Au fond, l’esprit du poète a-t-il tellement changé depuis le XIXe siècle où Victor Hugo ou Chateaubriand contemplaient, l’œil rivé sur l’horizon, le paysage marin qui se modifiait d’un instant à l’autre, sous leurs yeux ? Il semble bien que, pour ROGER GONNET , l’emprise des éléments soit aussi profonde aujourd’hui qu’elle le fut naguère pour ses prédécesseurs ! C’est du moins ce qui ressort de ce petit ouvrage intitulé "Parole à marée haute" pour lequel il a obtenu le "Prix Froissart-Jean Dauby". 

Certes le style a changé, mais s’élève (se soulève), dans ce recueil de courts poèmes en prose, la même fascination pour la mer, le même élan face aux éléments, la même volonté et le même besoin de communication avec la nature, la même aspiration vers l’infini et la même  retenue des larmes (qui) attend l’étiage", la même impuissance pour l’homme/le poète d’être à l’échelle de son environnement, à cause peut-être de "la vase sur les yeux, l’encre sur les lèvres…". D’autant que cette confrontation se passe "à marée haute", moment où s’expriment la quintessence de l’air, des couleurs, des bruits, où l’infini semble encore plus infini et l’éternité plus éternelle ; tandis que l’homme "teste le vieillissement des cellules à l’infime différence du parcours de la main sur la fourche du temps".

Extrêmement attentif au sens, à la musique et aux nuances des mots, Roger Gonnet l’est aussi aux images. Au point qu’il n’est pas un groupe de souffle qui n’en porte une, métaphorique ou simple comparaison, dans cet hommage aux "images fracassées entre les pierres (qui) font le lit des sommeils agités, le nid des étoiles disparues" : chaque phrase, chaque ligne EST une image, en un kaléidoscope de sensations derrière lequel se réfugie l’auteur : images banales du quotidien roulant sur la langue ou sur la peau "la confiture des paroles, les petits soleils sur le chaudron"…Images brutales de  "la tête sur l’oreiller comme le melon sur l’étal"… Images précieuses, au contraire, faites de "mots dits pour personne, que le vent ou l’oreille cueille au passage "… Et, lorsque le poète est à bout de pudeur pour décrire la gamme de ses sentiments, il se fait goguenard, et en un conditionnel inattendu et une formule lapidaire, il se moque de lui : "Pour un peu, on s’arrêterait devant de tels bijoux avant que l’ombre les dérobe…"

Roger Gonnet est, incontestablement, l’un des plus remarquables imagiers de notre temps, chantre de la nature, du cycle de la nature, de la mer, de la mer "à marée haute" où il faut  le sable et ses milliards de menus " moments " pour raconter le "pays de la mémoire ", de ce moment si plein de menace et de gloire où la mer vient vers l’homme et l’homme tend vers elle, où s’engage entre eux un dialogue / rapport de force / rapport de charme… et où, irrémédiablement,  l’homme prend conscience de sa faiblesse infinie ; mais où, poussé dans ses retranchements les plus intimes, il conquiert la " parole " (l’importance de ce mot employé au singulier !) pour dire cette " Toile où l’œil glisse sans voir "… 

Jeanine RIVAIS

 

ROGER GONNET : "PAROLE A MAREE HAUTE" : 2001.  Edition Carnets Froissart.

Ce recueil a obtenu le Prix Froissart-Jean Dauby.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2001.