DANIEL ABEL

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Daniel Abel, Vous semblez avoir quitté « vos » livres, pour en venir à de vieilles  affiches ?

          Daniel Abel : A des objets. Je suis toujours dans la troisième dimension. Toujours la trouvaille, les associations un peu libres, guidées par un élément qui est ici l’affiche. J’ai trouvé, en particulier un registre de vaches avec des noms extraordinaires, Rubis, Origine, King-Kong, etc. Je brode un peu sur l’animal. J’ai ajouté le fer à cheval, une évocation du monde animal. Vermeer, et La Dentellière qui est axé sur l’écriture. Une plume, qui relie le tout. Et puis, tout en haut, un soldat, avec l’évocation des lieux où il a livré des batailles.

Je pars chaque fois d’un élément inducteur, et je suis ma pensée. Je prends aussi parfois des objets récupérés sur les plages. Je fais des associations, bois, ficelles, et j’aime bien inclure un personnage, comme s’il était au centre de son univers. Je passe de skates trouvés dans la rue à l’Art néo-zélandais… aborigène, peut-être. 

 

          J. R. : En fait, il me semble que vous procédez, sur chacun de vos tableaux, comme si vous suiviez une spirale ? Que vous partez d’un petit point central qui donne le thème, et qui va s’élargissant…

          D. A. : Oui. Peut-être pas une spirale, plutôt un rayonnement ; une analogie, comme disait Breton, dans toutes les directions. Des branches… Ce sont des associations très libres. 

 

          J. R. : Quand vous placez cette enfant en bleu…

          D. A. : Elle peut s’appeler du nom de la génisse, « Fragonnette », et c’est bien sûr de l’humour… Le père Castor, la grand-mère Tunisie… Ici Gaillarde… Il y a là toute une généalogie.

 

         J. R. : Pourquoi avez-vous choisi un nom de vache pris dans votre registre, pour l’attribuer à cette petite fille que vous avez choisie, et qui est mignonne comme tout ?

          D. A. : Tout simplement pour donner un visage aux noms. 

 

          J. R. : Mais il me semble que vous seriez allé plus loin en choisissant une vache. La littérature en fourmille, et la publicité, La Vache qui rit, par exemple…

             D. A. : On peut dire cela, bien sûr, mais je voulais personnifier ces noms d’animaux, leur donner un visage humain.

 

          J. R. : Ce genre de détournement qui n’est pas évident, n’est-il pas plutôt incongru, dans la mesure où vous avez choisi cette petite fille. Quelle est la relation ? Comment l’une vous amène-t-elle à l’autre ? Je peux bien comprendre le peigne à poux qui nous ramène à notre petite enfance où chacun de nous en a eu ! La femme nue qui nous ramène à la toilette… La fillette qui nous ramène à nos petits ciseaux de naguère, à nos jouets, etc. Mais pourquoi des noms de vaches ?

        D. A. : En personnifiant, je peux jouer. La généalogie de ces vaches était tout à fait curieuse. Elle était même un peu surréaliste. Mes rencontres avec les Surréalistes ont laissé des traces en moi. J’ai été frappé par cette succession de noms… Voilà tout simplement pourquoi j’ai choisi des noms de vaches !

          De même pour le tableau de La vache-araignée : Le père s’appelle Avy, et la mère Aster. Ensuite l’ascendance… Là encore j’ai personnifié, Aster devient une Bressane. Chaque fois, je me suis livré à toute une écriture…

 

          J. R. : L’idée des noms et de leur relation est évidemment amusante. Ainsi que celle des généalogies, même si elle existait réellement dans les élevages. En fait, vous avez aimé la géographie de ces arbres généalogiques, et vous avez absolument voulu les mettre ? Mais au lieu de choisir ce que tout le monde a dans la tête, peut-être un gros taureau juste primé, par exemple, aurait-il certes fait redondance, mais la proximité aurait été plus humoristique ?

          D. A. : Il est vrai que j’ai eu très envie d’utiliser ces registres que j’avais trouvés. Mais à partir d’eux, j’ai voulu justement créer une rupture entre le monde des vaches et le monde des gens. 

 

              J. R. : Qu’aimeriez-vous dire, en conclusion ?

          D. A. : Je citerai de nouveau Breton pour affirmer que j’essaie de créer un peu de merveilleux ; rester comme je l’ai dit dans le domaine de l’analogie ; transformer n’importe quel support ; le magnifier, en somme. 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.

 

: ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique RETOUR SUR LE PRINTEMPS DES SINGULIERS 2003.