ANDRE ROBILLARD, SES FUSEES ET SES FUSILS
ou
COMMENT UNE ŒUVRE PEUT BOUTER UN CREATEUR HORS DE CHEZ LUI…
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André Robillard naît en 1931. Enfant, il présente des problèmes comportementaux qui amènent son père à le confier à des psychiatres. En 1964, alors qu’on l’estime assez autonome pour travailler à la station d’épuration de Fleury-les-Aubrais, on lui affecte une petite maison de plain-pied dans le quartier semi-pavillonnaire situé dans le parc du Centre Hospitalier.
C’est alors que lui vient soudain l’idée de fabriquer un fusil. Cette idée et sa réalisation lui donnent tant de plaisir qu’il recommence... Quelqu’un lui demande-t-il si c’est sa création qui l’a guéri, il répond oui sans hésiter. Car des dizaines d’autres fusils ont suivi ! Il s’est mis à créer comme un affamé se jetterait sur un quignon de pain ; cherchant sur les décharges, dans les poubelles des artisans proches, tous les objets qu’il peut récupérer et réutiliser.
Il semble bien que, parallèlement à cette boulimie de réalisation, une autre soit née, liée peut-être à ses problèmes psychologiques : ce besoin d’accumuler les objets a, apparemment, tourné à la monomanie ! En tout cas, depuis près de quarante ans, les choses les plus invraisemblables s’entassent dans les quatre pièces de la maison… Peu à peu, elles ont mangé son espace vital. Et il est tout à fait paradoxal de constater qu’il ne peut supporter dans son pigeonnier la moindre fiente, ni la moindre plume ; dans sa cour, pas la plus petite feuille morte ou un pétale de rose ; et qu’il a absolument besoin du fatras qui encombre sa maison. (Mais attention, entassement ne signifie pas désordre. Tout est parfaitement rangé, empaqueté, chaque photo datée, chaque verre lavé aussitôt après usage…)
André Robillard se sent dans ce lieu comme un poisson dans l’eau. Et, cherchant toujours de nouveaux matériaux, il apprécie que ses visiteurs arrivent les bras chargés d’ustensiles qu’eux-mêmes auront récupérés ! Mais pour eux, grande est la surprise de constater qu’ils se font alors les avocats du diable : déjà, la porte d’entrée n’ouvre plus qu’à demi ; et seul demeure praticable un minuscule sentier d’une trentaine de centimètres de largeur slalomant d’une pièce à l’autre entre deux tas d’objets encore inutilisés (vieilles revues, morceaux de planches, fragments de tuyaux, masques de carnaval, etc.). Il leur faut, au carrefour, s’agripper à ces piles pour ne pas trébucher en contournant la table. Et, lorsqu’ils parviennent à cette table, ils découvrent qu’entre cartes postales, crayons, ciseaux… ne demeure libre qu’une infime partie : là est le minuscule espace de construction de cet étrange créateur !
Mais le lieu le plus surprenant et qui se trouve à l’extrémité la plus éloignée de ce labyrinthe, est la chambre. Dans cette pièce, trônent entre des sacs de linge ? de vêtements ? une belle télévision toute neuve et en vis-à-vis, un petit lit au chevet duquel se trouvent une Vierge et quatre fers à cheval. Ainsi, André Robillard se sent-il bien protégé. Et sans doute en a-t-il besoin ; car les trois autres côtés de ce lit sont entourés d’un python, un crocodile, un lion et une panthère en peluche ! Ne peut-on dire qu’il vit dangereusement ? En tout cas, ainsi cerné de toutes parts, bien à l’abri dans sa maison envahie, il se sent à l’aise pour dessiner spoutniks, fusées et cosmonautes ; et surtout pour réaliser ses fusils devenus célèbres aux quatre coins du monde !
Quels drôles de fusils ! (Et d’abord, pourquoi des fusils ? En souvenir de son père qui était chasseur et qui lui permettait de regarder le sien !) Découpées à la demande dans du bois, par un menuisier, la longueur et l’épaisseur de la crosse, du canon et du chien varient « selon la marque ». En fonction de la destination de l’arme, la « notice explicative » manuscrite sur la crosse, est différente. Mais pour tous, le principe est le même : deux tiges métalliques doublent le canon de façon à définir deux « travées » au long desquelles André Robillard ajoute, toujours de guingois, divers objets qui peuvent aller de cartouches vides, à de petits animaux de plastiques, des fleurs, etc. Le tout scotché avec des adhésifs de couleurs ; parfois même, argentés. Et si les visiteurs lui demandent de leur montrer le dernier, alors il l’extirpe de derrière la porte, sort devant ses rosiers. Il prend la pose, se compose un visage terrible ; et, l’air de viser un quelconque ennemi, il demande : « C’est bien, comme ça ? »
Oui, André Robillard, « c’est bien comme ça ! » Il y a en vous tant de fierté naïve ! Dans votre univers, tant de plaisir du travail bien fait! Tant de bonheur aussi à montrer vos accordéons et à en jouer en rauquant la rengaine, devant les gens qui vous rendent visite parce qu’ils s’intéressent à votre œuvre ! Tant de gentillesse enfin, qui fait spontanément dans votre esprit, de chaque visiteur un ami ! Sachez que lorsque ce visiteur vous quitte, il a en tête et dans le cœur le sentiment très fort que, décidément, grâce à des créateurs comme vous, cette mouvance singulière reste porteuse de bien des bonheurs !
Jeanine Rivais
Ce texte a été publié dans le N° 73 du BULLETIN DE L’ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA » de MARS 2003.