CHARLES SIMOND

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NATURE ET UTOPIES CHEZ CHARLES SIMOND

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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          Assurément, Charles Simond appartient à cette nouvelle génération qui n’en peut mais des rues bruyantes, de la pollution, des automobiles… et qui essaie de revenir à des valeurs plus authentiques que celles des villes. Non qu’il prône, à la manière des Hippies et de leurs fleurs, une philosophie de la douceur, du laxisme et du désintérêt de la société traditionnelle. Et si, depuis des décennies, son visage est comme les leurs mangé de barbe et perdu dans des cheveux indisciplinés, c’est simplement que, timide, ils lui procurent la fraction de seconde dont il a souvent besoin ; et surtout parce qu’il aime ce qui est en broussaille. Né dans un milieu très pauvre, et devenu enseignant à force de volonté, il est, à l’inverse de cette vague préoccupée essentiellement d’elle-même, gravement concerné par le sort de l’Humanité et possède un grand sens de la convivialité.... Néanmoins, il est un solitaire, un homme du silence et de la méditation : Réfugié sur sa lande ardéchoise,  il vit dans une profonde communion avec les saisons, un amour extrême de la nature, des cultures patrimoniales, et surtout la richesse intellectuelle et psychologique véhiculée par l’Art. L’Art qu’il voudrait désacraliser afin qu’il appartienne à tout le monde ; que la création s’avère possible pour chacun. Au moyen duquel il voudrait –bien qu’ayant la conscience intuitive qu’il ne peut s’agir-là que d’une utopie—changer le monde…

          Ces manières de penser ont généré chez Charles Simond une éthique de vie toute personnelle, qui a conditionné depuis toujours son éthique artistique : il a appris auprès d’un artisan à sculpter en respectant la nature du bois et de la pierre ; et développé un regard qui lui permet de trouver sans les chercher vraiment, au long de ses promenades, des branches, des cailloux… dont les formes, les teintes éveillent en lui des désirs d’associations, d’assemblages qui, petit à petit, deviendront des sculptures. Ainsi a-t-il de chaque œuvre une approche physique et sentimentale guidée par le rythme, la  couleur, la texture, les veines ou le parfait poli…  tous éléments qui créent en lui une harmonie essentielle, liée également à la  genèse et l’origine des matériaux : Il est capital pour lui, et la progression de sa création va en dépendre, que tel ami lui ait apporté telle poutre de châtaignier ; que tel voisin lui ait offert tel tronc de pêcher, etc. En conséquence, avant même de « dire », ses œuvres sont pour Charles Simond des histoires de cœur !

          La plupart du temps homomorphes, parfois animalières, l’artiste y respecte la forme primale du matériau qui lui « dicte » sa démarche : comme ce bois flotté qui évoque une tête de taureau et sur lequel ont suffi quelques discrets coups de gouge pour en ajouter une seconde. Comme "Métissage", ce triptyque né d’une alliance de bois et de roche : aux veinures et aux nœuds du mûrier, il ajoute un fragment de pierre dont la tranche éclatée révèle le brillant et la noblesse du minéral. La combinaison est telle que le bois devient lapidaire ; que la pierre se fait végétale en une totale osmose, un impressionnant mimétisme. Tout cela « venant » naturellement, car il n’est bien sûr pas question pour l’artiste de se complaire dans l’esthétisme ! Son plaisir naît d’avoir montré qu’à une pierre banale il a su donner une nouvelle intensité, une autre personnalité ; une façon différente d’accrocher la lumière ; qu’il y a en somme dans la nature des trésors de créations spontanées et qu’il suffit à l’homme d’un tout petit peu de sensibilité pour les mettre en évidence !

          Tout de même, Charles Simond intervient parfois plus fortement sur les matériaux. Généralement lorsqu’il est sous le coup d’une émotion intense : ce fut le cas pour des morceaux d’automobile jetés sur une décharge sauvage au milieu d’un beau paysage ; et qu’il récupéra, associa, pour en faire un Auto-portrait, comme si ce jeu de mots constituait une manière de vengeance écologiste, de dénonciation de la façon dont l’homme s’identifie momentanément à son véhicule et le rejette ensuite comme il se débarrasse de ses déchets domestiques ! 

          Parfois l’artiste va même jusqu’à imaginer un scénario autour de sa création : Partant d’une branche d’aulne blanc évocateur d’un sexe féminin de grande taille, il lui associe une petite branche phallique de bois rouge de pêcher, mouchetée de bruns. La disproportion est telle entre les deux « protagonistes » qu’immédiatement le spectateur ressent le manque de plénitude d’une telle relation ; perçoit quasi-douloureusement l’hiératisme, la domination de la « femme » face à la taille mesquine de l’ « homme ». Subséquemment, il sent comme une évidence qu’il s’agit bien là, ainsi que le dit le titre, ("Fantasme ou l’ « inaccessible » femme") d’un dérisoire désir. 

          Cette démarche est encore plus nette dans la "Rencontre de deux Vierges". Soucieux de ne pas dénaturer une branche de châtaignier, évoquant une Vierge à l’Enfant, et véritable merveille de couleurs, de veinures… Charles Simond s’est contenté de rehausser ces couleurs ; et, désireux de conforter l’impression virginale, il a –fait rarissime dans son œuvre—sculpté une seconde Vierge à l’Enfant, très réaliste celle-là. Et l’a unie à la première par un énorme rosaire aux grains d’olivier. Seulement, le « dit » de cette union a largement dépassé son intention : en dotant cette seconde Vierge d’une bouche aux commissures tombantes et aux grands yeux douloureux, le baroquisme de la statue polychrome éveille spontanément chez le spectateur d’ataviques représentations. Dès lors, son intérêt se concentre sur la Vierge réaliste qui, au lieu de corroborer la beauté naturelle de l’autre, en fait, par le truchement du rosaire/ligature, une sorte de croix !

          Qu’à cela ne tienne ! Charles Simond, accepte cette interprétation qui va au-delà de ses desseins ! Comme il accepte celles qui ne manquent pas de surgir à propos de ses peintures (montrées pour la première fois, après plusieurs décennies de travail solitaire dans le secret de son atelier) ; tantôt références humoristiques à de vieux amis (Cézanne, Delacroix…) ; tantôt dénonciation quasi-politique des aberrations culturelles qui endeuillent le monde (Femmes afghanes et Bouddhas de Bamyan…), etc.

        De sorte qu’une seule conclusion s’impose concernant cette œuvre tellement singulière : L’Homme, la Nature, l’Art y sont indissociables.  Avançant de concert afin d’emmener Charles Simond vers un absolu, SON absolu, SON rêve, SON utopie …

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "NATURE ET UTOPIES CHEZ CHARLES SIMOND" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA : N° 72 Tome 2 de Février 2003  : Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2002.