Dira-t-on jamais assez l’importance des blancs dans la poésie : tantôt attestation d’absence ; tantôt détente, repos après le dur labeur des mots ; géographie prêtant sa neutralité à toutes les tempêtes, à toutes les plénitudes…

          Chez DENISE BORIAS, les blancs semblent découper le temps, permettre au poète d’égrener ses "Moments donnés", comme tintent, nettement détachées, les heures aux pendules d’antan. Ces plages vierges dans lesquelles sont disséminés les mots donnent  à ses vers déstructurés, à cette écriture fragmentée, faite de mots clos sur eux-mêmes, l’air de cascader comme l’eau cristalline jusqu’au bas de la page, égoutter en un leitmotiv les impressions intimes qui ruissellent avec les éléments, (lesquels semblent prendre toute la place dans la vie de l’auteur) ; onduler telles des rêveries s’écoulant sans soubresauts d’un état d’âme à un autre (mais en fait, sont-ils différents ? Ne s’agit-il pas d’une unique situation de repos où le poète est en totale harmonie avec elle-même et avec ce qui l’entoure ?) ; s’égrener au fil des saisons ; vivre avec le va-et-vient  des " prés / grisés de fleurs ", de " la montagne (qui) rythme / la germination des ans ", de la brume ou la pluie, du soleil ou la neige… de " l’arbre et l’automne (qui) célèbrent leurs noces "… 

          Avant même de se familiariser avec lui, il n’est que de feuilleter ce petit ouvrage, pour "savoir", par cet écoulement de mots page à page, à quel degré infini  Denise Borias vit en symbiose avec la nature. Et pourtant, la lecture révèle qu’elle "sait" prendre du recul, disant "tu" comme se parlant à elle-même, provoquant un interlocuteur favori qui est un autre elle-même, se regardant vivre avec tendresse, et un brin d’humour, dans cette nature multiple, multiforme et toujours la même… 

          Certitude subséquente, dans cette paradoxale continuité / diversité de ses " Moments donnés ", elle a trouvé, par ses assemblages brillants (" offrande d’écume / gravure éphémère "…), par ses images ciselées (" le hêtre aux feuilles nomades "… " cette mosaïque composée par le vent "…) ; par les sonorités cristallines (" Une goutte de pluie / donne / à la fleur / son regard "…) ou sourdes (" …et pousse vers le roc/ ce message de sel  / où le schiste / trouve son étoile "…) une expression très personnelle, un style élégant et musical.

Jeanine RIVAIS 

 

Cette auteure a obtenu le Prix Artaud, 1981 pour Saisons du corps,Editions Rougerie. 

 

Denise BORIAS : Instants donnés. L’Arbre à paroles, Maison de la poésie d’Amay, 50, Grand Route. 4540. AMAY. Belgique.