Voilà bien longtemps que Marcel Hennart a avoué : "Je suis coupable à tout jamais d’un cri de vie / Coupable de vie, d’amour, de poésie".

Coupable de poésie, l’évidence en a accompagné son existence : Une poésie baignée de musique, puisque dès l’enfance, son oreille en a été imprégnée par sa famille. Grâce à cette initiation, grâce aussi à la tenue d’un journal qui a scandé les moments de sa vie, il a d’emblée trouvé pour ses vers une construction périodique, un balancement rythmique ; en même temps que, point et contrepoint de ces rythmes, des mots astreignants, ("Tunnel", "geôle", "gouffre", "labyrinthe") et des choix antinomiques attestaient très tôt de la dualité de l’âme et du corps et de la difficulté d’être du poète ("… Avec mon poids de ciel / Mon poids de boue"). Car toujours, en effet, Marcel Hennart s’est senti à l’étroit dans le monde, en a refusé la réalité pour laisser plus de place au rêve ; a foui jusqu’au tréfonds des mots pour en capter l’essence, afin de donner au poète la préséance sur l’homme. Tout en étant, à l’égard de l’un et l’autre, d’une extrême rigueur : "… dans la république des mots, logomache, je cherche l’illusoire… Et ce n’est que bruit, ce n’est que fureur… Sur les planches crevées qui crient la vérité…".

Coupable de vie, de façon aussi évidente que pour la poésie, en quête de sa vérité intérieure ; en quête d’autrui, également, de tout être vivant, miroir de lui-même, de ses rêves et de ses aspirations d’homme qui, chaque fois retombent dans les rêves et les aspirations du poète… En quête métaphysique de son espace cosmique susceptible d’étayer ses fantasmes et d’en assurer la plénitude : "Le ciel est bon / Il est un nid / Je l’ai rêvé / J’attends l’aurore au fond de l’œuf". Ce qui n’exclut nullement le choix d’une éthique rigoureuse, d’un engagement de l’homme et du poète indissociables ; dénonçant les anomalies sociales, vilipendant les fauteurs de guerre ("O temps sans guerre / Pauvres corbeaux mourant de faim en notre absence…") ; stigmatisant les lâches incapables d’assumer leur responsabilité de la violence qui règne sur le monde ("Tes mains qui sacrifient sont toujours blanches comme la neige…")

Coupable d’amour, enfin, qui, comme la poésie (parce qu’il est poésie), a illuminé sa vie : Toujours en quête d’absolu, l’auteur l’a, au fil des décennies, cherché comme le Graal à travers l’espace et le temps, dans tous les moments où "La nuit d’un corps s’ouvre (au) baiser", d’Orphée à Guenièvre, de Morgane à Iseult… tantôt charnel, tantôt platonique, tantôt dans son ambivalence, entre instinct et sacré ; de la plus pure extase à la cruelle souffrance née de la conscience que même l’amour le plus authentique, le plus profond ne supprime pas la solitude, ne génère pas l’éternité de "L’homme et la femme un instant figés dans leur fuite, / Dos à dos, collés dans l’accord d’un refus, / L’homme et la femme blessés par un cri commun…". Fort de ce savoir, Marcel Hennart continue donc imperturbablement à chercher son Dieu à tous les horizons, dans les échos de tous les mots qu’il dépose sur le papier, pour dire ses joies et ses peines. A défaut de cette impossible découverte, son esprit épris de beauté totale s’immerge dans la "Lumière entre (ses) doigts / Et qui paraît s’éteindre / Et se nourrit de (sa) chaleur…"

 

          La lumière, Marcel Hennart l’a, avec Les trois diamants de la couronne, trouvée en Espagne, l’Espagne traditionnelle : dans "Cordoue, tranquille et blanche…" ; dans "Le vol d’un pigeon blanc" de la "Torre de la Malmuerte" ; dans les "rochers gris" de Tolède et sa cathédrale où ruisselle "tout l’or volé aux Indiens…". Recueil profondément mystique, par la puissance concentrée des sentiments ; empreint de la gravité des lieux générée par le contraste entre cette lumière évoquée à l’instant et les ombres profondes ("et sans doute était-ce de ciel que Thérèse brodait au fil des jours la lumière future au fond de l’ombre") Moments psychologiques imprégnés à la fois de révérence liée à la grandeur et la beauté infinie de ces lieux ; et d’angoisse du passage du temps face à leur immutabilité, avec deux mots récurrents, traduisant cette ambivalence : "Terre" et "morts". Lieux pourtant dont "Sans doute une fleur, la moindre, contient le secret" et dont l’auteur souhaite "à leur souffle, à leurs bouches humides, humer un paradis à (sa) mesure".

 

          Le souffle ! n’est-il pas, par essence, synonyme d’éphémère ? d’aléatoire ? Sans doute est-ce pour cette raison que le dernier ouvrage de Marcel Hennart s’intitule "Aventure d’un souffle" ? Ce recueil semble celui du souvenir, du regret peut-être, du deuil sûrement : "Tout n’était plus que nuit, que froid sous les voûtes / et ce n’était un souvenir mais la vie tout entière / en ce cercueil qui bloquait l’entrée de l’église / où ton ombre peut-être / restait muette obstinément…" ; de l’imaginaire et du fantasme désabusés, parvenus … à bout de souffle, au point que l’auteur écrit, comme en un dédoublement de sa personnalité, et parlant à Eurydice qui, pourtant a allumé ses rêves depuis des décennies : "Est-ce moi, est-ce toi qui SE dérobe ?" ; moments intenses, passant de l’alternance de la joie (gorgée de soleil, goût d’été) ; à la tristesse ("Tout n’est que vide et tout est vain"), si lourde qu’il va jusqu’à employer un raccourci d’une rare audace comme ce "…tant de fureur pour ne pas entendre QUI vient le bruit de sa mort" où il fond deux phrases "ne pas entendre qui vient", "ne pas entendre le bruit de sa mort", comme s’il savait que l’un et l’autre ne font qu’un !

          Si l’imagination poétique tourne de plus en plus autour de l’omniprésence de la mort, la faculté d’écrire reste pourtant intacte et la gymnastique lexicale à laquelle se livre Marcel Hennart témoigne d’une grande force de vie, d’une véritable gourmandise à sentir sur la langue rouler les mots et les sonorités, au point que lorsqu’il déclare, impliquant sa lutte contre les facilités de style, "ne fallait-il pas que la main soit ignorante en son refus au désir de la plume", le lecteur se demande jusqu’où il serait allé si la main avait été "consentante" ?

          Ainsi donc l’homme et le poète cheminent-ils côte à côte, le second définissant les angoisses du premier, sa volonté de vie et sa peur atavique, avec pour réconfort la certitude que si "la mort déjà a sa demeure et se hâte avec lui",

" sans doute toute nuit est aurore qui attend d’être lavée de sa nuit,

la terre est mère, est océan, qui nous enfante et nous recouvre,

elle façonne nos gestes de germe

alimentant de sa pérennité le bref instant mouillé de notre souffle

 

ô difficile lumière de l’homme !"

Nul doute que malgré tout, Marcel Hennart saura longtemps encore la capter, avec la richesse poétique qui lui est si personnelle !

 Jeanine RIVAIS

Les trois diamants de la couronne: Editions associatives Clapas, rue de la Plume (chez M. Chinonis), 12520. AGUESSAC. .

Aventure d’un souffle : Editions Rougerie MORTEMART (87).

Prix obtenus

 

• Prix Interfrance, pour Miroir multiple, en 1955

• Prix Ilarie Voronca des Journées de Rodez, pour Dimensions de l'eau, en 1964

• Prix Van Lerberghe de la Maison de Poésie à Paris, pour l'ensemble de son oeuvre, en 1967

• Prix Louis Guillaume du Poème en prose, pour Abeilles éblouies, en 1973

• Prix Claude Sernet des Journées de Rodez, pour Je pluriel et singulier, en 1984

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1996.