Réfugié dans son minuscule village de la Sarthe, Gaston Floquet dépose depuis bien longtemps sur la toile, des créations inattendues : collages de papiers aux formes incertaines qu’il agglomère jusqu’à ce que, consciemment ou non, il fasse apparaître des “personnages”, des silhouettes plutôt : ici une sorte de clown à bonnet pointu ; là un individu de dos, drapé dans une “gandoura” d’où n’émergent qu’une boule-tête noire et un bras fil-de-férique... D’autres fois, il “explore” des “paysages” aux reliefs inégaux, bouleversés et irréalistes, qu’il travaille en des bruns vernissés provoquant de belles alternances ou combinaisons de brillances et de matités. Parfois encore, il crée carrément d’étranges cosmogones aux yeux énormes, aux mentons et à l’entrejambe en forme de bec triangulaire, à bras quasi-invisibles parce que collés au corps, perchés sur des jambes grêles terminées par des doigts griffus ; le corps couvert d’“écailles” faites de frises chevauchées, en papiers encollés et raides de vernis. Ceux-là sont un peu à part dans ce monde où l’artiste intellectualise sa fantaisie créatrice. Ils se rattachent plutôt à l’autre, celui du jeu et de l’humour, son monde sculptural.

         Car, depuis des décennies, Gaston Floquet collectionne, à l’instar de tant d’artistes de l’Art-Récup’, des coquillages, des pierres dont les formes tentent son œil, des bois patinés par le temps et les intempéries, des métaux avec lesquels il érige des guerriers en armure, des oiseaux aux ailes croisées comme ces serpentaires attendant patiemment le passage d’un reptile, etc.

          Mais à ce jeu consistant à faire du beau avec les rebuts d’autrui, il est un autre matériau qui remplit la vie du sculpteur. Et, à son propos, surgit un regret : puisque le mot “coroplaste” est tellement évocateur d’une forme  précise de création, pourquoi faut-il que le mot “ostéoplaste” se cantonne à un sens anatomique si limitatif qu’il soit impossible de l’appliquer à Gaston Floquet, sculpteur d’os depuis toujours ? un tel vocable aurait bien décrit sa passion dévorante pour ces objets à la fois similaires et disparates, raides et durs ; et le parti qu’il a su tirer de leurs caractères sans concessions et sans fioritures ! 

          Ainsi avance-t-il dans sa création, sélectionnant  os longs et courbes à la forme idoine pour devenir des bras enlaçants  ou des jambes arquées ; clavicules muées en têtes tarabiscotées tellement expressives, pour peu qu’il leur ajoute deux yeux faits d’osselets peints ; énormes tibias dont les épiphyses forment des pieds bien ronds ou les macarons délicieusement moulés d’une chevelure féminine... Os seuls, ou collés à des pattes de crabes, des mâchoires vigoureuses de sauvagines, des boulons, des éclats d’obus, etc.  Mais les plus surprenants sont ces personnages où, allant jusqu’au bout de la personnification, Gaston Floquet recouvre les os d’une sorte de “peau” parcheminée qui leur donne l’air de momies antiques parfaitement conservées ! 

          Autodidacte dont la vie fut une longue fantaisie, puisqu’il fut tour à tour imprimeur, journaliste, traducteur, comédien bourlinguant à travers le monde et connaissant encore ses classiques sur le bout du doigt, Gaston Floquet s’est désormais retiré dans le silence de sa ferme. Et quotidiennement, il évolue dans son curieux univers anthropomorphe et son bestiaire à la fois familier et allogène ! Et tous ces petits êtres blottis dans les moindres recoins, vivent autour de lui en parfaite harmonie, comme des prolongements naturels des vieilles poutres enfumées, de l’énorme cheminée... côtoyant les objets destinés, comme eux naguère, à participer à des associations inopinées qui feront d’eux de nouveaux témoins fidèles de près d’un demi-siècle de recherches formelles et de fantasmagories poétiques !

Jeanine RIVAIS

Au centre Gaston Floquet, à droite Michel Smolec, à gauche Jean Evrard
Au centre Gaston Floquet, à droite Michel Smolec, à gauche Jean Evrard

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998 ET PUBLIE DANS LE N° 64 DE JUIN 1999 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA