EMMANUELLE RADZYNER

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DERRIERE LE MIROIR AVEC EMMANUELLE RADZYNER 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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          Etre d’une timidité rare et néanmoins être créatrice. Vouloir à tout prix se cacher, et pourtant exposer ses créations. S’abstenir autant que faire se peut de parler, et cependant réaliser des compositions qui sont essentiellement cérébrales et soulèveront de multiples questions. Tels sont les paradoxes –en fait « le » paradoxe qui régit la vie et l’œuvre d’Emmanuelle Radzyner. De sorte que chacun de ses actes ressemble à un coup d’audace, une victoire remportée sur elle-même. 

Longtemps, elle a travaillé le verre, en des associations originales avec d’autres matériaux tels le bois, le tissu… Avec beaucoup de talent, elle intégrait ces divers éléments en des constructions qui n’avaient besoin, pour être perçues, de la moindre explication. Mais, toujours déchirée entre le malaise de rester en retrait et son désir de « montrer », elle a modifié sa création. De nouveau, elle a été confrontée au dilemme de se faire violence en proposant au public une œuvre nouvelle, différente qui susciterait forcément de vives réactions : elle a réalisé de nombreux dessins ; mais elle les plaçait derrière des fils tendus, des filets de pêche ou des rideaux, de façon à ne jamais donner à voir directement. 

          Cependant, dans cette avancée certainement psychologiquement douloureuse, il est une constante qui agit comme un puissant moteur : Emmanuelle Radzyner est une intellectuelle sans cesse poussée vers des recherches plus conceptuelles, plus idéelles que celles évoquées ci-dessus : elle a donc choisi de se rapprocher de la nature. Non pas pour s’y plonger en des complicités métaphysiques, émotionnelles… simplement comme un tremplin vers une nouvelle réflexion  : Sa démarche est à la fois époustouflante de complication, et typique de ce va-et-vient mental évoqué ci-dessus. Car elle arrive avec deux objets qui vont lui permettre à la fois de sortir de son introversion et de rester soigneusement dissimulée : un cube aux faces/miroirs et un appareil photographique.

          Concevoir comme elle le fait l’utilisation du cube implique apparemment un esprit mathématique très poussé. Il n’est, pour s’en assurer que d’essayer (et ce n’est pas là un mince travail !) de résumer l’un des exemples qu’elle donne : Elle se trouve soudain dans un paysage où tout a été détruit par la tempête. Ayant repéré les éléments dont la dramaturgie l’intéresse, elle y place son cube. Immédiatement, ce cube semble disparaître, à tout le moins devenir transparent, parce que le paysage se reflète dans toutes les faces. Le jeu consiste donc à faire « exister » ce cube puisqu’il cache une partie de la scène ; mais en même temps à le rendre non-existant parce que le paysage s’intègre dedans ! Quel peut être, s’interroge le Candide, le but d’une telle démarche ? L’œil ne verrait qu’un panorama à une distance uniforme. Le miroir permet de remettre sur un plan ce qui, en fait, se trouve sur plusieurs qui vont se combiner. Le miroir rapproche donc d’Emmanuelle Radzyner ce qui appartient au lointain, et dans le même temps lui donne une vision différente, lui permet une analyse de l’image qu’elle est seule à posséder ! Et, qu’ayant fixée de façon éphémère sur ses miroirs, elle va assurer de façon pérenne sur la pellicule.

          Car, la deuxième phase de cette démarche dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas simple, est la photographie. Bien sûr, cachée derrière son objectif, l’artiste est sans peur, sereine. Mais cette sécurité ne saurait durer : Emmanuelle Radzyner sait qu’après les avoir photographiées, il lui faudra faire vivre ces images statiques. Elle s’est donc donné la possibilité de les associer au gré de sa fantaisie très organisée : en lignes, en figures géométriques, en des verticalités, des parallélismes, etc. La voilà donc à nu ? Pas du tout ! Ce travail de re/composition est immédiatement encadré, carrelé, encerclé ; au pire, surligné d’un sage labyrinthe. De sorte que rien, dans son environnement, ne sort jamais du cadre. Que cette vision structurée est rassurante. Que cette création sans a-coups, sans défi est également sans risques. 

          Alors, pourquoi, sinon par ce goût déjà reconnu de vivre gravement a-t-elle décidé récemment de quitter la tranquille immobilité de ses cubes et de ses miroirs et de se mettre de nouveau en danger en colorisant ses photographies ? N’est-ce pas parce qu’elle n’en peut plus de canaliser ses impressions ? Parce que le choix des couleurs les révélera, qu’elle ira de plus en plus vers quelque chose d’émotif qui, au lieu de se contenter de montrer son intellect dévoilera sa sensibilité ? Souhaitons à cette artiste talentueuse et si foncièrement lucide vis-à-vis d’elle-même d’illuminer sa vie en explosant au grand jour ; dire à chaque spectateur : « Je suis capable de voir beaucoup de choses ; ET VOUS, VOUS POUVEZ ENFIN ME VOIR » !

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS "DERRIERE LE MIROIR" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 2 DE FEVRIER 2003. Et ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS: Site : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS BIENNALE HORS-LES-NORMES DE LYON 2011.