Les Prix Apollinaire se suivent dans le prestigieux Restaurant Drouant qui, depuis bien des années, leur sert de mécène. Mais ne se ressemblent pas : témoignages de l’éclectisme du jury, composé du fleuron de la littérature française (G.E. Clancier, Robert sabatier, Jean L’Anselme, etc.) Et preuve de l’infinie diversité, de la richesse de la création poétique : 1998, en couronnant Anise Koltz, célébrait  –fait rarissime dans les annales du Prix-- une oeuvre féminine infiniment désespérée. 1999 a repris la tradition et attribué le Prix à CLAUDE MOURTHE, homme de radio, de télévision et de cinéma, romancier et avant tout poète, pour son recueil intitulé "DIT PLUS BAS".

 

          Cet ouvrage s’articule en trois parties. La première, "Bruits du jardin", est comme un journal annoté quotidiennement d’un vendredi au suivant. C’est le temps où l’auteur dit “je”, “me”... celui de l’intimité au jour le jour ; exprimée à petites touches sensuelles, pointillées comme par le pinceau de quelque peintre impressionniste ; mi-sérieuses ("La nuit rêche a purifié l’air / des déchets de la journée") et mi-humoristiques ("Bruyant le journal du jour / dans la trappe de la boîte aux lettres...") ; mi-simplistes, voire banales ("...se met à ronchonner de tous ses moteurs gras..".) Et mi-sophistiquées, précieuses ("ses ors effrangés / ses odeurs délétères...") ; tantôt légères ("Le rossignol a bu un coup de gnole"), tantôt graves ("on sait que plus jamais on ne sera heureux..."), etc.

          Chapitre vif et saisissant par la justesse, l’évidence des images choisies. S’y succèdent ou s’y entremêlent bruits, parfums, scènes de l’environnement du poète, réelles ou imaginaires, contemporaines ou évoquant de lointains souvenirs, créant de fantasmagoriques voyages... Jusqu’au moment où, enfin, Claude Mourthé dit “nous”, “Nous avons trouvé / sans nous en rendre compte, / la plus belle saison / et posons pied à terre après ce tour de ronde”.

          Toutes ces péripéties sont “vécues” dans la quotidienneté omniprésente, et la récurrence d’une véranda, lieu privilégié d’où partent les pensées chargées de rêves de l’auteur ; comme si la transparence de cette verrière lui était à la fois protection contre les intempéries, ouverture sur le jardin et peut-être symbole de la fragilité du bonheur !

 

          Le deuxième passage est très court. "L’oiseau exigeant" est le moment du souvenir (des)" amours auxquelles aucun au-delà n’était promis", le moment du" regret des années passées / (du) remords de ne pas avoir assez aimé". Il est le temps de la prise de conscience ; conscience que le monde peut changer... qu’il changera.

 

          Cette mutation aura lieu dans "Dit plus bas" (chapitre qui donne le titre au recueil) : car désormais, Claude Mourthé évoque la femme aimée, depuis l’émotion de la première rencontre, avec la peur de ce bonheur encore indécis dont il connaît maintenant le caractère éphémère. Avec beaucoup de pudeur, il explore les menus instants vécus à deux. En filigrane, se devine la nostalgie des tabous d’autrefois qui donnaient au couple le temps d’acquérir des certitudes. Car la plupart de celles du poète sont au conditionnel. Aujourd’hui n’est que le temps des “si”, “si nous aimions en suffisance... si... si nous étions certains qu’au moment de mourir / l’autre rejoindrait l’un...”

          Beaucoup plus posé, plus réfléchi, aboutissement de la quête des deux précédents, est ce chapitre de l’âge mûr. Celui du renoncement aux rêves fous pour la sécurité des confitures et du "pot-au-feu bien mijoté". Récitatif passant comme les humeurs de l’écrivain, du noir au clair ou l’inverse. Pour trouver son point d’orgue à la première ride de l’autre, au premier cheveu gris, jusqu’au temps ultime où "sans regret ni remords", “Ulysse” enfin mentalement rentré à la maison, "l’histoire finit là". Et l’absence de ponctuation suggère qu’il existe bien une suite ; mais que désormais ce couple heureux n’a plus... d’histoire.

 

          "Dit plus bas", est un beau livre d’amour intimiste, conçu dans un style à la fois personnel, libre et finement élaboré. Dans notre sombre fin de siècle, un recueil bien écrit et tout compte fait optimiste, est une perle rare !

Jeanine RIVAIS

 

L'auteur a reçu le prix Apollinaire 1999 pour son recueil Dit plus bas. Au théâtre, il a reçu le prix du Casino d'Enghien-SACD pour sa pièce Le Questionnaire (1969) créée la même année dans une mise en scène de Raymond Paquet et un décor de Sempé, avec Maurice Chevit et Pierre Hatet.

Il a reçu le prix Chateaubriand et du rayonnement français pour Soudain l'éternité,

 

Dit plus bas : Editions du Castor astral (1999).

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999.