SYLVAIN STAELENS ET GHISLAINE CORALLINI

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : En venant, l’autre jour, regarder vos œuvres, j’ai été incapable de déterminer s’il s’agissait de bois ou de métal rouillé. Elles ont en fait l’air d’être en bois corrodé, dévoré par des insectes, et sont couvertes d’éclats de métal, de clous… Qu’en est-il ?

          Sylvain Staelens : C’est du bois. Auquel nous essayons de donner, en le recouvrant de sable très fin, un aspect de pierre ; de pierre volcanique. Quelque chose de brûlé, en tout cas.

 

          J. R. : Alors, pourquoi et comment ?

         S. S. : Parce que nous voulons que ce matériau soit brut. Qu’il ait l’air de sortir de la terre.

Ghislaine Corallini : Chaque partie est formée de différentes couches que nous ajoutons au fur et à mesure de la sculpture. Nous aimons bien les tons foncés, pierreux ; mélanger le minéral et le végétal. Nous sommes très sombres, et nous aimons les couleurs sombres. Nous aimons faire des reliefs qui aient l’air d’être composés de tels mélanges. Nous procédons de cette manière pour que notre travail ait l’aspect terreux, sableux. 

 

          J. R. : Ce sont des pigments qui créent cet aspect ?

         S. S. : Non. Ce sont des pierres que nous remettons par-dessus. Après, nous rajoutons les pigments, des teintures, de la peinture… 

 

       J. R. : Comment appelez-vous de telles œuvres ? Des totems ? Des objets à connotation religieuse ?

        G. C. : En fait, nous avons intitulé celui-ci « Viscéral » parce que…

        S. S. : Ce sont des gens. Cette notion est pour nous très importante.

 

       J. R. : Par leurs couleurs, par cet aspect ramassé sur elles-mêmes, certaines sculptures m’ont fait penser à des sculptures maléfiques africaines, où l’artiste enfonce des clous partout dans le corps de son personnage. 

       D’autres fois, l’ensemble est tellement informel que vous semblez avoir « ramassé », presque aggloméré les matériaux ? L’un d’eux me fait plutôt penser à un nid. En fait, à la fois la branche et le nid. 

          S. S. : En effet. On peut les considérer comme des objets de culte. 

          G. C. : Celui que vous évoquez s’intitule « Le nid de la pensée ».

 

        J. R. : Pour certaines œuvres, vous avez créé un parfait équilibre. D’autres, au contraire sont en total déséquilibre, entre le foisonnement et la raideur. Pourquoi ?

      S. S. : C’est la même chose pour les gens : l’extérieur est raide et ils sont vivants à l’intérieur. Tout dépend si, dans notre esprit, nous avons voulu ou non intérioriser des sentiments…

 

      J. R. : Vous dites « nous », avec un parfait ensemble. Pouvez-vous déterminer la part de chacun dans vos créations ? Et comment vous procédez ? L’un de vous a-t-il une idée préconçue ?

       S. S. : Nous commençons toujours ensemble. Ensuite, nous nous influençons l’un l’autre. Mais toujours nous travaillons à deux sur chaque sculpture.

      G. C. : Il est vrai que nos démarrages de sculptures sont différents. Chacun de nous a sa façon de travailler. Chacun participe à sa manière à l’avancée du travail. Chacun le relance. Nous nous complétons.

 

       J. R. : Arrive-t-il que vous ne puissiez pas vous mettre d’accord sur une sculpture ?

Les deux : Non. Non. Jamais.

     S. S. : Si nous ne sommes pas vraiment d’accord, l’un prend le contrôle et la termine. 

 

     J. R. : Quand vous êtes ainsi dans le monde de « la concession », lequel de vous deux a le plus d’influence ? Lequel agit davantage sur le côté « mélange » et sur le côté « rectiligne » ? En fait, lequel introduit la géométrie dans ce monde complètement ébouriffé ?

      G. C. : Moi, j’aime bien la géométrie… Mais Sylvain …

      S. S. : Moi je suis toujours très rigoureux, très carré. 

      G. C. : Il a commencé un grand mural dans lequel il emploie de grandes lignes précises…

     S. S. : Tout cela pour dire que notre coopération ne rencontre pas trop de problèmes. Que nous sommes bien à travailler ensemble.

      G. C. : Très souvent, on nous dit que ce genre de fonctionnement est très rare. 

 

       J. R. : Et qu’est-ce qui vous a amenés à cette création commune ?

      G. C. : Nous étions dans l’audiovisuel, dans le monde du spectacle ; et cela ne nous convenait pas du tout. Moi, je ne me voyais pas travailler toute ma vie dans un bureau… Nous cherchions notre voie…

      S. S. : Et cette idée nous est tombée dessus comme un cadeau. 

 

       J. R. : Finalement, votre création est un univers très structuré. Qu’y a-t-il de différent ?

       S . S. : Oui. Mais nous étions très mal dans l’autre. Celui-ci est notre monde. 

      G. C. : Nous avons passé deux mois en Auvergne. Et cela a été le déclencheur. En pleine nature. Cela ne nous était jamais arrivé. Cette volonté de changement nous est tombée dessus comme par magie. Nous avons ramassé sans arrêt des pierres, toutes sortes d’objets. Nous avons commencé par des petits personnages, des petits châteaux un peu fantastiques. Puis, cela a évolué. Nous avons commencé à faire des petits objets plus fermés… Maintenant, nous nous étendons beaucoup plus. 

 

      J. R. : Ce qui est tout de même évident dans ces enchevêtrements que vous créez et qui semblent vraiment inextricables, c’est la récurrence d’une forme ovoïde. Comme si, en fait, tous vos personnages étaient enfermés dans un œuf ?

      Les deux : Oui. Oui. 

    G. C. : C’est cela. Dès le début, nous avons eu cette préoccupation. Le nid… Nous avions intitulé une oeuvre « Cocon ». 

 

       J. R. : Est-ce une manière de vous affirmer tous les deux en autarcie ? Cette volonté de vous compléter, de ne faire qu’un dans une œuvre est aussi une manière de vous isoler. En fait, quand vous êtes tous les deux, vous n’êtes jamais « un » et « un », vous êtes « deux » qui ne font qu’ « un ». 

     G. C. : Oui. Tout à fait. A la limite, nous ne nous parlons même pas. L’un travaille en haut, l’autre en bas. L’un installe tel objet ici, l’autre là… C’est merveilleux. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.