PAUL-TOUSSAINT COSTANTINI

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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     Jeanine RIVAIS : Paul-Toussaint Costantini, je vous trouve occupé à broder. Est-ce pour vous une occupation habituelle ? Comment en êtes-vous venu à cette occupation qu’il est convenu de considérer comme féminine ? 

          Paul-Toussaint COSTANTINI : J’ai toujours cousu, brodé, crocheté, manipulé les machines qui me permettent ces occupations. 

 

          J.R. : Quelle est la relation entre ces travaux et vos dessins ?

          P-T. C. : L’un et l’autre sont un travail de patience, puisque que les dessins sont réalisés à la plume avec des encres de couleurs. Par contre, les dessins sont plus spontanés que la couture, parce que je ne fais au préalable qu’une très légère esquisse. Mais ensuite, comme pour la broderie, je suis très attentif aux jeux de couleurs. Et, avant que l’œuvre me paraisse terminée j’ai passé au moins trois couches de traits. Je termine toujours par les noirs. Et les couleurs sont toujours pures.

 

          J.R. : En définitive, les sous-couches sont donc plus importantes que la dernière couche ?

       P-T.C. : Oui. La dernière couche est toujours très légère, elle ne fait que renforcer les angles, ou placer des motifs supplémentaires. 

 

          J.R. :  Votre préoccupation principale est donc les corps, masculins ou féminins. Et s’ils sont masculins, vous les faites chevelus : on ne peut donc penser que ce soient des autoportraits ! (Paul-Toussaint Costantini est intégralement chauve !)

          P-T.C. : Je me suis beaucoup intéressé aux dessins de la Renaissance… Tout ce qui touche au Symbolisme pré-raphaélique. 

 

         J.R. : Vous placez toujours vos personnages au premier plan, tandis que la scène est fermée par un rideau, créant l’impression qu’ils se trouvent en un huis-clos. Et pourtant, Ils ne semblent jamais angoissés. Ils sont là, enfermés, mais cet enfermement ne les tracasse pas ?

          P-T.C. : Je dirai qu’il s’agit plutôt d’un théâtre. C’est en fait un autre monde. Une sorte de théâtre à l’italienne où se déroulent des événements qu’il faut découvrir au fur et à mesure. Un lieu dans lequel je fais intervenir de nombreuses créatures mythologiques. En fait, c’est bien un monde fictionnel, au sens où il s’agit de créatures qui n’existent pas, mais ce travail rejoint tout ce qui est dessin automatique, puisque, au départ il y a une idée, un motif, un personnage, une attitude, et que je compose au fur et à mesure de mon inspiration. 

 

          J.R. : Quand je regarde certains de vos dessins, il me semble que, plutôt qu’une esthétique du corps entier, ce sont les « nœuds » du corps qui vous intéressent. Et que vous traitez de la même façon les décors, les nuages par exemple, les architectures que vous décomposez… Pouvez-vous expliquer votre démarche ?

         P-T.C. : C’est tout à fait cela. En fait, (et c’est encore plus vrai pour certains dessins que je n’ai pas exposés ici et qui sont très violents) j’en arrive carrément à des mélanges de corps. J’aime beaucoup Hans Bellmer, ou certains Anglais comme les frères Beckmann à l’heure actuelle. Et dans leur travail, surtout celui sur les nœuds, les articulations. Et ce que j’aime beaucoup, c’est le jeu, le mouvement suspendu pourrait-on dire, qui consiste à « mélanger » les corps. Ce ne sont plus des hommes, ce ne sont plus des femmes, c’est un amalgame des deux jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un seul être…

 

          J.R. : Et pourquoi sont-ils parfois en suspension, comme torturés ?

          P-T.C. : Il s’agissait vraiment de dessin automatique. Je l’ai réalisé à une époque où j’étais déprimé. Au départ, ce dessin ne me convenait pas. Mais il a suffi d’ajouter les oiseaux noirs pour que soudain il prenne vie. De quoi ces oiseaux sont-ils signe, je l’ignore. Mais en tout cas, ils ont équilibré le dessin.

 

          J.R. : Peut-on dire que l’érotisme récurrent dans vos œuvres est très malsain ? Non pas pornographique, mais certainement pas épanoui ? Il semble que nous soyons, comme vous venez de le dire, dans une sorte de « mélange », mais qu’à aucun moment, il n’y ait la moindre complicité entre les protagonistes de cette relation…

          P-T.C. : Non : ce sont des acteurs dans un théâtre. Le mélange se fait justement par les nœuds et par les formes. Mais ils sont tous étrangers les uns aux autres. Même s’ils sont en contact étroit, ils « ne sont pas en relation ».

          Et cet érotisme est lié à la mort, incontestablement. J’aime beaucoup des écrivains comme Georges Bataille qui évoluent toujours à la vie/à la mort. J’aime aussi beaucoup le Marquis de Sade, et cela doit transparaître dans mes œuvres. Je ne vais pas jusqu’à la perversité, mais mon expression est effectivement très dure. Je me sens également proche de certains Surréalistes, comme Max Ernst, en particuliers ses tableaux où tout se mélange… 

 

          J.R. : Ce qui me paraît curieux, également, c’est la récurrence, dans les décors, de divers éléments apparemment tripaux. Nous avons évoqué les nuages, mais on les retrouve partout : ce sont des viscères ? Ou bien des animaux menaçants ?

         P-T.C. : Ce sont des serpents. Et dans mon esprit, ce sont des animaux protecteurs et fétiches. Pour moi, les seuls animaux menaçants sont les rats. Mais je n’en ai pas apporté, parce qu’ils sont vraiment très durs !

 

          J.R. : Finalement, vous vous êtes créé une mythologie rassurante, qui vous permet de vous sentir protégé par des animaux qui terrifient tout le monde ! Faut-il en déduire que vous n’êtes décidément pas un esprit  joyeux ?

         P-T.C. : Pas vraiment, en effet. C’est pourquoi mes dessins me sont précieux. Si je ne m’exprime pas à travers eux, je ne me sens pas bien. Je ne dirai pas qu’ils me sont une psychothérapie, mais qu’ils me permettent de rester serein.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.