MICHEL DURON

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Michel Duron, il n’est pas très original de dire que vous êtes en proie à l’obsession des allumettes ? Mais d’où vient-elle ?

          Michel Duron : Obsession, oui ! Elle me vient tout bêtement d’un collègue de travail qui fumait et mettait ses allumettes dans un cendrier tout près de moi. Ces allumettes tombaient n’importe comment et finissaient par former une sorte de mosaïque qui me faisait penser à des vitraux… C’est en somme une association plus ou moins consciente qui m’a amené là.

 

          J. R. : Il me semble que dans votre travail, nous avons deux aspects : le labyrinthe et en même temps, l’aspect plus figuratif. Mais les personnages en sont absents ?

     M. D. : En effet. Je réalise des compositions abstraites, parfois des fleurs, mais pas du tout des personnages. Du moins jusqu’à maintenant.

 

          J. R. : Donc, un monde complètement inhabité ?

          M. D. : Oui. La végétation est le seul élément qui m’intéresse…

 

          J. R. : Nous sommes, par conséquent, avant la naissance de l’Homme…

       M. D. : Je ne me situe même pas à ce niveau-là. J’ai commencé un peu par hasard à constituer des fleurs. Puis je me suis rendu compte que cette construction me plaisait.

 

      J. R. : Sur certains de vos tableaux, la présence d’un bouquet de fleurs est tout à fait évidente, mais sur un autre, faut-il voir un coq ?

        M. D. : Oui. C’était une de mes filles qui l’avait dessiné, et je l’ai réalisé. Mais il n’y a pas de volonté définie de choisir ce thème.

 

          J. R. : Votre travail n’est donc qu’une question de rythme ?

        M. D. : Oui. De l’improvisation. Beaucoup de fantaisie, au gré de mon humeur. Je me dis qu’elle va jouer sur mes gestes. La musique aussi… J’aime me surprendre. Revenir au bout de quelques heures vers mon tableau, et me dire que j’ai bien travaillé. Chaque fois, je suis « surpris » parce que je n’ai aucun plan préconçu, je me laisse complètement aller. Et c’est cela que je trouve bien.

 

          J. R. : Et comment définissez-vous votre travail : un puzzle, un labyrinthe comme je vous le suggérais à l’instant ?

        M. D. : De la dentelle d’allumettes, en couleurs. Pour moi, c’est de l’abstrait. Sans thème réel.

 

          J. R. : Sur certains tableaux, vous avez joué sur les surfaces, d’autres fois sur les lignes. Qu’est-ce qui détermine les différences de compositions ?

          M. D. : J’aimerais faire cela plus souvent : avoir des endroits très travaillés, très fouillés ; et à côté, en opposition, des surfaces de repos ; un contraste entre les aplats longuement composés et les endroits bien lisses. Je regarde souvent les œuvres de peintres qui ont un fond très travaillé et qui met en valeur quelque chose au milieu… C’est là que je voudrais en venir. Mais parfois, je trouve que mes tableaux sont un peu trop chargés. 

 

        J. R. : Qu’entendez-vous par « trop chargés », puisque votre but semble uniquement des plages ou des itinéraires de couleurs ?

          M. D. : Je veux dire qu’il n’y a pas de surfaces de repos, c’est tourmenté partout. Ou, alors, il y a des endroits où l’on peut se reposer, mais jamais tout à fait.

 

          J. R. : Sur vos surfaces ne jouent donc que le rythme et la couleur. Cependant, parfois, vous les limitez par des « barrières ». Vous entrez alors dans l’idée du chemin…

          M. D. : Du cadastre. Pour orner. Pour trouver la décoration. Ce sont parfois des idées toutes simples qui ont le plus d’allure. On veut tout codifier, mais on peut alors passer à côté de petites choses toutes simples mais qui sont belles. D’ailleurs, il m’arrive de revenir sur un passage qu’à un moment j’ai considéré comme satisfaisant. Je trouve alors une autre idée. Je ne voudrais surtout pas que mes œuvres deviennent répétitives. Je veux que chaque tableau ait une  spécificité ; pouvoir le dater et me dire plus tard : « Tiens, je voyais les choses comme ça à telle époque… » 

 

          J. R. : Pourtant, le temps ne semble pas exister « à votre montre ».

         M. D. : Mais j’aime bien situer les oeuvres, me souvenir de l’association faite à un moment donné entre le quotidien, la musique, etc. C’est pour moi justement une manière de voir le temps passer. 

        Ce qui m’intéresse aussi, c’est de voir les autres interpréter mon travail, voir un personnage couché là où je n’avais vu que des lignes ou des surfaces ; donner de l’ensemble  une signification à laquelle je n’avais pas pensé ;  partir du centre alors que j’avais réalisé telle composition en oblique, etc.

 

       J. R. : Vous n’avez jamais eu envie de changer de matériau, vous dégager en somme de l’obsession de l’allumette pour passer à de petits grains de sable ou autres… ?

        M. D. : Non. Parce que je n’ai encore jamais vu personne travailler avec des allumettes. Bien sûr, il y a ceux qui construisent avec, des cathédrales, etc. Mais jamais en couleurs. En plus, je les peins en les tenant entre deux doigts, une par une, au pinceau. C’est très économique, alors que l’huile coûte une fortune. Et cela me permet d’avoir des réserves d’allumettes roses, de bleues, etc. ; de les coller à ma guise. Je tenais, dès le début, à ce que cette création « soit mon truc, bien à moi » ! 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.