleines de vie, mitigées de contes... pimentées de détails gentiment graveleux lorsque Grand père prenait la relève... Peut être n'est ce là qu'imagination ? Peut être le jeune garçon a t il su tout seul inventer ses villages de guingois ; "affronter" ses familles d'ours ; "raconter" ses vendanges ; retrouver ses impressions de gamin chapardeur, ses souvenirs de cirques de passage ; les délices d'un bon chocolat roulant sur une langue gourmande... Quelle que soit la vérité, Gaston Mouly s'est, au fil des années, créé un monde bien à lui, où de tableau en tableau, se retrouvent des constantes qui en génèrent le pittoresque.

         Première évidence, il se soucie comme d'une guigne des proportions : Ainsi La maison d'un peintre artiste ou écrivain est elle plus petite que le vendangeur placé à côté ; lequel est un géant comparé à la chaîne qui emmène les raisins au pressoir ; tandis que la route passe au ras de son œil pour que la carriole du paysan soit à bonne hauteur et se déverse dans la cuve ! Aucune perspective ! Aucune règle, en fait ! Sur un plan unique et leur taille variant suivant la place qui reste dans l'épisode "narré" ; des personnages dessinés indifféremment en plongée ou vus d'en dessous ; des corps qui peuvent jouer les passe murailles si l'artiste a du mal à les asseoir sur un banc ; des maisons où, comme dans les dessins d'enfants, peuvent être appréhendés d'un seul regard, tous les étages ; etc. Pourtant, une fois achevée, l'œuvre est absolument équilibrée ; la complicité entre les personnages établie ; irréfutable la place des protagonistes dans leur lieu de vie !

         Unité de tons, dans l'univers de Gaston Mouly : Un bateleur a t il un pantalon vert ou une chemise jaune, son partenaire "porte les mêmes couleurs", mais inversées ! de sorte que le poisson aux écailles ondulées de la jambe droite du vendangeur se retrouve sur la manche gauche du bouilleur de cru... en une sorte de jeu de "J'en ai marre marabout bout..." où motifs et coloris créent des cycles et des symétries !

           Sens de la fantaisie et du mouvement, chez cet artiste, dessinateur avant tout ! Ainsi peut il mettre au point un numéro d'équilibristes en soudant trois cous d'où partent légèrement décalées comme dans les dessins animés, trois têtes ; tandis que les jambes démesurées (y a t il bien le compte ?) gesticulent en éventail comme autant de bras de Shiva ! Reviennent d'ailleurs en leitmotiv, ces corps soudés par le ventre ou l'entre jambes, comme autrefois les siamois de Barnum ; malignement vrillés et exécutant autour de leurs axes d'impressionnantes prouesses gymniques ! Et, pour accentuer le côté ludique, les biscotos luisants du bateleur sont de véritables jambons, les joueurs de basket deviennent des grappes grouillantes de membres entremêlés...

           A propos de grappes, il faudrait également s'interroger sur la permanence du raisin dans l'œuvre de Gaston Mouly : toujours violet, grains de toutes tailles y compris gigantesques, treilles poussant indifféremment dans les nuages, sur les maisons ou la ceinture du vigneron... (mais la face enluminée de l'artiste ne laisse t elle pas supposer qu'il est lui même un adepte de Bacchus ?)

         Et puis l'érotisme, parfois un peu gaulois, tels les attouchements sans ambiguïté du docteur  "cherchant à comprendre ses malades", ou la Croix Rouge pénis qui lui pend entre les jambes... plus souvent inconscient, comme cette façon de différencier le sexe des personnages : les éléments masculins ont des doigts boudinés, mais tout ce qui est féminin (fillette, femme, fusée...) est "armé" de féroces ongles pointus colorés en vermillon  : ceux de la petite fille caressant son chien sont même aussi gros que la tête de l'animal!...

 

         Et puis encore, il faut ajouter un soupçon de religion, de superstition peut être ? Ainsi, l'ermite ? Le saint ? à cheval sur le toit pointu d'une église définie par sa cloche, est il entouré (en lévitation ? grimpés jusque là haut ?) d'hommes qui le "touchent" ! Mais autrefois, ne guérissait on pas le "haut mal" en "faisant ses voyages" ?

         Ses voyages, Gaston Mouly les fait à bicyclette : Cet objet bizarre, à géométrie variable, au pédalier situé aux endroits les plus inattendus, à la chaîne verticale, si besoin est... peut indifféremment transporter la famille sur le porte bagages, grimper dans le châtaignier, ou flotter sur des douves remplies d'eau... Là, comme dans tous les thèmes qu'il aborde, l'artiste est assez dirigiste pour bien faire comprendre ce que "parler veut dire" ; mais assez imprécis pour laisser au visiteur le choix de ses interprétations !

         Ce visiteur que Gaston Mouly emmène au fil de son imagination populaire vers un pays où les hommes ont la tête en cœur, les cheveux perruqués, le visage réduit à deux ondulations ; mais les yeux grands ouverts sur un monde de naïveté matoise et d'humour bon enfant : N'est ce pas là le ton des histoires qu'on lui racontait, naguère, à la veillée ?

Jeanine RIVAIS

GASTON MOULY : Oeuvres visibles en permanence à la Collection de l'Art brut (Lausanne) ; L'Aracine (Villeneuve d'Ascq) ; Site de la création franche (Bègles).

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996 ET PUBLIE DABS LE N° 60 DE JUIN 1997 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES A%IS DE FRANCOIS OZENDA.