Jeanine Rivais : Pascale Kutner, est-ce que, l’expression créatrice d’« Art-Récup’ » vous convient ?
Pascale Kutner : Oui. Parce que travaille uniquement avec des matériaux de récupération.
J. R. : Votre création est toujours en trois dimensions, mais parfois murale, d’autres fois carrément dans l’espace. Comment décidez-vous de l’une ou l’autre forme ? Et puis, pourquoi éprouvez-vous le besoin de « pendre » vos personnages ?
P. K. : Je ne sais pas. L’idée m’est venue sans que j’y ai réfléchi. Mais j’aime bien que mes tableaux n’aient pas de fond, et que le mur en tienne lieu.
J. R. : Apparemment, vous récupérez même vos papiers. Et ce sont de vieux papiers. Où les trouvez-vous ?
P. K. : En fait, je les ai récupérés à la station de métro Temple, au moment où elle a été rénovée. Malheureusement, aujourd’hui, ma réserve commence à s’épuiser.
J. R. : Je vous poserai une question qui est récurrente concernant la plupart de vos collègues récupérateurs : les objets que vous utilisez sont vieux, usés, érodés. Est-ce primordial pour vous qu’ils aient cet aspect ? Qu’est-ce que cela apporte à vos œuvres ?
P. K. : Cela apporte une vie, une âme à ces objets ; quelque chose qui me parle plus que pour des objets neufs. D’ailleurs, pour les mêmes raisons, j’aime bien les vieux meubles, j’aime bien chiner…
J. R. : Quelles sont vos réflexions intimes quand vous prenez tel objet dont vous dites qu’il a une âme et que vous le détournez pour lui en donner une autre qui n’est pas de son fait ?
P. K. : Je n’ai pas d’état d’âme. Parfois, je les trouve très beaux, mais je préfère les faire revivre à ma façon, plutôt que de les laisser oubliés dans un coin !
J. R. : Qu’entendez-vous par « les faire revivre à ma façon » ? Expliquez-nous votre démarche ? Que doivent-ils « avoir », pour que vous sentiez la nécessité de les associer ?
P. K. : Déjà je les détourne de leur utilité première.
J’accumule tout ce qui m’intéresse. Par la suite, je vais piocher dans les caisses. Je pars d’un premier élément que je trouve suggestif. Et, à partir de lui, je vais broder autour de tous les objets.
J. R. : Avez-vous une idée préalable de ce que vous allez faire ? Ou bien l’objet créé arrive-t-il au fur et à mesure de vos associations ?
P. K. : Il arrive à mesure. Au début, je n’ai pas une idée précise, mais il suffit que je me penche sur mon matériel, et tout à coup, j’ai trouvé ! A partir de là, je vais tâtonner pour continuer.
J. R. : Mais quelles que soient les associations, ce sont tous des êtres humanoïdes ?
P. K. : Oui. Sauf au début où je faisais des lampes.
J. R. : Dans ces conditions, pourquoi toujours l’Homme ?
P. K. : Je ne sais pas. A un moment, j’avais créé des animaux, tout ce qui vit, qui bouge, des oiseaux, etc. Mais il est vrai qu’il y a plus d’êtres humains.
J. R. : Il me semble que, par moments vos œuvres sont très sophistiquées. Tandis que d’autres sont d’une patine beaucoup plus primitive, plus grossière. Pourquoi l’un est-il définitivement « brodé », « niellé », et l’autre pas ?
P. K. : C’est le matériau qui prévaut. Et puis, c’est le personnage qui me guide, selon qu’il est plus habillé, que sa représentation est plus élaborée. Mais je n’ai pas de ligne définitive. J’ai besoin de beaucoup de diversité, ajouter des collages… La facture peut être très brute ou plus fine, plus raffinée.
J. R. : Voulez-vous ajouter des précisions sur votre démarche ?
P. K. : C’est un redémarrage. Il y a longtemps que je n’avais pas exposé. Quant à mon travail, j’aime me sentir libre ; que ma démarche soit très spontanée.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.