MARTIN LARTIGUE

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ARRETS SUR IMAGES, pour MARTIN LARTIGUE, peintre

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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          Lorsque le visiteur, venu voir les œuvres de Martin Lartigue, rencontre cet homme plutôt petit et fluet, à la moustache rase, les pouces pris dans les bretelles et l’air tout intimidé, il se dit : « Je connais cette tête, mais d’où ?… ». Et il a beau supputer, faire des recoupements, impossible de deviner… jusqu’au jour où la presse locale fait sa Une avec ce titre : « On a retrouvé le Petit Gibus ». Une grande vague de tendresse inonde alors ce visiteur, au souvenir de "la Guerre des Boutons", film d’Yves Robert, où un garçonnet de neuf ans, au milieu de ses copains, tous nus comme Adam afin que l’ « ennemi » du village voisin ne fasse pas une razzia sur les vêtements, le béret crânement posé au sommet de la tête, cachant à deux mains son petit zizi, s’exclamait au bord des larmes : « Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu ! » Toutes les scènes de ce film lui reviennent en foule, avec en toile de fond une époque révolue où la campagne sentait bon ; où l’ « école des filles » était séparée de l’ « école des garçons » ; et où un petit garçon incarnait comme nul autre n’aurait pu le faire, une façon matoise de tourner l’autorité paternelle qui s’affirmait alors à coups de gifles, et celle du curé, du maire et de l’instituteur, les trois autorités des villages de naguère !

          Quarante ans ont passé ! Après "Bébert et l’omnibus" et quelques autres rôles, Martin Lartigue a quitté le cinéma puis le théâtre ; et il est devenu un peintre de talent. Il faut dire que cet artiste est, décidément, « né coiffé » ! Petit-fils et fils de peintres, il a, de tout temps, été imprégné de peinture traditionnelle. Il a commencé lui-même à réaliser des natures mortes et des portraits, avant de se lancer dans une aventure picturale tout à fait narrative.

          Une peinture où tout se passe comme au cinéma, lorsque soudain l’opérateur effectue un arrêt sur image : les peintures de Martin Lartigue sont statiques, raides et lourdes, à l’instar de celles du Moyen-Age qu’il affectionne particulièrement, et sur lesquelles les personnages sont sans grâce et sans légèreté, figés pour l’éternité.

          Peinture narrative, donc, mais que narre-t-il, avec ses individus cernés de couleurs sombres ; stylisés à n’être plus que des silhouettes évocatrices ? Tout, en fait, ce qui touche au quotidien, à la religion, mais aussi aux mythes, aux contes et légendes… Non qu’il soit un artiste militant ; mais il se plaît à dénoncer des événements qui le perturbent, des anomalies qui l’inquiètent… jouer avec l’anatomie des êtres ("Dialogue de sourd"), décapitant ici une tête qui devient un tronc d’arbre, accrochant là un escargot dont la coquille a muté en ailes de moulin… détourner des symboles de vie ou de violence ("Histoire d’amour") ; en saisir d’autres géographiques ("Quatre coins"), psychologiques… accuser des rapports antithétiques, des paradoxes, comme ce personnage qui tient une fleur et un fusil, qui dit « Faites la paix » mais qui fait la guerre… étaler au grand jour la barbarie de certaines coutumes ancestrales ("Yelama")… jouer sur les mots entre titre et œuvre ("La fureur m’enivre") où un personnage est couché sur le dos, cachant sa figure sous son bras, dans une attitude si relaxée qu’il semble impossible de l’imaginer furieux ou de déterminer s’il est ivre… etc.

          Bref, Martin Lartigue est un peintre, incontestablement, doublé d’un conteur. Le peintre est un coloriste sachant choisir, selon le thème, les harmonies qui mettront le mieux en valeur chaque élément de son histoire. Conteur, il attache une grande importance au décor, introduisant une faune et une flore très personnelles, ajoutant des motifs qui pourraient passer pour des broderies ou pour ces ornementations traditionnelles que l’on trouve sur des céramiques anciennes… de sorte que ses « histoires » sont en même temps descriptives et très circonstanciées.

          Une œuvre attachante, « racontée » par un artiste quasi-autodidacte qui, à aucun moment n’essaie de forcer son talent ; qui ignore la perspective et assume avec un sourire ses éventuelles maladresses ; qui ne se soucie ni du temps ni des modes. Un homme à la hauteur de son œuvre très originale.

          En somme, le Petit Gibus a bien grandi !

VOIR AUSSI TEXTES DE JEANINE RIVAIS :  "ARRETS SUR IMAGE POUR MARTIN LARTIGUE". Et "ON A RETROUVE LE PETIT GIBUS : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°71 de JANVIER 2002, Ve FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY. Et "CINQ QUESTIONS A MARTIN LARTIGUE" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°75 Tome 1, Août 2004, VIe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY.  Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS BANNE 2002.