SLIMANE HOUALI

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Slimane Houali, je crois que vous êtes kabyle ? Expliquez-moi comment un montagnard devient un obsédé des objets de la mer ? 

          Slimane Houali : Quand vous avez gardé toute votre enfance des moutons en Kabylie, que vous quittez l’univers de la nature pour vous retrouver à Paris ; que vous essayez de retrouver cet univers laissé derrière vous, vous vous retranchez vers ce qui vous rapproche de vos origines.

J’ai toujours aimé les animaux, je crois que mon œuvre recrée ce monde. Et que j’ai trouvé les matériaux adéquats.

 

          J. R. : En somme, vous avez repris votre bestiaire kabyle, l’aigle, le chien… Mais comment en êtes-vous venu à choisir pour les réaliser, des coquilles d’huîtres, de moules, etc. ?

          S. H. : Ce sont vraiment les matériaux qui ont le mieux servi mon imaginaire : quand vous êtes dans la campagne africaine, que vous marchez dans la brousse, les couleurs sont apaisantes, dans des nuances de bruns et de gris. Je retrouve ces mêmes teintes apaisantes avec les huîtres.

 

             J. R. : J’allais vous demander pourquoi vous n’avez jamais essayé de rendre vos œuvres polychromes. Mais je suppose que c’est, justement, à cause de l’idée d’apaisement…

          S. H. : De plus, les huîtres et les moules ont des formes que l’on retrouve dans la végétation, elles ressemblent à des feuilles. Et parfois, à une plume. Et, avec leurs couleurs, elles conviennent bien pour faire des crocodiles, des chiens… Ce sont pour moi des matériaux nobles ; dont l’extérieur est très riche de couleurs. Avec les vernis, elles donnent des résultats remarquables. Avec un pinceau et des peintures, je ne pourrais jamais reproduire tout cela.

 

          J. R. : Je n’ai pas voulu suggérer que vous devriez peindre. J’ai seulement émis l’idée que vous auriez pu avoir envie de colorer vos animaux. Mais j’ai bien compris les motivations qui vous poussent à conserver les couleurs naturelles. Un travail polychrome aurait une toute autre connotation.

          S. H. : Il m’arrive de colorer certains animaux, des canards, par exemple. Si je faisais un merle, je serais obligé de le faire noir avec un bec jaune vif. C’est-à-dire que j’essaie de rester au plus près de la nature.

 

          J. R. : La réalisation de collages aussi minutieux et parfois assez volumineux doit être un vrai travail de patience ?

          S. H. : Oui, j’y passe parfois plusieurs mois, tout dépend de mon temps libre. Il me faut des colles très puissantes. Gratter le dos des coquillages, les brosser, les vernir avec un vernis marin transparent. Avec ce traitement, l’huître retrouve toutes ces veines, toutes ses belles nuances. Mais quand j’ai terminé, la mosaïque de couleurs est faite. Le choix de ce matériau m’est venu du fait que j’en ai immédiatement senti la concordance avec ce que j’avais à l’esprit. Ensuite, il m’a fallu aller plus loin : c’est parce que je suis dans l’imaginaire qu’une œuvre comme la mienne est de l’art. Si je collais de vraies plumes, ce ne serait pas de l’art. 

 

          J. R. : Vous voulez dire que vous avez créé une distance entre la réalité et votre conception de l’œuvre ?

          S. H. : Voilà. Ce que j’aime c’est imaginer, aller au-delà de la réalité. J’ai décidé de donner à mon travail le titre de « Huîtrisme ». Et je suis très heureux dans ce genre de création !

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.