Jeanine Fortin est peintre et poète.
Poète, ses chats et tous les chats errants du monde ont-ils bien apprécié l’exergue d’une dame qui les assure de son amour profond, exprimé avec Griffes et graffiti, et dans lequel elle leur dédie poème après poème ?
Que ces animaux fassent patte de velours ou signent de graffiti sanglants des peaux délicates, nombre d’écrivains ont, de leur plume, griffé pour eux, mille pages blanches ; à la recherche du mot qui décrit le mieux ici un dos rond, là une moustache, ailleurs un pelage soyeux... Mais c’était à des époques où il n’était pas incongru d’étaler des sentiments un peu naïfs. Jeanine Fortin les rejoint dans un temps où de tels épanchements sont beaucoup plus inattendus ! Rien de mièvre, pourtant, dans ses courts poèmes, tantôt au présent, tantôt au passé, amusés, graves, tendres... descriptifs ou apostrophes directes, écrits avec un sens aigu de l’image... Allant des yeux “grains de raisins” du chat “sous la charmille” ; à “la queue long chaton roux” de celui qui aiguise ses griffes dans “le noisetier d’hiver” ; à celui qui “se dresse comme un mât” près d’une chaloupe ; ou qui “a grise mine couvert de poussier gris” et “s’appelle Grisou” ; ou plus inattendu, a “pattes jointes à prier dans un confessionnal”...
Le style du poète est comparable à celui de nombre de ses collègues contemporains ; rimant ou déclinant en vers libres, le nom, la spécificité, presque le pedigree, depuis le chat de gouttière jusqu’au “siamois / (qui) fait l’offrande / de ses coupes de jade / au pied d’un temple d’or”.
Mais ce qui caractérise surtout Jeannine Fortin, c’est un grand sens de l’humour qui lui permet de “voyager” de chat en chat, en une quarantaine de variations situationnelles, contextuelles et circonstancielles ; de “rencontres”, prétextes à vagabondages, rôdant du “grigri porte-bonheur” à “un estaminet / où l’on peut aller boire l’anis clair d’un regard”... ou encore à proximité d’un minaret où les “émeraudes phosphorescentes” (d’un) minet croisent le regard d’une chatte... à la “fée Viviane (qui) a levé sa baguette magique sur la lande sans fin”...
Un recueil câlin et félin ; écrit par une artiste vibrante de bien-être existentiel ; et dont les pérégrinations poétiques se lisent avec un ronronnement de plaisir !
Peintre, Jeannine Fortin part quelquefois vers des horizons hors d’atteinte, projetant sur de précieux papiers sauvages japonais ou chinois, de gigantesques explosions de couleurs, entrelacs complexes de lignes colorées, semblables à ces flammes tourbillonnantes, mêlées d’herbes et de fumées, qu’attiserait un vent violent ! En d’autres temps, immenses gerbes florales, organisées, jaillissantes, aux pétales pointus, fouissant de leurs dards des magmas diffus, comme l’on imagine des antennes explorant les profondeurs cosmiques : itinéraires tellement intenses qu’ils font penser à des moments de prière où l’artiste se trouverait en relation directe et absolue avec son Dieu des espaces intersidéraux ! Parfois encore, elle crée des “paysages” presque “terrestres”, différents des précédents en tout cas, retours peut-être à des rythmes aux violences plus supportables, malgré le chaos qu’ils impliquent : elle entasse alors comme après quelque juggernaut, des rochers sur lesquels sont gravés des silhouettes animales, les contours de faciès humanoïdes...
De telles expressions picturales témoignent d’une implication si profonde de la créatrice, qu’il lui faut sans doute impérativement revenir à plus de calme, de sérénité et de douceur. Alors, elle “rentre chez elle” ; retombe dans la réalité quotidienne de son quartier ; se ressource en répétant sur la toile l’attachement qu’elle ressent pour son environnement de l’Est parisien : Paradoxe seulement apparent, car relèvent des mêmes recherches formelles que ses préoccupations semi-abstraites ; de la même sincérité, du même amour, du même sens de la lumière , du même goût des harmonies de couleurs bien qu’ici elles soient très douces... bref, du même esprit créatif, ses petits jardins intimes ; ses porches chargés de fleurs ; ses amorces de rues prises en plongée depuis le pied d’un arbre qui les domine de sa haute stature ; ses murs gris d’églises où se posent des pigeons ; ses petits personnages arpentant les trottoirs pavés ; ses chiens flairant des réverbères dont le halo incertain fait la nique à la lune...
En somme, au bord du rêve, lyrique et créatrice d’une sorte de mythologie personnelle très mystique ; ou le nez collé sur les infimes détails d’un paysage de facture naïve, Jeannine Fortin est une artiste authentique et originale, taraudée par la volonté, par l’absolue nécessité de “dire” !
Jeanine RIVAIS
VENISE
Sous un tricorne
de poils
un loup de velours
ombrage
ses yeux pers.
L'éventail fermé de sa queue
entraîne le silence
pour une danse...
La gondole d'une flaque
embarque
la lune
pour une mystérieuse
ronde
de nuit...
JEANNINE FORTIN : “GRIFFES ET GRAFFITI”, Galerie-librairie-Racine, 23, rue Racine
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2001.