SYLVAIN DEZ

Entretien avec JEANINE RIVAIS

********************

          Jeanine Rivais : Voulez-vous nous parler de vous, et nous dire comment vous en êtes venu à cette peinture tellement tourmentée ?

          Sylvain Dez : Je suis graphiste. J’ai longtemps travaillé dans la publicité. Parallèlement à ce travail, je peins depuis dix ans. J’ai commencé par des peintures un peu naïves. Et puis, j’ai lâché le monde de la publicité pour me consacrer à la peinture. Les œuvres qui sont devant nous sont le côté le plus singulier, le plus Art brut de mon travail. Mais j’ai aussi une autre peinture complètement différente. Cette partie singulière est ma première étape. Tout ce qui est viscéral, tout ce qu’il m’est nécessaire de sortir sur la toile dans un premier temps. C’est une création très libre. J’utilise de l’acrylique, une technique de coulure, de « dripping »…

 

          J. R. : Je ne dirai pas que «c’est très libre», cela me semble au contraire très élaboré. Il ne s’agit pas seulement de coulures. Il y a un travail de retour. Il me semble que vous revenez aux points cruciaux autour de la bouche, par exemple ; et je vois que toutes les bouches de vos personnages sont cousues : qui les empêche de parler, de crier ? De ce qui pourrait ressembler au côté abstrait des œuvres de Pollock, vous en venez à une expression extrêmement violente. J’ai vraiment pensé que votre travail relevait de l’Art-thérapie ! 

          S. D. : Cette liberté est en tout cas le sentiment que j’éprouve. 

 

          J. R. : Je suis en tout cas toute surprise de rencontrer quelqu’un qui sache parler de son travail, et qui ne semble pas présenter de troubles réels, de problèmes psychanalytiques que j’avais pressentis dans les oeuvres. Votre travail véhicule une telle violence psychologique que je trouve presque choquant de me dire qu’il ne s’agit-là que de l’apparence ! 

          S. D. : Il y a une certaine violence, en effet. Mais je parviens à la canaliser, et je réalise des œuvres plus douces, comme La Vache… Je peux faire des fleurs ou des abeilles. J’arrive, les jours où je suis un peu plus « trash », à faire intervenir de la matière, passer en trois dimensions… Mais les jours plus calmes, mes œuvres sont plus bucoliques…

 

          J. R. : Finalement, il semble que vous travailliez surtout avec votre tête. Si tel est le cas, comment vous rattachez-vous à l’Art singulier ?

        S. D. : J’essaie de réfléchir à ce que je fais ! En fait, je crois que je ne suis pas complètement art-brutiste, mais que je frise l’Art singulier. Néanmoins, je ne suis pas non plus « Art singulier » pur et dur, justement parce que j’essaie de comprendre ce que je fais. J’essaie de voir pourquoi je fais telle ou telle chose. Le fait de me questionner me permet d’avancer. Parce que je suis confronté à un vrai point d’interrogation : pourquoi certains jours, je fais d’une façon ; d’autres jours, de l’autre… Il y a toujours le mystère. 

   

         J. R. : Vous parliez tout à l’heure de « douceur », à propos de l’abeille. Et pourtant chaque élément du tableau est lourdement cerné de noir, ce qui me semble supprimer a priori toute douceur. Et votre personnage complètement désarticulé, déformé, cerné, sans aucune relâche, aucune liberté, ne semble pas non plus appeler un tel mot. Ses yeux sont immenses, dilatés comme ceux des drogués. Tout de même il me semble difficile d’admettre qu’une telle violence ne puisse être qu’esthétique ?

          S. D. : Il est vrai que malgré mes efforts, il reste toujours derrière quelque chose que je ne comprends pas. Mais je ne veux pas fouiller plus, c’est la peinture qui me permet de libérer tout ce qui est en moi ! 

          D’autant que j’ai autant besoin de l’autre forme d’expression qui me permet de réaliser des œuvres plus douces, plus évocatrices, de travailler pour un grand couturier. En fait, les deux me sont indispensables. Une fois que j’ai réussi à exprimer ce que je dis dans ces tableaux qui sont devant nous, je peux dessiner des fleurs. Ce qui, bien sûr, ne manque pas de me poser des questions sur ces différents degrés rencontrés dans ma peinture. Peut-être est-ce tout simplement un moyen de me rassurer ? Peut-être au fond, est-ce mon côté schizophrène qui m’amène à avoir ces deux types de peinture ? Qui sait ?

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.