La poésie écrite en vers libres, avec ses images nombreuses, ses raccourcis et ses suggestions, ses infinitifs martelant ses désarrois..., sincère,  profonde, oppose-t-elle aux  moments de plénitude à de grandes zones d’ombres... N’est-ce pas là la démarche, la préoccupation de nombre de poètes européens ? N’extériorisent-ils pas la même sensation de froid face à l’hostilité du milieu où ils vivent ; les mêmes frustrations affectives ; les mêmes enthousiasmes ; les mêmes forces et faiblesses ; les mêmes incertitudes psychologiques, exprimées avec les mots d’un même langage, mais façonnés “ autrement” ?

 

          C’est le cas, assurément pour RIRE JAUNE, VOIR ROUGE ET... SE METTRE AU VERS de JEAN-CLAUDE ROULET. Ce texte haut en couleur (sans jeu de mots) donne d’emblée au lecteur la prémonition qu’il va “s’amuser” “pour de bon” ! Et il n’est pas déçu ; car, de pseudo-mots (fatrasies...) , en pseudo-citations / humour ("Le dérisoire est mon quignon quotidien...") ; d’alphabet de fantaisie rayé d’un Z qui emmène peut-être Jean-Claude Roulet dans les fantasmagories de son enfance à courir derrière le héros mythique, en mots-valises d’alphabêtises à l’air si “vraies” qu’il faut faire effort pour ne pas les chercher dans le dictionnaire... ; l’imaginaire du poète témoigne d’un humour bon-enfant, sain et revigorant !

          Suivent des pages de jeux littéraires (adjectifs ou verbes choisis pour leurs sonorités...) ; de variations sur des mots aux résonances atypiques ou sur des morceaux de phrases faussement proverbiales ; de familiarités langagières prétendument simples (Adonc, Barbon cacochyme...), avec des mises en pages déroutantes, amusantes, etc. : bref, la langue française mise “à bien” par les élucubrations et facéties de l’auteur !

          Sans oublier ces amusants pictogrammes disséminés entre les textes, comme au téléphone on griffonne machinalement sur un texte grave ! 

          Et du grave, Jean-Claude Roulet en propose à revendre ; obligeant son lecteur à une gymnastique qui va de l’Histoire à l’histoire, de la Culture à la culture (potagère, même, pour aller au bout de la banalité), de la Morale à la morale du genre “Gardons-nous sagement d’être trop chaud lapin” ! Parodies (La Fontaine, Verlaine y sont dûment “saccagés” !) et associations d’idées (“Le rhum est haut, mais Julie est à..” ) Lui font faire des allers-retours des plus hauts sommets (la belle Aude...) aux bas-fonds dont naguère on ne parlait qu’à mots couverts (ils étaient bien les seuls, d’ailleurs, car “elle traque le richard, Marthe...”) aux mésaventures tristement célèbres (Marie-Madeleine et les pieds du Christ...) À la littérature (Simone de Beauvoir, Hélène de Troie...). Même les noms de médicaments (“Citrate de Bétaïne”...) viennent à la rescousse. Jusqu’au moment où la gouaille de Jean-Claude Roulet laisse coi ce lecteur dépassé par des allusions qui n’entrent plus dans ses propres références ! Mais comme il n’est pas rancunier, il passe aux adages-contrepèteries ; arrive à la poésie pure, surpris de nouveau du goût inné et du sens du mot (héliolâtre, Stryge et sphynge...) que possède Jean-Claude Roulet...

          Grâce à qui, l’espace d’un recueil, il est possible de “rire rouge” (de honte, d’avoir comparativement, si piètre vocabulaire !) ; “voir jaune” (d’envie, face à cette grande houle de gaieté poétique !) ; mais, décidément “avec” lui (parce qu’on le sent “complice” et jamais arrogant, malgré son brio !), se mettre... au vers !

Jeanine RIVAIS

 

"RIRE JAUNE, VOIR ROUGE ET... SE METTRE AU VERS" de JEAN-CLAUDE ROULET (1994). Editions Soleil Natal.