Jeanine Rivais : Amédéo Plaza, êtes-vous d’accord pour que l’on évoque, parlant de votre travail, l’obsession du petit carré ? Peut-on dire que chaque petit carré porte une scène indépendante des autres, ou sont-ils reliés par un fil conducteur ?
Amédéo Plaza : Voilà cinq ou six ans que dure cette façon de travailler sur des petits carrés. Chacun porte une scène indépendante. Chaque petite peinture est différente. Bien sûr, il existe toujours un lien, parce que c’est moi qui les ai toutes conçues, et mon intériorité est toujours la même. Mais le thème est toujours différent.
J. R. : Il me semble quand même qu’il existe un thème récurrent, c’est l’idée du spectacle, le théâtre ?
A. P. : Certainement, parce que ce que certains expriment en parole, je l’exprime dans ma peinture. Chaque tableau exprime un moment de la vie.
J. R. : Ce travail est si minutieux, tellement fin, qu’il est difficile de déterminer si c’est du dessin ou de la peinture ?
A. P. : C’est de la peinture acrylique sur carton.
J. R. : Pour un travail aussi précis, on vous imagine le nez collé sur chaque petit carré…
A. P. : J’ai fait de grands formats, parce que j’ai travaillé dans la publicité en France. Et, en Espagne, j’avais même fait de la peinture murale. Mais quand je suis sur ces petits carrés, je me sens complètement « dedans ». Au début, quand j’en ai eu terminé quelques-uns, cela me plaisait tellement que j’ai décidé d’en faire tous les jours.
J. R. : Si je regarde petite plage par petite plage, je m’aperçois que chacune est absolument remplie, prête à déborder… Que d’autres, au contraire, ont un seul petit personnage. Comment vous déterminez-vous pour l’une ou l’autre situation ?
A. P. : Si je réalise pendant plusieurs jours des peintures un peu chargées, après j’ai besoin de faire autre chose. Les tableaux, comme nous venons de le dire, se ressemblent parce que c’est la même main qui les a faits. Mais je tiens à ce qu’ils soient très différents les uns des autres. Je n’aime pas répéter les mêmes couleurs ou les mêmes thèmes.
J. R. : Il y a tout de même beaucoup d’érotisme, dans votre travail. C’est encore un lien entre les éléments.
A. P. : Un peu, oui… C’est à la limite de l’érotisme. Certains un peu plus que d’autres… Mais je ne voudrais surtout pas tomber dans la pornographie.
J. R. : Je n’avais surtout pas pensé à la pornographie. Je trouve que cet érotisme gentil, seulement un peu coquin, apporte du piquant à votre œuvre. Vos œuvres sont toujours très pudiques, et jouer entre les plages très sérieuses et les plages un peu coquines, crée un côté ludique dans votre travail.
A. P. : Cela procède du rythme de la vie. Actuellement, l’érotisme occupe une place prépondérante dans notre civilisation.
J. R. : Vous vivez en France depuis très longtemps. Peut-on dire néanmoins que votre atavisme espagnol joue beaucoup dans votre création ?
A. P. : Certainement. Je pense bien sûr à mon pays d’où je suis parti depuis trente-cinq ans. Mais je ne suis pas pour les corridas … Je trouve que c’est trop dur… Par contre, le spectacle des gens m’intéresse.
J. R. : Nous en revenons donc à la notion de spectacle dans vos œuvres. D’ailleurs, vos personnages regardent tous « devant », comme s’ils fixaient le spectateur en disant « je suis la vedette ».
A. P. : Je pourrais dire la même chose de moi : Je suis la vedette, mais je suis toujours caché. C’est la première fois que je sors ainsi. Il y a très longtemps que j’ai exposé pour la dernière fois. J’ai toujours travaillé pour gagner ma vie, et c’est seulement depuis que je suis à la retraite que je peux me consacrer davantage à la peinture. Mais je suis très timide, et je suis incapable d’aller chercher des lieux où exposer.
J. R. : Je vous connais trop peu pour savoir si vous êtes timide. Mais réservé, c’est évident. Et ce qui est également évident, c’est que vous n’avez pas hérité de la violence légendaire de vos ancêtres espagnols. Vous semblez même la craindre, puisque vous vous défendez d’être érotique, vous vous défendez de mettre à mort vos taureaux. Vous donnez l’impression d’avoir choisi d’explorer un thème, mais de ne pas oser aller jusqu’au bout. C’est comme si vos personnages s’arrêtaient à la fin de la pièce… D’ailleurs, cette façon de travailler tellement arachnéenne qui donne à vos tableaux l’air d’être de la dentelle, est peut-être une façon de gagner du temps ?
A. P. : Je n’ai jamais pensé à cela. Et personne ne me l’avait jamais dit. Mais c’est bien possible. Peut-être qu’en effet, mes personnages s’arrêtent là, et moi je demande : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Pourtant, les enchaînements de tableaux sont pour moi évidents, chacun m’amène inévitablement au suivant, et même si je l’abandonne en route, j’y reviens plus tard pour le retrouver avec un esprit neuf et être bien sûr qu’à la fin, il est original !
CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.