Jeanine Rivais : Claudie Bastide, depuis quand créez-vous des chaises ?
Claudie Bastide : Depuis que j’ai eu une vision de chaises de personnages. Qui m’ont trotté dans la tête jusqu’à ce que je les réalise. Quand je regarde une chaise, je la transforme…
J. R. : Vous la détournez ?
C. B. : Oui et non, parce que l’on peut s’asseoir dessus. Elle doit être utilisable en tant que chaise. Ce principe est pour moi important. Tout le monde est assis à longueur de journée sur des chaises. La personne qui va s’asseoir sur les miennes l’aura d’abord choisie, et établira avec elle une relation très intime. S’asseyant sur la chaise avec son postérieur, ce sera encore plus intime. Cette relation me semble importante.
J. R. : Mais alors, peut-on penser que vous créez ces sièges par irrévérence, pour qu’en effet quelqu’un pose son derrière dessus et s’y sente pas forcément à l’aise ?
C. B. : Non. Pas du tout. Certes, cette idée m’amuse. Mais la démarche peut être très poétique comme celle qui s’intitule « Le condamné à regarder une pièce » ; très inconfortable comme la chaise pliable. En fait, le confort manque, parfois, mais ce n’ est pas mon problème. A la limite, j’irai peut-être un jour vers des chaises où il sera impossible de s’asseoir.
J. R. : Cela a déjà été fait : « Les chaises impossibles » de François Dumont.
C. B. : Oui, je sais. Je l’ai déjà fait aussi. Je travaille sur des chaises depuis sept ans, et je sens bien que je finirai par réaliser des objets inutilisables en tant que telles.
J. R. : En fait, vous utilisez des chaises artisanales, pré-faites ?
C. B. : Oui, elles sont toujours faites ailleurs. Je prends des chaises que je trouve dans des brocantes. Ensuite, je travaille dessus : je donne ou non du volume, j’ajoute du papier mâché pour des volumes ronds, du zinc ou du cuivre pour des volumes plats. Je transforme certaines parties…
J. R. : Mais vous n’avez jamais eu envie d’être créatrice de A jusqu’à Z ? Ne serait-ce pas plus créatif et plus générateur de fantaisies que de prendre de simples objets d’artisanat et de travailler dessus ?
C. B. : Non, cela ne m’intéresse pas. Je ne veux pas être confrontée à des problèmes techniques. Je veux quelque chose qui tienne bien sur ses quatre pieds. Ce qui m’intéresse, c’est ce que je vais mettre dessus.
J. R. : Justement, qu’est-ce que vous « allez mettre dessus » ? Comment déterminez-vous la nature de votre intervention ? Et comment faut-il « lire » ces interventions ?
. B. : Cela dépend des chaises. L’une est mon autoportrait, sur d’autres il faudra relever la dualité d’un personnage, etc.
J. R. : Etes-vous toujours narrative ? Ou bien avez-vous certaines interventions fantaisistes
C. B. : Fantaisistes, oui, sur les petites, parce que sur elles, « je parle », je discours sur l’art ou sur n’importe quoi, j’ai envie de m’amuser avec la « tête de l’art » (lard ?) ou la « tête de cochon ». Mais sur les grandes, je n’en ai pas envie. J’essaie d’aller plus en profondeur.
J. R. : Comment définissez-vous votre création ? Est-ce pour vous de l’artisanat revu ou de l’art ?
C. B. : C’est plutôt de l’art. Je me situe plutôt par rapport aux galeries en non par rapport aux foires d’artisanat.
J. R. : La plupart du temps, vos couleurs sont très neutres, très feutrées. Est-ce une volonté bien déterminée ?
C. B. : Non, il m’est arrivé d’avoir des couleurs vives. Mais je n’ai pas envie que la couleur prenne le dessus sur l’histoire. Qu’elle soit trop violente par rapport à ce que je dis. Au début, j’employais des couleurs très vives, mais au fur et à mesure de mon évolution, je tends vers leur adoucissement.
J. R. : Aimeriez-vous ajouter des précisions à ce que nous venons de dire ?
C. B. : J’ajouterai simplement que la chaise est pour moi un prétexte à « dire », à tout dire. Qu’on soit bien ou mal assis dessus m’est égal, mais c’est pour moi un point de départ important.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.