LE PETIT MUSEE DU BIZARRE 

ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS avec SERGE TEKIELSKI, dit CANDIDE.

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" Le Petit Musée du Bizarre : l’aîné de tous, en fait !

En 1968, Serge Tekielski dit Candide, et sa femme achètent à Lavilledieu, en Ardèche, une grande maison. L’idée vient à Candide d’aménager sa bâtisse et de faire partager à tous les gens du voisinage sa passion pour des objets qu’il aime collectionner. Il installe dans ses caves des créations d’autodidactes ruraux qu’il réunit depuis des années : œuvres anciennes arrachées à des formes préexistantes ; œuvres plus récentes, le plus souvent de bois ou de pierre : créations singulières d’un art populaire complètement enraciné dans l’artisanat paysan.

Parallèlement, Candide ouvre, en 1969, une salle à l’intention d’artistes contemporains marginaux, parmi lesquels Lattier, devenu le pilier du musée : œuvre centrée sur des histoires locales, réelles ou imaginaires, et possédant la saveur jubilatoire de toutes les créations sulfureuses ! 

Ce lieu de poche, ce petit Musée du Bizarre a acquis une réputation qui s’en va bien au-delà des frontières."     Extrait de la "conférence de Jeanine Rivais : De l’Art brut à l’Art singulier au cours du XXe siècle.

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          Jeanine Rivais : Serge Tekielski, d’où vient ce pseudonyme : Candide ?

          Serge Tekielski : De Voltaire, évidemment ! parce que dans les années 50, j’ai été diplômé d’une école d’agriculture Il s’agit, bien sûr, de "savoir cultiver son jardin!"

 

          J. R. : Parlez-nous de votre collection : la visite s’ouvre sur une belle série de cannes !

          S. T. : Oui, dont la plus curieuse est un bâton de buis, d’une dizaine de centimètres de diamètre et 1,50m de longueur. Il y a dessus trente et un personnages gravés en bas-relief. Il a été sculpté par un homme qui, en 1901, avait tiré à la conscription, le mauvais numéro, et avait dû participer à la Guerre d’Abyssinie. Il a raconté sa vie sur ce bâton. Son nom est inscrit dessus. J’ai placé cet objet en bas, dans un grand tronc d’arbre creusé.

 

          J. R. : Comment vous est venu le goût pour les vieux objets ? 

        S. T. : Ma mère était une petite antiquaire de quartier, le quartier bourgeois lyonnais, au sud de la place Belcourt. Moi, de temps en temps, j’étais disponible, je cherchais pour elle des tables Louis XV, de l’argenterie… ce qu’on trouve d’habitude dans les magasins comme le sien. Et quand je trouvais de l’Art populaire, je l’achetais pour moi. Un jour, un bourgeois du voisinage m’a demandé d’où provenaient "ces cochonneries", affirmant que le quartier "valait mieux que cela" !

       Le résultat a été que mon épouse et moi, avons décidé de quitter Lyon ! Nous avons donc prospecté dans la région. Lorsque nous avons vu que cette maison était à vendre, nous avons vendu tout ce que nous possédions, en particulier notre appartement lyonnais, pour l’acheter : c’était en mai 68.

 

          J. R. : J’avais cru, en effet, comprendre que vous étiez un soixante-huitard du retour à la terre ?

          S. T. : Retour à la terre, bien sûr ! Mais utopique ! Et surtout parce que, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, j’avais derrière moi une petite carrière de militaire : j’étais sous-officier ! Il me serait difficile de le cacher, parce qu’un Guide de l’Ardèche vient de paraître qui dit : "Cet ancien sous-officier…" Mais au bout de douze ans, j’ai profité d’un putsch pour résilier un contrat qui était de vingt ans ! Imaginez-moi en vieux capitaine, gagnant chaque mois une vraie fortune ! 

Cette maison est très ancienne. Elle a en haut, une très belle porte Louis XIII. Alors, moi, avec mes relents d’antiquaire, elle m’a tout de suite séduit !

 

          J. R. : Et, bien sûr, il fallait la remplir ?

        S. T. : Il s’est trouvé que, "pour faire bouillir la marmite", mon épouse qui était infirmière libérale, s’est mise à exercer dans le pays qui n’avait jamais auparavant eu d’infirmière ! Ayant devant nous un apport à peu près régulier, j’ai vendu –très bon marché-, de beaux objets que je tenais de ma mère. Et j’ai commencé ce petit musée dont j’avais très envie !

 

       J. R. : Chaque fois que je fais une conférence, je ne manque pas de remarquer qu’en fait, il est antérieur à tous les autres musées d’Art singulier !

        S. T. : Oui. Il y a eu à Paris cette exposition Art brut et Compagnie. Eh bien ! "Et compagnie", c’était moi ! Je ne l’ai pas su, à l’origine ; mais Geneviève Roulin qui est la cheville tellement active de Lausanne dont Michel Thévoz est l’inspirateur, a tenu à ce que divers objets d’ici y soient exposés. J’étais très fatigué, à l’époque, et je n’ai pas répondu. Mais elle a insisté en proposant d’exposer des peintures de Gérard Lattier. L’un de mes amis, un ami de trente ans, qui est journaliste et était partenaire de cette exposition était opposé à la présence du Petit Musée du Bizarre, puisque je ne me revendique pas de l’Art brut, mais de l’Art populaire. Je ne veux pas refaire l’histoire de l’Art brut créé par Dubuffet sur ses critères personnels, alors que l’Art populaire a toujours existé. De tous temps et en tous pays. Geneviève Roulin a maintenu sa position ; d’autant a-t-elle précisé, que Candide allait bientôt mourir ! On a donc ajouté pour moi "…et compagnie" !

          Il est indiqué, en effet, dans mon press-book, que mon musée est antérieur à tous les autres ! Et j’ai conscience que "les autres" représentent une nouvelle génération, dans un nouvel esprit.

 

          J. R. : Puisque je vous tiens enfin entre quatre-z-yeux,  depuis le temps que j’ai envie de vous connaître et que je parle de votre musée, je voudrais que vous me donniez "votre" définition de l’ "Art populaire".

          S. T. : Mais je n’ai rien à dire sur l’Art populaire ! 

 

         J. R. : Tout de même, à partir du moment où vous avez fait le choix de cette forme d’Art, vous devez savoir très précisément à quoi il correspond dans votre esprit ! Faudrait-il dire plutôt que ce que vous aimez un "Art rural" ?

       S. T. : Oui. Et surtout d’autodidactes. Des gens qui ont réalisé des choses sans jamais avoir appris à le faire ! Tout cela est parti de racines qui ont une forme, humaine parfois ; ou simplement de serpent ; une pierre dont la forme a entraîné en eux une vision des choses… Ensuite, leur imaginaire a fait le reste !

       Par exemple, il y a là un petit retable, un petit monument de coquillages qui a été exécuté par un berger de la Haute-Loire, pour y poser le soir sa montre de gousset. Mais, d’utilitaire, cet objet est devenu merveilleux ; et implique non seulement une démarche manuelle, mais aussi intellectuelle.

      Peut-être aussi, ce goût pour cette forme d’art m’est-il venu par opposition aux gens de ce quartier ultra-réactionnaire de Lyon ? Et ces achats qui étaient des coups de cœur, n’avaient rien à voir avec les tasses aussi belles soient-elles qui n’étaient que des marchandises ! 

      Ces acquisitions représentent un état d’esprit, une intelligence ; même si, en disant "Art populaire", la plupart des gens ne veulent pas le croire !

 

          J. R. : Sensibilité, aussi. Chacun peut imaginer ce berger, seul, uniquement absorbé pendant des années par la garde de son troupeau. Il aurait pu devenir une bête à l’esprit vide parce qu’intellectuellement il n’était jamais sollicité. Il pouvait aussi se dépasser -et c'est ce qu'il a fait- en créant ces sortes d’objets que vous avez réunis.

          S. T. : Je voudrais parler de ce berger de Provence que je n’ai pas connu, et qui assemblait des pierres à l’endroit où il faisait paître ses troupeaux. Il paraît que ses sculptures ont été complètement détruites, et c’est bien dommage ; et les pierres ont été volées, ce qui est idiot, parce qu’elles n’ont un sens que les unes avec les autres, dans une construction. Une fois séparées, elles n’ont aucune valeur.

 

          J. R. : Il en va de même du merveilleux manège du Petit Pierre qui est maintenant à la Fabuloserie ! On est à la fois admiratif en le voyant là-bas, et déçu de ne pas le voir in situ ; en même temps reconnaissant qu’il ait été sauvé !

          S. T. : Je ne le connais pas dans la réalité ; mais les images que j’en ai vues m’ont infiniment plu ; celles, en particulier, où l’on voyait Petit Pierre, tout contrefait, prendre deux fils électriques, et immédiatement son manège se mettait à tourner ! 

 

          J. R. : Pour en revenir à votre musée, pourquoi cette fascination pour des objets arrachés à des formes préexistantes ? Est-ce parce qu’ils sont plus anciens que les autres ?

          S. T. : Il y a en effet ici une vingtaine de sculptures conçues dans cet esprit. Elles ne sont pas forcément les objets les plus anciens : dans ceux qui sont datés, il y a un tableautin fait avec des cheveux, qui est de 1843 de Mathilde Chastagnier qui était ardéchoise. 

          Mais je n’ai pas voulu que mon aventure prenne des allures régionalistes. Ce qui est ici, et que j’ai, la plupart du temps, découvert au gré des brocantes, provient de la région située entre les Alpes et l’Auvergne, c’est-à-dire le Grand Sud de la France. Je ne prétends pas non plus jouer les ethnologues, ni me déclarer spécialiste de telle période. Je répète qu’il s’est toujours agi de coups de cœur.

 

          J. R. : Vous venez de répondre sur le problème du régionalisme. Mais peut-on dire que vous n’avez là que des œuvres provenant d’un artisanat exclusivement "rural" ; ou bien votre collection est-elle plus diversifiée ?

          S. T. : Vous allez voir tout à l’heure que le Petit Musée… est logé dans une sorte de crypte, une cave voûtée. Au rez-de-chaussée, sont les œuvres de ruraux, presque uniquement de bergers, telles que nous les avons évoquées tout à l’heure. Elles sont placées dans de grands troncs d’arbres creux que j’ai achetés, sachant qu’il s’agit d’une coutume ardéchoise. J’ai donc "enchâssé" ces objets qui sont plutôt petits. Ils auraient été perdus sur ces grands murs de pierre ; mais là, nichés dans ces troncs d’arbres, ils sont tout à fait à leur place !

          J. R. : En somme, vous avez réalisé des sortes de châsses, de reliquaires ?

          S. T. : Il pourrait en être ainsi ! L’une de ces statuettes est probablement du XIXe siècle ; c’est une sorte de Vierge peinte en vert. Elle est très hiératique. J’en ai une autre très petite que j’ai disposée dans un abreuvoir de chêne-vert, si sec qu’il ressemble à de la pierre.

         Un jour, une amie sculpteure est venue ici, et devant cette minuscule sculpture, elle est entrée en transe ! Je l’avais depuis peu de temps, et dès que cette dame s’en est approchée, elle a changé de couleur et a transpiré à grosses gouttes. Elle m’a affirmé qu’elle recevait tous les problèmes de l’ancien propriétaire de la statuette !

 

           J. R. : Faut-il en conclure que cette dame était médium ?

           S. T. : Sans aucun doute, parce que peu de temps après, j’ai pincé le nez de la sculpture…

          J. R. : Et elle ne vous a rien fait ? 

          S. T. : Si, elle m’a envoyé un contrôleur fiscal ! En dehors de cela, je ne sais pas ! 

         Parmi les autres objets remarquables, il y a une sculpture qui a un visage comparable à ceux de Brancusi, avec des yeux qui apparaissent à peine. L’un de mes amis, grand intellectuel et écrivain français, s’agenouille devant elle à chacune de ses visites, me suppliant de la lui vendre. Mais ici, bien sûr, rien n’est à vendre ! Ce n’est pas le but de cette collection ! Il s’agit seulement de la montrer et d’entrer, à travers elle, en discussion avec les gens.

          Et puis, j’ai là aussi une autre mémé ! Je l’appelle une mémé, mais c’est une marotte : elle a été sculptée dans du mélèze ; et appartient à l’Art populaire traditionnel, parce qu’elle date de la fin du XIXe siècle. C’est une tête de vieille femme dont la chevelure est remontée en une masse à l’arrière de la tête : En fait, c’était une tête qui servait à faire sécher les bonnets sans qu’ils rétrécissent ni se déforment : c’était la coutume, dans le Queyras, où les femmes portaient de gros chignons. Dans la famille de ma femme, nous avions une grand-mère qui est morte à près de 90 ans : cette sculpture est presque son portrait ! C’est une raison supplémentaire pour que j’y tienne beaucoup ! 

 

          J. R. : Au fond, vous êtes un tendre, un grand sentimental ! 

        S. T. : Oui. Et dans ma collection, il y a ainsi un grand nombre de facteurs similaires qui entrent en jeu ! Malgré mon étiquette de vieux militaire de carrière, il entre depuis toujours dans ma démarche, un tas de facteurs de cet ordre ! 

          Pourquoi ai-je voulu entrer dans l’armée ? Parce que je rêvais de rejoindre Albert Schweitzer à Lambaréné. Mais pour cela il fallait devancer l’appel et faire deux ans de service militaire. Alors, autant faire trois ans et être payé ! Mais voilà, au départ, je me suis trompé de bateau ! Au lieu de monter sur un bateau qui passait par Gibraltar, j’en ai pris un qui passait par Suez ! Et je me suis retrouvé à Saïgon ! Comme j’étais "un bon élément", j’ai été promu sous-officier ! Mais, comme je ne m’étais pas engagé pour aller en Indochine, la prime substantielle que recevaient les militaires en pareil cas, m’est passée sous le nez ! 

 

          J. R. : Finalement, avez-vous trouvé Schweitzer ? 

        S. T. : Non ! Mais le 24 décembre 1968, année qui aura décidément été mémorable, j’ai vu arriver chez moi un petit bonhomme d’origine nord-africaine, très brun, crépu, qui venait frapper à ma porte : Cet homme s’appelle Pierre Rabhi. C’est un paysan ardéchois, né dans le sud algérien et qui, depuis 1960, a défriché 4 hectares de terre. Au début, il était marié à une Bretonne. Eh bien ! Il est devenu "mon" Schweitzer ! 

 

         J. R. : Qu’avait-il donc, ce Pierre Rabhi, pour avoir suscité en vous un tel enthousiasme ?

       S. T. : Pour lui, je me suis bombardé éditeur, et je lui ai publié trois livres** ! Il est paysan, certes, mais je vous garantis qu’il écrit lui-même ses livres ! Il possède un très beau langage, et beaucoup d’autres qualités ! Il a nourri sa famille, ses quatre enfants, sur cette terre défrichée. Maintenant, il a une "réputation" (ce qui ne veut pas dire grand chose !) à l’échelon international, comme "spécialiste de la désertification" ! Mais de tels "titres" le laissent indifférent ! 

 

        J. R. : C’est donc un ex-José Bové ?

         S. T. : Oui, mais sans le côté "grande gueule" : Pierre est, au contraire, un grand spirituel ! 

          J. R. : Avez-vous rencontré d’autres personnages d’une telle envergure ?

        S. T. : Non ! Dans une vie, on ne rencontre qu’un Pierre Rabhi. D’une grande modestie apparente, tout en ayant conscience de ce qu’il est, et qu’il irradie ! Il a une grande influence sur les gens, sans avoir rien d’un guru ! Simplement, il intrigue ; il est d’une intelligence vraiment supérieure ; rayonnant en dehors de toutes frontières et au-delà de toutes les religions. Voyez, il s’appelle Pierre ; et, pour faire plaisir à sa mère adoptive qui était institutrice, il avait fait sa première communion à Oran. Pour autant, il n’a rien rejeté de ses origines ! 

          Mais un autre personnage a aussi été très important dans ma vie : Gérard Lattier ! 

 

          J. R. Je connais son travail que j’apprécie infiniment ! Ce que j’aime vraiment, c’est sa façon de raconter en patois des histoires sur le peuple ; de les centrer souvent sur la Bête du Gévaudan ou autres monstruosités célèbres. Cela me permet, à l’âge adulte, de retrouver des contes horriblement jubilatoires, du genre de ceux que j’adorais enfant! 

          S. T. : On peut dire que c’est un conteur né, en effet ! Mais son travail va beaucoup plus loin ! Vous verrez ici un triptyque qu’il a peint à 25 ans ! A la mort de son père, il a réalisé une "Histoire peinte" (c’est ainsi qu’il appelle ses œuvres), qui s’intitule "Tuer les morts" : C’est l’histoire d’une communiante qui a été tuée aux premiers bombardements de Nîmes, en 1944.On la voit perchée dans les arbres, projetée par le souffle ! Un second bombardement a tué le père de Lattier : celui-ci s’était cru à l’abri dans un tunnel qui a été détruit ! Or, en même temps, ce second bombardement a déterré le corps de la petite fille ! Lattier avait huit ans, à l’époque des faits ; et il entendait tous les soirs sa mère et sa grand-mère  prier pour l’âme du père et de cette enfant qui avait été tuée deux fois ! Il faut bien penser que de telles histoires avaient marqué son esprit d’enfant ! Sa mère le destinait à être cordonnier et il avait commencé son apprentissage. C’est alors qu’il a commencé à peindre. Une peinture terrifiante ! Surprenante ! Vers l’âge de vingt-cinq ans, cette peinture l’a entraîné dans une cécité psychosomatique. Il a perdu la vue, surtout parce qu’il refusait de voir ce qu’il peignait ! Il est resté aveugle près d’un an !

 

          J. R. : Qu’est-ce qui a pu déclencher le processus de recouvrement de la vue ?

       S. T. : Il a rencontré une jeune institutrice qui est devenue sa compagne, et qui s’est bien occupée de lui… alors, peut-être bien que… Toujours est-il qu’il est allé mieux. Il faut dire que dans cette période noire, il avait peint un tableau avec une enfant morte, ce qui laisse supposer que tous ses souvenirs d’enfant avaient remonté trop fort à la surface !

          Mais une fois la vue recouvrée, il a trouvé cette nouvelle manière de raconter des histoires. Une des premières, était  intitulée « Voilà pourquoi je raconte des histoires ». Tout allait bien avec sa femme. Il était employé à la mairie de Nîmes ; ils ont commencé à avoir un peu d’argent et à installer leur maison : Lors des travaux, il est tombé un jour sur un chauffagiste dont le père avait fait la Guerre d’Espagne. A mesure qu’il branchait les tuyaux, l’artisan racontait à Lattier la guerre de son père ! A la fin, celui-ci a pris une grande plaque de contreplaqué, et s’est mis à peindre l’histoire de ce père ! Il l’a donnée au chauffagiste qui l’a montrée à son père. Cet homme qui était au fil des années devenu complètement inactif, a fait une syncope en voyant le tableau ! Heureusement, il s’en est remis ! Et il a commencé à raconter lui-même sa guerre à sa famille et à tous les Espagnols du quartier qui étaient venus lui faire fête à l’occasion de sa guérison ! On a raconté cela à Lattier qui a conclu : « Autrefois, je faisais mourir les enfants ; et maintenant, grâce à ce tableau, je réhabilite un homme ! »

          J. R. : Je croyais que vous alliez dire : « Je fais revivre un mort ! »

       S. T. : En tout cas, cet événement a amené Lattier à raconter désormais des histoires liées à des vies particulières. Cela se passait le jour de Noël 1972. Il a commencé à peindre l’histoire de la BETE. Mais ici, dans le musée, il y en a une qui donne pleinement une idée de son talent de conteur ! Elle se passe à l’époque où, son père venant de mourir, on l’avait placé chez sa grand-mère, à Ruoms : il était alors encore en culottes courtes, Pour se désennuyer, il s’était mis à collectionner des fossiles. Un vieil instituteur lui expliqua que ces fossiles se trouvaient là parce qu’à l’ère quaternaire, la mer recouvrait la région ! Tout content de ce qu’il avait appris, il le raconte à sa grand-mère. Quelques temps après, la vieille dame lui dit : "Dis, Gérard, tu m’as raconté un brave mensonge ! J’ai demandé à ton oncle Régourdal qui est le maire de Ruoms : Or, il ne l’a pas vu dans le cadastre, qu’au quaternaire il y avait la mer, ici !"

          J’ai connu Lattier lorsqu’il est venu chez nous, à l’été 69 : il cherchait des vêtements sacerdotaux, et il avait entendu dire qu’ici, "il y avait un peu de brocante". J’avais dans une valise quelques vêtements qui, d’ailleurs n’étaient pas à vendre : ils m’avaient été donnés par un ami jésuite qui n’appréciait pas tellement ces oripeaux. Il y avait entre autres quelques très belles broderies et quelques soieries lyonnaises du XVIIIe siècle que les dames de qualité brodaient pour le curé de leur paroisse. Je les conservais comme exemples de soieries lyonnaises. 

          J. R. : Pourquoi Lattier cherchait-il de tels vêtements ? Pour s’en servir comme modèle dans ses peintures ? 

          S. T. : Pas du tout ! Quoi qu’il en soit, j’étais absent lors de son passage, et c’est ma mère qui l’a vu ! Elle m’a raconté qu’en mon absence, un fou était passé ! Quand il revenu, je lui ai, par jeu, proposé la valise à 20 francs ! Il a trouvé que c’était beaucoup trop cher ! Du coup, ma mère ne voulait plus entendre parler de lui ! Pourtant, il est encore revenu ! Je n’étais pas à dix francs près, et j’aurais pu lui donner la valise. Mais toujours par jeu, je lui dis : "Allez, 10 francs, ça te va ?" Il s’est exclamé : "Putain, quand même, ça fait un prix !" Malgré tout, il a accepté, et il est parti avec la valise ! 

        Tout cela pour en arriver à l’histoire peinte qui raconte comment Lattier et ses deux copains, Calandre et un autre dont j’ai oublié le nom, étaient partis en goguette : ils avaient bu copieusement, et avaient mangé des tripous. Vers minuit, ils s’étaient habillés en curés ; et ils étaient allés pisser dans une ruelle. Un brave homme qui, peut-être, allait faire comme eux avant de fermer ses volets,  voit "le curé du pays et ses deux vicaires" pisser dans la rue ! Il a dû le raconter partout ! De sorte que le dimanche, il n’y avait personne à la messe ! Cela vous fait rire, mais imaginez la tête du pauvre curé qui se demandait bien ce qui lui arrivait ! 

          Quand Lattier a su ce qui se passait, il en fait un tableau, pour dédouaner le curé ! Il y "racontait" comment lui et ses copains étaient ronds comme des billes et s’étaient soulagés dans la ruelle ! Il a installé son tableau dans la vitrine du boulanger puis dans celle du boucher pour informer tout le monde  de la vérité ; et attester de l’innocence du malheureux curé !

       Il y a une autre histoire que j’affectionne particulièrement. Elle s’intitule Histoire pour décourager les gens de venir l’été en Ardèche. C’est l’histoire d’une de nos copines qui, il a 25 ans, se baignait toute nue dans l’Ardèche. Elle s’astique dans tous les creux, le ventre… les dents, et tout et tout ! En sortant de l’eau, elle aperçoit, tout près de l’endroit où elle venait de se baigner, des bulles qui montaient à la surface. Elle va voir ! Et elle trouve… un cadavre en décomposition ! Elle venait de faire sa toilette dans le jus d’un noyé ! Cela se passait à Vallon-Pont d’Arc. Lattier avait un cousin qui était charcutier à Ruoms et qui lui dit : "Putain, elle n’aurait pas pu venir se baigner à Ruoms ! Ici, l’eau est propre, tandis qu’à Vallon, c’est plein de cadavres !"

          C’était l’époque post-soixante-huitarde ! Me voilà parti à Montreux, en Suisse, faire, avec cette histoire, la promotion du département ! Je suis tombé sur des Suisses pleins d’humour qui m’on dit : "Tant pis, on poussera les cadavres, mais on viendra quand même, parce que c’est un beau pays !" Mais, quand je suis revenu en Ardèche, les gens du Conseil Général et de la Chambre du Commerce d’Aubenas, ont montré qu’eux, ils manquaient singulièrement d’humour ! Vu mon nom, ils m’ont dit que je n’étais qu’un Juif polonais, et que j’avais ruiné le département ! 

          Il en est résulté une véritable traversée du désert ! Mais quelques années après, avec des copains, nous avons fondé une revue que nous avons appelée "La Bouche rouge", conçue à peu près dans l’esprit du "Canard enchaîné". Nous avions pour cible quelques notables du cru ! Cette revue a duré ce que dure ce genre d’initiative ! Environ deux ans, ce qui était déjà bien ! A la suite de quoi, nous avons été récupérés par un parti politique anti-nucléaire, puis par le Parti Communiste local qui ne disait pas non au nucléaire, seulement non au nucléaire de Giscard d’Estaing ! Voilà encore une subtilité ! Le jour où nos amis ont dit qu’ils étaient contre-le-nucléaire-tout-simplement et non pas contre-le-nucléaire-de-qui-que-ce-soit, ils ont été "remerciés" par le Parti ! Il faut beaucoup de courage pour monter sur une estrade et faire ce genre d’annonce ! En tout cas, nous étions très au courant des problèmes de notre époque ! Aujourd’hui, nous serions avec José Bové ! Mais maintenant, je suis les événements avec beaucoup plus de détachement, parce que je suis vieux ! 

          J. R. : Mais vous êtes tellement jeune d’esprit ! Je m’amuse tellement à vous écouter!

          S. T. : Tout de même, quand arrivent ici 120 gosses à la fois, je me sens très fatigué! 

      Un jour, sont venus ici les premiers enfants envoyés en colonie de vacances par Gaston Deferre, en 1981. Certains de ces enfants avaient encore l’allure de poulbots, avec des culottes courtes et des tricots de peau ! L’un d’eux, devant cette sorte de herse qui est d’origine espagnole, constituée d’une planche incrustée de pierres, et qui servait à décortiquer les épis de blé,  s’est exclamé : "C’est de l’Art populaire immuable !" Un gosse de sept/huit ans ! Venant des quartiers pauvres de Marseille ! Cet enfant-là m’avait subjugué ! 

        Ce groupe, qui allait jusqu’à quatorze ans, était encadré par des CRS. La première nuit, les infirmières n’ont pas pu rester, parce que les grands sont venus les visiter ! Il a fallu que les CRS fassent aussi les infirmiers ! Ils sont restés ici au moins trois-quarts d’heure, à s’appeler, se montrer des objets et à les commenter ! Les CRS n’en revenaient pas, eux qui avaient du mal à les faire tenir dix minutes dans les autres lieux visités ! Peut-être était-ce tout simplement parce que j’avais laissé passer la déferlante, et que je ne leur avais pas demandé de se mettre en rang pour m’écouter?

 

          J. R. : Mais peut-être aussi que les objets contenus dans votre musée, tellement enracinés dans des terroirs, leur "parlaient", à eux qui étaient sans doute pour la plupart arrachés à leur pays d’origine ?

          S. T. : A un moment donné, l’un d’eux a découvert en bas une petite sculpture contemporaine qui représente une dame avec sept tétons ! Inutile de vous dire qu’elle a eu du succès ! 

          Je vais aussi vous parler d’une "classe verte" qui est venue il y a trois ans ! Tous les enfants se sont agglutinés devant une histoire de Lattier : l’histoire d’un vieux soldat allemand qui est pris dans la débandade au moment de l’arrivée des Russes à Berlin. Il dit : "Mais Hitler, c’est un fou, il va tous nous faire tuer !" Un officier lui réplique :" Comment oses-tu parler ainsi du Führer ?" Le soldat répond : "Mais parce que je le connais bien !"" _Comment ça, tu le connais ?" "_Mais oui, parce que quand on était tous deux petits garçons, en Autriche, on s’amusait ensemble à pisser dans la gueule d’un vieux bouc ! Il s’est trouvé que le bouc a mordu Hitler, et qu’il a été circoncis sans l’avoir voulu !" Inutile de vous dire que le pauvre soldat a été fusillé le lendemain matin. C’est un de ses copains du peloton d’exécution qui a raconté cette histoire bien plus tard ! Et Lattier termine, rappelant que son père est mort à Nîmes du fait d’un bombardement : "Mon père est mort à cause d’un con qui s’est fait couper la queue par un bouc !"

          Moi, je n’avais pas spécialement montré ce tableau. Ce sont eux, les filles et les garçons, qui l’ont déniché ! Quelques temps après, je reçois un appel téléphonique de la Haute-Loire : c’était le père de l’un d’eux qui me demandait s’il pouvait venir visiter le musée le dimanche suivant ? Quand il est arrivé, il regardait de tous côtés, je voyais bien qu’il cherchait quelque chose ! Brusquement, il me dit : "Mon fils est venu l’autre jour, avec la "classe verte" ; et il nous a tellement parlé du zizi d’Hitler, au Petit Musée du Bizarre, qu’il doit au moins être dans un bocal !" Je lui ai montré le tableau, et il était ravi ; mais jusqu’à ce moment-là, il s’était vraiment demandé où l’instituteur avait emmené ses élèves ! 

          J. R. : Vous aussi, vous avez vraiment un talent de conteur ! Cette visite est un enchantement ! 

          S. T. : J’aime bien raconter, en effet ! Avant que les visiteurs commencent la visite, je les mets en condition. Je leur parle d’Art populaire, de la crypte, etc. Cet art qui a été fait par des hommes bien souvent seuls, soit veufs, ou n’ayant jamais eu de femmes ! Et qui n’avaient pas la télévision ! Ce qu’ils ont fait, ils l’ont réalisé sans idée de temps, ni d’argent ! Ce n’était pas de l’artisanat ! Simplement, ils avaient envie de le faire, dans leur lyrisme et leur imaginaire ! Quand j’ai dit cela, j’ai tout dit ; et j’invite les gens à descendre voir les sculptures des bergers, des gens du peuple, et les peintures de Lattier. Je préfère qu’à ce moment-là seulement, ils se retrouvent seuls face aux œuvres ! Même si, parfois, on me pique des choses, des livres par exemple ! 

          Je vous parlerai encore de Duplant, qui était un tailleur de pierre ardéchois, et qui a pris sa retraite à soixante-dix ans. C’est alors qu’il s’est mis à sculpter. Notre Duplant était un grand ami de Lattier. Il habitait Ruoms, comme la mère de celui-ci. Il avait fait de très nombreuses sculptures, et j’en avais acquis quelques-unes. En 1972, la télévision est venue ici. Il y a eu cinq jours de tournage. Nous sommes ensuite allés chez Duplant. Le réalisateur lui dit : "Bonjour, Monsieur Duplant, nous venons photographier vos sculptures". L’autre répond : "C’est impossible !". Et nous n’avons jamais pu le faire changer d’avis ! Nous n’avons jamais su pourquoi il refusait ! Finalement, au bout d’une heure, il nous dit : « Braves gens, vous venez de Paris exprès pour moi ! Je ne peux pas vous laisser repartir comme celà !" Nous nous disons que ça y est, qu’il a changé d’idée ! Le cameraman s’avance et Duplant lui dit : "Je vous autorise à filmer mon champ de maïs !"

 

          J. R. : Pensez-vous qu’il aurait pu avoir un complexe de s’appeler "Duplant" ?

        S. T. : Je l’ignore ! Il était aigri ! Il était veuf ; il avait perdu sa petite-fille ! Et il ne s’était jamais remis d’une blessure d’amour-propre subie dans son village : En 1936, au moment du Front Populaire, il avait milité pour la construction d’une salle des fêtes. Depuis ce temps-là, le curé était jaloux ! A la Libération, il a demandé qu’on lui construise une salle paroissiale. Il a fait appel à des bénévoles, dont Duplant qui est allé tailler les pierres. Le jour de l’inauguration, il y avait bien l’évêque, les conseillers généraux, les députés, etc. Mais Duplant n’était pas invité ! Et cela lui était resté en travers du gosier ! Déjà qu’il avait mauvais caractère ! 

 

(Commence la visite proprement dite, accompagnée par les commentaires de Candide ). Hélas ! Plusieurs des photos correspondant au commentaire, sont aujourd'hui illisibles ! 

 

          --Voici le tableau de Mathilde Chastagnier ; et au-dessus celui qui est entièrement fait en cheveux : il date de 1916, il a été fait pendant la guerre. Ce qui me fait penser à ma grand-mère maternelle qui avait été infirmière à Saint-Etienne. Un jour, arrive en gare un train de Tirailleurs Sénégalais en permission, dont quelques-uns étaient blessés. De sorte que les infirmières ont dû les soigner. Pour remercier ma grand-mère, l’un d’eux lui avait mis autour du cou un collier de "fleurs séchées". Elle était intriguée par ce collier…

 

          J. R. : Elle avait peur que ce soit un grigri ? 

          S. T. : C’était pire qu’un grigri ! C’étaient des couilles de Prussiens ! Remarquez que, selon l’auditoire, je dis parfois des testicules ! Et ma grand-mère qui se promenait avec ce collier !

          Nous passons maintenant devant le petit monument sculpté pour loger la montre. Ce Christ est d’un homme appelé Pouarson : je ne sais pas s’il vit toujours ? Ce lit aurait été fait en 1904, à la naissance du monsieur qui me l’a cédé et qui faisait partie d’une famille où les gens sont tout petits : vous voyez une patte de chien appuyée sur la tête des hommes, ce qui les empêché de grandir ! Leurs pieds sont en forme de griffons. Bien sûr, je n’aurais jamais pu acheter ce lit parce que j’estimais qu’il valait très cher. Or, un jour, ce monsieur qui était assez fortuné m’a proposé de me le vendre pour un tout petit prix. Intrigué, je lui ai demandé pourquoi ? Il m’a répondu : "Pour emmerder mes héritiers !" J’ai compris pourquoi il avait tant insisté pour que je le débarrasse de ce lit lorsque les héritiers sont venus ici, pour "récupérer leur bien". Heureusement que ce monsieur m’avait fait un reçu en bonne et due forme !

 

          J. R. : Et ce lion pelé, galeux ?

         S. T. : Comment osez-vous parler ainsi de mon lion ! Je pense qu’il est au moins centenaire ! Il a contribué, il y a bien longtemps, à me donner une mauvaise réputation ! J’avais eu la visite d’un couple de Hollandais qui avaient deux petits enfants blondinets, à qui j’avais dit : « Attention, mon lion mange les petits enfants ! ». Quelque temps après, dans un hebdomadaire d’Amsterdam, il était écrit : "Attention, en Ardèche, Monsieur Candide mange les petits enfants !" Inutile de vous dire que, là encore, ma cote d’amour en a pris un coup ! Ce lion a un fil de fer que l’on tire, et il rugit ! En fait, on pourrait plutôt dire qu’il rote ! Alors, bien sûr, si je montre cela à un enfant, tous les autres doivent aussi le faire roter ! 

          J. R. : Et d’où vient ce Christ entouré de deux personnages complètement nus ? Au premier abord, on ne voit que le Christ, dans des sortes de flammes qui retombent. Et, bien sûr, le premier sentiment est celui de pitié ! Mais on s’aperçoit alors qu’il tient par chaque main un autre personnage ? S’agit-il de deux Marie-Madeleine ? Est-ce ainsi qu’il faut imaginer l’enfer : beau et terrible, à la fois ?

          S. T. : Je ne connais qu’une date : 1871. Mais l’enfer n’existe pas ! Chaque fois que je vais à l’hôpital pour me faire dialyser, je lis "Le Monde". J’y ai lu l’autre jour qu’un Monsignore du Vatican avait écrit un livre où il affirmait cela ! Et que toutes les femmes qui se sont fait piquer le cul parce qu’elles avaient fauté, avaient eu bien tort de se tracasser ! Il paraît tout de même qu’au Vatican, on le regarde un peu de travers, et qu’on lui a conseillé de prendre sa retraite !

 

Une autre histoire « de Lattier » !

 

          J. R. : Nous avons vu des Lattier un peu partout. Mais, finalement, leur connotation un peu vieillotte fait qu’ici, directement posé sur ces pierres tellement anciennes, ils ont l’air d’être « à leur place ! »

          S. T. : Voici une autre histoire de Lattier que je raconte aisément, et qui s’intitule : Dieu joue de l’accordéon. Cette œuvre était à Paris, à la Halle Saint-Pierre. Elle m’a valu un coup de téléphone d’une radio juive, Radio Shalom, qui me reprochait d’exposer les tableaux de Lattier : dans cette histoire, Lattier va au Paradis où il voit Herbert Von Karajan. Et Karajan lui dit qu’il a autrefois appartenu au Parti Nazi, et qu’il serait un jour réincarné en faucon. L’un de ses copains qui avait été déporté à Dachau et qui se targuait d’ésotérisme répliquait : "Non, moi je le sais, il sera réincarné en borne kilométrique sur la route de Beyreuth, et tous les chiens iront lui pisser dessus !" 

Continuant sa visite du Paradis, Lattier voit quelqu’un qui joue très mal de l’accordéon : c’est Dieu ! Et, un peu plus bas, il voit Karajan qui se bouche les oreilles chaque fois que le Bon Dieu prend son accordéon ! Mais malgré cela, les sons discordants lui piquent les tympans ! Lattier rappelle alors à Karajan que, pendant la guerre, il a joué dans les usines d’armements, et que, puisqu’il a appartenu au Parti Nazi, il a contribué à envoyer des petits enfants juifs au four crématoire d’Auschwitz. Au bout d’un certain temps, sur l’insistance de Lattier, Karajan dit : "Moi qui étais un dieu de la musique, je pardonne à Dieu de mal jouer de l’accordéon !" Le journaliste de Radio Shalom qui m’avait appelé me reprochait, nous reprochait, d’avoir pardonné à Karajan. Il disait : "Moi qui suis juif, je ne lui pardonne pas !". Du tac au tac, je lui réponds : "Vous auriez dû me le dire tout de suite ! Nous ne nous serions pas lancés dans une diatribe interminable ! Mon père était polonais, il habitait à Cracovie. Il était anticlérical, et il bouffait du curé autant qu’il pouvait ! Mais je regrette qu’il n’ait pas bouffé autant de Juifs que de curés !" Le téléphone était rouge à la fin de la conversation ! 

          J. R. : Nous voici dans une nouvelle cave : de qui est cette peinture intitulée …"du lieu peint d’où je vous tire la langue" ?

          S. T. Elle est de Villeneuve Andrée qui a été l’une des égéries du mouvement féministe. Cette artiste était exposée en 1974 par Alain Bourbonnais.

          Dans cette pièce, il n’y a que des œuvres d’artistes féminines, que j’ai exposées en 1970.

 

          J. R. : Et cette terrible toile/sculpture blanche ? 

         S. T. C’est une amie à moi. Cette œuvre témoigne de la sortie de l’artiste d’une chimio-thérapie. Je la montre toujours pour prouver que parfois, on "en revient" ! Et ce tableau qui ne montre que des mains est d’une femme nommée Siska… Et cette composition de personnages/télévision est en céramique.

 

 

** PIERRE RABHI : Le Gardien du feu, L’Offrande au crépuscule, La cohérence d’une vie, Du Sahara aux Cévennes ou la reconquête d’un songe.

 

Entretien réalisé au Hameau de Bayssac (Ardèche) le 7 juillet 2000.

LE PETIT MUSEE DU BIZARRE : Hameau de Bayssac, LA VILLEDIEU 07170 VILLENEUVE DE BERG. Tel : 04.75.94.83.28.

 

N.B. : Hélas ! Candide nous a quittés. Mais où qu'il soit dans les étoiles, sans doute continue-t-il de raconter ses histoires savoureuses ! Le musée n'est plus, désormais, ouvert quotidiennement. Il est donc bon de téléphoner avant de s'aventurer dans la montagne pour parvenir à son PETIT MUSEE DU BIZARRE ! 

 

Candide, expliquant à Michel Smolec une histoire de Lattier
Candide, expliquant à Michel Smolec une histoire de Lattier