ARTABO

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Artabo. Voilà un nom à consonance dure, très masculine. Vous vous habillez tout en noir, vous tirez vos cheveux et vous donnez une allure très dure. Pourquoi ?

          Artabo : J’aime les vêtements noirs ou blancs.

 

          J. R. : Votre travail semble suffisamment intellectuel pour que personne n’ait l’idée de le qualifier d’Art brut. Cependant, il présente un caractère obsessionnel comparable à celui de Lesage, par exemple. 

          A. : D’accord.

 

          J. R. : En même temps, il est proche des arabesques des moucharabiehs, de l’Art mauresque. 

          A. : Ce n’est pas complètement faux, mais ce n’est pas tout à fait exact. Ce sont plutôt des mosaïques que des moucharabiehs. Puisque la première fois où j’ai fait « du point », c’était en Iran. Et quand vous regardez la mosaïque iranienne, elle est toute petite et bleue. Cela m’a influencée.

 

          J. R. : La configuration de vos œuvres rappelle les écus des guerriers moyenâgeux.  Et vous y placez, de façon récurrente, le labyrinthe. 

          Ce qui peut ramener le spectateur à l’Afrique du Nord, c’est l’absence de personnages. En fait ils existent, mais ils sont si intimement liés au pointillisme qu’ils n’apparaissent pas d’emblée. Pourquoi gardez-vous cette distance par rapport au figuratif ?

          A. : Je ne peux pas vous l’expliquer parce que je  suis un peintre médiumnique. Un peintre médiumnique est celui qui reçoit des messages de l’au-delà et retranscrit sur la toile ce qu’il reçoit. Et il ne « sait » pas. Je ne peux donc pas expliquer, puisque ce n’est pas « moi ».

 

          J. R. : Ces œuvres appartiennent au passé. Ce sont des transcriptions d’influences reçues antérieurement. Pouvez-vous, dans ces conditions, expliquer ce que l’ « on vous a dit » pour que vous en veniez à ce labyrinthe ? 

          A. : Venons plutôt vers « la Sphère ». Elle a été conçue voici près de dix ans. Elle a d’abord été faite, et rien d’autre. Et puis, peut-être deux mois plus tard, « on m’a donné » le texte. Qui est très court. « Au commencement était le point. Puis apparut le divin ciel ». Vous avez le point en haut. « Le divin ciel est le pouvoir. Le pouvoir qui rompt l’équilibre. De place en place, de part en part, des ondes se propagèrent ». 

 

          J. R. : Comment recevez-vous ce message ? Le texte vous est-il directement dicté ?...

         A. : Non. C’est comme en voyance. Vous dites à votre interlocuteur : « Je vois un monsieur… ». La personne vous demande : « Est-il brun ou blond ? »… A ce moment-là, vous pouvez peaufiner le message reçu. Vous n’avez jamais que des images. Pas des mots.

 

          J. R. : Donc, quand vous me lisez ce texte, vous l’avez en fait  interprété ?

          A. : Voilà. C’est moi qui l’écris. Après. 

 

          J. R. : J’ignore si vous pouvez l’expliquer ? S’il vous est possible de définir comment vous passez d’un flash informel à ce texte ? 

          A. : C’est une sorte de structure de pensée qui arrive. Pas une phrase, une structure. Je me dis : « C’est une femme-serpent… qui est rapport avec le divin ciel… » Et après, je vais faire des phrases. Je vais poétiser. 

 

          J. R. : En somme, vous effectuez une re/création sur des impulsions que vous avez reçues?

          A. : Voilà. Je comprends ce qu’on m’a envoyé. 

          Ainsi, un autre tableau est resté quotidiennement sous mes yeux pensant dix ans, avec un petit texte que j’avais écrit. Et ce n’est qu’au bout de dix ans, que j’ai vu tout en haut du tableau, un ange qui descendait. Qui regardait la claire fontaine. Peut-être le voyez-vous ?

 

          J. R. : En fait, j’ai vu un oiseau…

         A. : Chacun peut y voir ce qu’il veut. Mais c’est moi l’artiste, et j’y ai vu un ange.  Donc, c’est devenu une cosmogonie, dont nous avons la suite, le regard de l’ange, l’ouverture vers le haut à gauche. Et voilà le tableau, « Le regard de l’Ange ». 

 

          J. R. : Pourtant, dans certains tableaux, vous revenez au pictogramme. Quelle différence existe-t-il entre les impulsions qui vous amènent à de minuscules personnages…

         A. : J’ai écrit une histoire, et si vous la lisez vous comprendrez mieux mon travail qui est très compliqué. 

 

          J. R. : En tout cas, je le trouve très provocateur. Au premier abord, il donne l’impression d’être très décoratif. Ensuite, en se rapprochant, on éprouve une sorte de bouleversement dans son propre monde. Parce que vous avez créé plusieurs mondes qui ne semblent reliés par rien. Comme des planètes qui sont dans le cosmos sans lien visible. En même temps, il en existe un. Le problème est de le trouver. 

          A. : De près, vous trouverez en effet un lien. Mais si vous vous reculez, vous en trouverez d’autres. C’est ce qui fait l’intérêt de mon travail. 

          Beaucoup de textes ont été écrits sur moi. Il sera plus simple que vous les lisiez. Tout est dit dans ces textes. 

 

          J. R. : Je ne doute pas de leur intérêt. Et je les lirai avec plaisir. Mais j’aimerais tout de même que vous précisiez quelques points : Je vous ai parlé de « personnages », et vous m’avez répondu « impulsion » du fait de votre médiumnité. Quand vous avez réalisé ces différents tableaux, quelle est la continuité ou la différence entre le fait qu’ils soient abstraits ou décoratifs ; ou plus humanoïdes. Est-ce la même chose pour vous d’avoir un ensemble de pointillés ou un humain, une scène narrative ? De quitter un pointillisme un peu anonyme pour parvenir à une anecdote plus personnalisée ? 

          A. : Je l’ignore encore. Peut-être le saurai-je un jour ? 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.