FRANCIS CONESA

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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(L’artiste habite dans le Midi, et ne se déplace jamais. Ses œuvres sont présentées par une attachée de presse, Anne-Marie Galarza)

 

Jeanine Rivais : Le travail de cet artiste est très ambivalent, avec une touche masculine, mais il semble que chez lui, le côté féminin soit très fort. Ainsi, quand il peint un monstre qui paraît être la figure emblématique d’une sorte de manifestation rituelle, ce monstre a l’air en fait très féminin!

Anne-Marie Galarza : Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites. Je pense qu’il est dans son œuvre à la recherche de la femme.

 

J.R. : Avant de parler de cette œuvre, une chose me semble étrange : vous me dites « C’est un artiste brut » : comment peut-il avoir un agent ? Je trouve déjà bizarre qu’un artiste ait un agent, à plus forte raison un « artiste brut » !

A-M. G. :  Je le représente ici, parce que c’est un monsieur qui ne sort jamais de chez lui. Il est bourru, renfermé, il n’aime pas se retrouver en société, aller dans le monde, etc. Il est complètement silencieux dès qu’il sort de chez lui. Par contre, si quelqu’un vient chez lui, il est très vif de l’œil, de l’esprit… Il a eu une enfance, un vécu très difficile, dont il est prisonnier. Il peut, par moments, s’exprimer jusqu’à la violence et vit difficilement. 

 

J.R. : Pourtant cette souffrance ne transparaît pas dans son œuvre qui est très colorée, très vive. J’ajouterai qu’il est un remarquable coloriste. Son travail témoigne d’une grande harmonie, d’une grande paix. 

A-M. G. : Oui. Intérieurement, il est ainsi. C’est la vie qui lui semble difficile. C’est pourquoi il a tant de mal à communiquer avec les autres. 

Il a une quarantaine d’années, il est complètement autodidacte, et n’a commencé à peindre qu’en 1996. 

 

J.R. : Son travail est très personnel, avec ce personnage ambigu dont il est difficile de dire s’il a une tête de Christ ou d’explorateur qui a un oiseau entre les lunettes de son casque… En même temps, il a une bouche un peu vulgaire, mais il est entouré de fleurs qui témoignent vraisemblablement de sa quête de la beauté. C’est cette Vierge et cette surabondance de fleurs qui suggèrent une recherche de la paix, en même temps que de la Femme. Car, alors que les personnages féminins se perçoivent d’emblée, le seul personnage masculin qui figure sur cette cimaise est tout à fait énigmatique. 

A-M. G. : Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse. Et, puisque c’est la première fois que je montre le travail de cet artiste, je trouve réconfortant de voir son travail ainsi apprécié. 

 

J.R. : Apparemment, quelques toiles n’appartiennent pas à la même période. Et, avec ce Bacchus, il entre dans une mythologie qui me semble d’un esprit complètement différent des œuvres précédentes. Comme s’il n’était plus chez lui. Est-ce pour cette raison qu’il a, en dehors des raisins bien sûr, accumulé tant de symboles : Une femme versant du vin dans sa bouche, des vendangeurs reflétés dans ses yeux… En fait, tout se passe comme si, s’efforçant de rester dans la quotidienneté, il se laissait entraîner vers une recherche d’une certaine culture ? A moins qu’il n’essaie justement de ce sortir de ce quotidien ? Cette seconde hypothèse serait corroborée par la présence d’une licorne, ce personnage fabuleux, symbole de rêve et de poésie. Sans doute est-ce encore un moyen de sortir de ce quotidien abusif ?

Il faudrait également s’attarder sur cet autre tableau dont il est difficile d’affirmer si les personnages sont des bateleurs ou des gens dans un cimetière puisqu’on aperçoit des tombes au fond ?… Et peut-être est-ce une sorte de revanche inconsciente lorsqu’il met à une femme un œil à la place du sein, ou attribue à une autre quatre visages comme pour dénoncer son omniprésence ? 

A-M. G. : Ils sont en effet d’une autre époque mais, bien que plus oniriques, ils représentent tout à fait Francis Conesa.  La recherche de symboles est récurrente dans ses œuvres, en particulier des symboles égyptiens (Pyramides…) qu’il place la plupart du temps dans les yeux de ses personnages. Il y a aussi cette Reine, symbole du pouvoir et de l’autorité maternelle…

En fait, cette peinture lui permet de se libérer de sa souffrance. Elle est véritablement sa thérapie. Mais lui-même ne vous raconterait rien, il ne vous donnerait aucune clef.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.