JEAN COLLIN

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 « DONNER ET RECEVOIR. MEMOIRE ET FIDELITE »

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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          Certes, il avait le talent. Mais il est probable que la seule conscience de cette qualité n’aurait jamais pu, voici quelque quarante ans, entraîner Jean Collin dans une aventure créatrice qui ne s’est, depuis, jamais démentie. Il fallait d’autres facteurs, d’autres qualités qui feraient avancer en une harmonie, une osmose totales, l’homme et l’artiste. Et le pédagogue.

          L’homme, en effet, a reçu de son grand-père Compagnon du Tour de France, une façon de considérer et respecter l’œuvre créée ; savoir à quel moment il y a accord parfait entre la main et le bois, entre l’œil et les veinures lisses ou les rugosités... L’artiste s’est toujours passionné pour une expression spontanée, directe. Il a de tous temps manifesté une ouverture de pensée libertaire, une créativité affranchie de toute idéologie. Farouchement indépendant, Jean Collin a longtemps travaillé dans une totale solitude, hors des sentiers battus ; exploré pour découvrir les possibilités de la matière, les outils les plus inadaptés, jusqu’à ce que cette pérégrination mentale autant que physique apporte à ses recherches des réponses inattendues… A chacune d’elles un peu plus exigeant pour lui-même… Prospectant néanmoins d’autres démarches, d’autres pistes, d’autres images : à peine l’homme et l’artiste s’étaient-ils imprégnés des plus vivaces, celles de l’Art brut encore balbutiantes, voilà le pédagogue décidé à « abattre les murs de sa classe » ; à communiquer à ses élèves la beauté, la richesse multiforme, la puissance rentrée et surtout la liberté d’expression de cette création qui s’offrait au monde ; insuffler à ces jeunes cerveaux son amour pour tout art à condition qu’il soit puissant, profond et sincère !

          Menant de front ces trois facettes de son caractère, Jean Collin a pu, avec bonheur, créer des œuvres fort originales. Des œuvres mémorielles, bas-reliefs dont l’expression est liée à sa passion pour l’Art roman. Des sculptures sur bois, pourtant, plutôt que sur pierre, à cause de la résistance, de l’odeur et de la texture particulières de ce matériau ; de la chaleur qui en émane et semble répondre à celle de la main fouisseuse. Sans oublier le pur plaisir de partir d’une planche anonyme et d’en faire émerger des visages, des corps, des arbres… donner un rythme, une harmonie à ces personnages qui apparaissent individuellement et deviennent au fur et à mesure de leur apparition, éléments d’un groupe ; parties prenantes d’une aventure.

          Une aventure à connotation religieuse, le plus souvent, en souvenir des moments de bonheur passés à regarder, aux tympans des églises ou sur les chapiteaux, vivre des saints, des martyrs et leurs tortionnaires, en résumé, les bons et les méchants ! Reprenant ces cohabitations dont le manichéisme a charmé sa vie, Jean Collin a néanmoins souvent détourné avec beaucoup d’humour la morale de ses narrations : telle cette auréole de saint qui devient une montgolfière ; tandis que la femme qui lui promet les étoiles est une sirène, d’où une combinaison très mystique de la terre, du ciel et de l’eau… Ou encore, admirée sur une miséricorde de stalle, cette femme que l’on fesse et dont le visage exprime une horrible grimace de souffrance ; alors que sur le bas-relief de l’artiste, son plaisir est si vif que la voilà en pâmoison… Tout cela, en des monochromies dont la seule variante est l’origine du bois renforcée par des cires. Et solidement encadré, comme si le sculpteur affirmait que chaque fois l’histoire est bien finie et qu’il faut au spectateur, passer à une autre. 

          Une autre qui semble commencer là où s’arrête la première, très prolixe, aux couleurs éclatantes, comme une contrepartie à la sobriété des formes, à la minutie évidente dans chaque trait de la gouge, à l’infinie patience et l’humilité suggérées par ces bas-reliefs monochromatiques : non plus des sculptures, mais des créations tout de même ; des boîtes remplies d’objets de récupération. Récupérées elles-mêmes lors de déballages de matériels fragiles qui ont laissé dans le polystyrène leur empreinte indélébile et généré ainsi pour l’artiste une contrainte formelle. Incluant dans ces sortes de niches, menus baigneurs, minuscules poupées, jetons, bobines, fleurs ou plumes, totems longilignes bigarrés… Transgressant leurs limites, barrant leurs contours, Jean Collin agence de petites compositions hétéroclites, baroques et ludiques. Puis, reprenant son sérieux, il se lance dans d’autres réceptacles –mais là, sans doute faudrait-il dire des reliquaires, à en juger par la tendresse, la nostalgie, la mélancolie véhiculées par les objets choisis. De petites choses du quotidien, avec des références familiales, festives, mortuaires… des images pieuses, surtout, et des photographies aux couleurs passées comme ces chromos d’antan portant deux amoureux entourés de violettes ou de pensées fanées. Mille petits riens qui font un coup au cœur et que l’artiste a, comme pour les protéger, soigneusement enfermés sous verres… Souvenirs, souvenirs des autres faits siens. Mémoire et fidélité.

           Ainsi, Jean Collin dévoile-t-il les arcanes de son univers, tantôt faisant preuve d’un besoin de création, à d’autres moments d’un souci de mémoire. Deux aspects d’une culture et d’une créativité ; mais une seule personnalité, délirante ou rigoureuse, spontanée ou sophistiquée : respectueuse mais absolument libre, en somme !

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "DONNER ET RECEVOIR. MEMOIRE ET FIDELITE": N° 72 Tome 2 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. Et aussi : www.rivaisjeanine.com/festivals/retour-sur-banne-2002/collin-jean/