Chaque année, le restaurant Drouant accueille avec la même convivialité le lauréat du Prix Apollinaire de poésie, auquel il offre, de plus, une somme substantielle. Ce prix couronne une œuvre poétique en prose ou en vers libres. 2001 a récompensé « Temps criblé »,  d’Alain Lance, recueil d’environ 300 poèmes écrits entre 1970 et aujourd’hui. 

Par « temps criblé », il faut entendre aussi bien « passé au tamis » que « transpercé, accablé d’une quantité de maux ». Ce qui, d’emblée, implique une gravité de ton, de la part d’un auteur né avec la Deuxième Guerre Mondiale, et qui semble n’avoir connu depuis que « Bombes, ruines, exodes, prisonniers… », car dans son monde, la torture et « Les armes sont (toujours) prêtes, elles attendent des ordres ».

« Temps criblé » est sa façon de dénoncer les horreurs de ce temps, conjurer par ses « mots » (et certains sont d’une force inouïe), les « maux » de cet univers bouleversé. D’où une poésie tendue, concentrée à l’excès sur son propos, originale et mordante ; avec parfois, le temps de reprendre son souffle et peut-être de retrouver un tout petit peu d’espoir, d’optimisme, de verve et d’ironie à opposer à son désenchantement, un clin d’œil à ses grands prédécesseurs (Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire)… (Comme ce poème intitulé « Depuis le dix-neuvième siècle, l’espérance de vie antérieure a considérablement augmenté » et qui développe comme une mélopée « J’ai longtemps remonté des boîtes à musique »… jusqu’à 27 vers plus loin, terminés par des rimes en « ique », « J’ai longtemps vérifié le compte syllabique/ J’ai longtemps habité sous de vastes portiques »).

 Mais, aussitôt après, comme un leitmotiv, revient la conscience que « Les espoirs ne manquent ni les batailles/On se souvient on oublie tout autant ».

Alain Lance, lui dont la poésie est la seule arme, semble ne rien vouloir oublier.

Jeanine RIVAIS

 

TEMPS CRIBLE : Alain Lance. Ed. Obsidiane et Le temps qu’il fait. 136p. 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 44 DE NOVEMBRE 2001 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.

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DISCOURS DE GEORGES-EMMANUEL CLANCIER :

"Le 63e Prix Apollinaire a été décerné à excellent poète Alain Lance pour son très beau recueil intitulé TEMPS CRIBLE coédité par les éditions Obsidiane et Le temps qu’il fait.

Temps criblé : Ce titre couvre le « temps criblé » comme temps passé au tamis ou criblé de maux et peut-être de mots qui sont la façon du poète et particulièrement à Alain Lance de répondre aux mots et à nous délivrer de ces maux.

La préface donne une clé essentielle de sa poésie, dans la mesure où elle répond auxcirconstances biographiques et historiques de sa naissance.

A propos de naissance, Alain Lance a vu le jour au début de la Deuxième Guerre mondiale. Sa petite enfance qui s'est déroulée pendant ces atroces années, jette un écho constant, une réponse sur la parole future, maintenant présente du poète.

Le temps du poème est une façon de sauver le temps perdu par l’histoire. Le temps caché par l’histoire.

"Temps criblé" est une façon de dénoncer les horreurs du temps et aussi de sauver  le temps, d’apporter une intensité et une qualité nécessaire et profonde.

Temps transpercé, accablé d’une quantité de mots, quelque chose comme des impacts, des traces de balles qui, bien que vécues dans la conscience diffuse de ses toutes premières années, ont marqué l’auteur de leur fracas et de leur angoisse et chez lui nécessité de conjurer par le jeu des mots ce fracas de cette angoisse »