MARTINE MIKAELIAN

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A LA RECHERCHE DE SON PASSE ROMPU 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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          Née en France dans une famille qui avait dû quitter sa Bulgarie natale, Martine Mikaélian semble avoir toujours présents, dans ses gênes peut-être, dans son cœur sûrement, une culture, des coutumes, un folklore, des pratiques religieuses… Auxquels s’ajoute un amour de l’art jamais démenti qui la ramène vers eux et qu’elle extériorise, consciemment ou non, dans ses œuvres peintes puisque, douée autant pour la danse, l’écriture ou la musique, elle a choisi pour s’exprimer, la peinture.

Martine Mikaélian à la recherche d’une Terre. Ce thème revient de façon récurrente sur ses toiles. Retrouvant, pour cette quête probablement douloureuse, la formulation picturale d’un petit enfant qui n’aurait plus de « chez lui » : tel est le cas lorsqu’elle propose trois maisons, conçues sans perspective, sans fioritures, réduites à leurs contours ; bâties chacune sur sa colline, au bout de trois routes montant raidement depuis un possible chemin (invisible en bas de la pente) jusqu’à la porte. Où sont les occupants de ces maisons perdues dans la neige ? Comme pour corroborer l’impossibilité pour eux d’accéder à ces refuges, l’artiste montre six personnages placés de dos au bas d’une autre toile  (trois couples, à en juger par l’alternance des vêtements rouges et bleus ; peut-être d’une même famille, vu la répétitivité de ces couleurs ?) : regardant  trois chemins qui partent de leurs pieds et pourraient les conduire aux trois habitations… Mais ces chemins sont presque effacés ; et les maisons sont lourdement raturées de traits de pinceaux rageurs ! Comme si elles avaient été détruites, rayées de la vie de ces gens ? Comme si elles n’étaient plus que des souvenirs dont la réalité commence à s’effacer ?

D’ailleurs, ces personnages sont-ils eux-mêmes vivants ? Sinon, pour qui sont les six cierges qui brûlent un peu plus loin ? A moins qu’il ne faille être plus optimiste ; et penser qu’ils sont là pour quelque fête, puisqu’ils sont placés au-dessus de trois jeunes filles en robes folkloriques : Martine Mikaélian en quête d’ataviques coutumes populaires, magnifiées dans son « souvenir » : Somptueuses robes brodées, couronnes pailletées et mains-fleurs, sont l’apanage des danseuses à cette exception près que l’artiste ne représente jamais le bas des corps : elle s’arrête à la ceinture, et l’œil du spectateur continue, intuitivement, le mouvement suggéré par les bustes. Corps tronqués, donc, sauf lorsqu’elle stylise ses danseuses en triangles tellement aigus qu’elles semblent filiformes, comme pour attester de la rapidité de leurs tournoiements. S’agit-il alors de farandoles initiatiques destinées à rendre hommage à ce qui, apparemment, serait trois cocons accolés en lévitation dans le ciel (des cocons, sources de vie ? Le ciel, lieu de spiritualité ?)… Et dans la même réflexion, sans doute faut-il penser qu’intervient l'hérédité, lorsque l’artiste choisit des rouges vifs, des bleus lumineux ressortant sur des jaune paille : hormis le noir, ce sont là les couleurs qui chantent dans la campagne profonde de tous pays.

          Il y a, par ailleurs, lieu de s’interroger sur l’importance du nombre trois dans les créations de Martine Mikaélian : trois maisons ; trois couples ; trois plateaux d’offrandes de nourriture, de chaque côté d’un personnage ; trois bustes sculpturaux séparés par trois fleurs ; trois danseuses les unes derrière les autres, les unes au-dessus des autres, côte à côte en une telle osmose qu’elles ne font plus qu’un seul corps… etc. Ce « trois » symbolise-t-il à la manière religieuse, une trinité qui serait donc omniprésente ? Ou simplement est-ce à travers lui que l’artiste trouve un équilibre qui la satisfasse, en ses associations de corps et de figures ?  

          Les couleurs, le ciel, la trinité, la maison, voilà les thèmes sous-jacents dans toutes les œuvres de Martine Mikaélian, peintre de la nostalgie. Bien sûr, ses tableaux sont lisibles isolément. Mais, comme les pièces d’un puzzle, lorsque le visiteur les observe ensemble, il trouve sur les unes des éléments qui explicitent les autres… alors, tout devient logique, tragiquement logique. Chaque pièce placée dans la bonne découpe apporte un éclairage nouveau sur cette œuvre qui est, finalement, une sorte d’ex-voto pour une vie sauvée, pour une famille épargnée, en même temps qu’un hymne à la vie ! Ensemble, elles prennent la force d’une saga.  En somme, Martine Mikaélian a peut-être choisi la peinture, mais ses œuvres sont résolument narratives, laissant s’exprimer l’écrivain. Et la façon dont elle fait vibrer les couleurs et chanter les rythmes laisse penser qu’après tout, la musicienne est également très présente.

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "MARTINE MIKAELIAN A LA RECHERCHE DE SON PASSE ROMPU" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA : N° 72 Tome 2 de Février 2003  : Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2003