FRANKLINE THYRARD

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LE MONDE RIBAUD DE FRANKLINE THYRARD, sculpteur et poète

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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          Ils ont trop bu, trop crié, trop baisé peut-être (la crudité du mot pouvant seule leur convenir, car il est difficile d’imaginer pour ces êtres perdus de boisson, éperdus de solitude, une quelconque complicité dans l’acte sexuel) ; ils sont désormais au-delà du plaisir illusoire de ces moments où ils se sont fui ! La tête appuyée sur un dossier de chaise, affalés sur la table d’une taverne, ou vautrés sous le robinet d’une barrique, ils dorment dans les miasmes de leurs beuveries ! Elles sont ribaudes, “filles de joie” ; elles ont prodigué tout au long de la nuit, les plaisirs fallacieux de leurs étreintes anonymes ; dévoilé au fond de leurs décolletés vertigineux, des seins fatigués, et sous le clinquant de leurs robes de strass retroussées, leurs cuisses lourdes et leurs bourrelets de cellulite. Leurs moues au maquillage liquéfié et les poches sous leurs yeux blanchis de fumée disent leur lassitude désabusée ; tandis que des hommes aux trognes ignobles tendent vers elles leurs mains avides...

          Ainsi, Frankline Thyrard met-elle en scène tout un monde interlope de soiffards et de noctambules. Ses sculptures murales, aux personnages découpés avec des précisions chirurgicales en puissants reliefs ; parmi des alambics, des tonneaux et des verres culbutés ; emmènent le spectateur déambuler dans la désespérance d’après-boire, au tréfonds de ses cours des miracles, de ses fumeries d’opium où la pipe remplace la bouteille ; mais où se conjugue la même solitude à couper au couteau !

 

          Plus loin encore dans la fantasmagorie : la scène s’ouvre sur des grottes perdues dans des bosquets finement ciselés ; se détachant sur de lourds nuages menaçants ; ornées de têtes de boucs et de patibulaires faciès humanoïdes ! Là, de hideuses sorcières, trémoussant pour la jubilation d’éventuels voyeurs, leurs larges fesses roses dénudées, se livrent à de très sacrilèges sabbats, autour de feux où se consume la Croix...

          Car toutes les oeuvres de Frankline Thyrard, conteuse joviale sans être épisodique ; artiste sans détour ; aimant la vraie gentillesse et détestant la fausse charité chrétienne ; croyante  impatiente de prouver qu’elle ne l’est pas... ses oeuvres donc, “parlent” de transgressions, de tabous à grignoter, de coutumes ataviques à détourner... Tout cela paradoxalement bon enfant, ludique et égrillard ; jamais méchant ni vicieux ; naturellement assumé ; conforté de truculents poèmes, “moue d’été / atrabile et branle-bas...”, lambeaux de phrases jouant sur les mots agglutinés pour leurs sonorités accolées plutôt que pour leur sens : Une création bambocharde et joyeuse, apitoyée parfois, emportée dans le grand rire sans retenue de l’artiste !

          Tout de même, de temps à autre, il faut bien qu’elle souffle un peu ! Alors, elle plonge en des peintures en relief, dans la littérature ou l’histoire ; vêt de somptueuses robes à crinolines  des dames empesées, observant de gentils minois populaires joliment irisés ; va en voisine rendre visite aux mânes de Madame de Sévigné ; envoie la “Toute Bonne” faner dans ses prairies bordées de fêtards en queue de pie, de juges hilares rendant la justice pour de grands dépendeurs d’andouilles ... accrochées à des ventres bedonnants... Tiens, tout cela n’a-t-il pas déjà été dit ?

          Bref, culture ou bas-fonds, Frankline Thyrard bouscule les convenances ; crée de toutes ses forces et de son imaginaire débridé, des histoires tellement désordonnées qu’elles finissent par sembler logiques ; est à son gré plasticienne ou littéraire, les deux expressions se complétant dans la plus parfaite hilarité et harmonie ! Et lorsqu’elle écrit sentencieusement sur une oeuvre “Le vin est tiré, il faut le boire”, le visiteur doit lire : A peine le vin tiré, est-il bu !

VOIR AUSSI Court texte de Jeanine Rivais : IVe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°67 de JANVIER 2000. Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS :"LE MONDE RIBAUD DE FRANKLINE THYRARD" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 2 Janvier 2003, IIIe FESTIVAL DE BANNE. Et aussi TEXTE COMPLET :  http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique : RETOUR SUR LE FESTIVAL DE BANNE 2002.