CREATURES ET CONSTRUCTIONS DE CLAUDINE GUIBERT

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          Ils sont laids, ils sont tordus, bossus, trop grands, trop maigres, trop gros, déplumés… mais ils ont un charme fou, de par l'unité dans la laideur décidée par leur génitrice qui les veut tout près de ses glanes ! 

          En effet, Claudine Guibert intervient très peu sur les racines ou les morceaux de branches qu'elle découvre lors de ses pérégrinations campagnardes. Se contentant de les imbriquer, les indenter, les "intégrer" si complètement à l'épave originelle, que les éléments disparates forment un tout en complète harmonie, le nœud du bois, la branche burinée, déterminant à l'évidence le sens du travail et la destination de la glane.

         

          Car il y a toujours un "côté contact" : donner l'illusion qu'il a la possibilité de voler si c’est un insecte ou un oiseau, de rouler si c’est un véhicule, de battre des bras si c'est un humain, de frétiller de la queue ou sortir une longue langue en canne de parapluie  si c'est un chien… 

          Pour autant, rien d’anarchique dans les œuvres de cette artiste ; mais au contraire une grande réflexion architecturale qui la conduit d'un simple morceau de bois à une créature parfaitement reconnaissable, animale, humaine ou insecte ! Ainsi les met-elle en scène : non pas comme un entomologiste ou un naturaliste, non pas comme Esope ou La Fontaine, mais en leur faisant, avec trois fois rien, subir d’étranges métamorphoses.

          Le plus surprenant dans ses assemblages, est qu'elle laisse les matériaux bruts, naturels, n'intervenant jamais sur la couleur : parce que ce bois est gris, ce chien-ci est gris (avec tout de même –concession à la coquetterie ?- de minuscules coquillages blancs émaillant le "pelage" ; parce que ce bois est brun, ce chien-là est brun avec quelques taches plus claires. Etc. De sorte qu'à la fin, chaque partie de ses œuvres est devenue possession de l'artiste. Car il s'agit bien d'une prise de possession, une sorte de voyage initiatique vers ces bois trouvés, vers les lieux et les intempéries qui les ont modelés.

 

          Parfois, elle décide de socialiser ses personnages, ses passages écrits attestant alors que l'artiste devient militante : "Article 14 : Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays". Pour ce faire, elle construit des sortes de villages brinquebalants, murs de planches et toits d'ardoises ; installe un parquet sur lequel les protagonistes puissent tenir leurs conciliabules : deux possibilités s'offrent alors à la vue du spectateur : Parfois, ce sont des réunions animales d'origines différentes de par leurs anatomies : bizarre canard à roulettes, serpents, gigantesques oiseaux, tous debout prenant des allures humanoïdes. Un bestiaire où les hommes sont animalisés et les animaux humanisés ; où chacun, en somme, est mi-bête mi-humain. D'autres fois, il sont carrément humains, grands et tout petits, serrés au point de ne faire qu'un, sans doute dans un réflexe de protection. Réminiscences d'une réalité très contemporaine, Claudine Guibert choisit alors, sous des nuages de pierre, une planche rougie (du sang des disparus ? ) où des traînées de peinture blanchâtre figurent sans ambiguïté l'écume de la mer. Et, peut-être pour figurer leur état d'épuisement, leurs corps sont faits de branches couvertes de mousses et de lichens, tandis que leurs cheveux blancs sont d'algues séchées ou de coquillages décolorés ? 

 

          Finalement, est-ce un infini respect de tout ce qu'elle rapporte de ses glanes qui conduit Claudine Guibert à tant de sobriété ? Et faut-il y voir se profiler le problème de l’environnement, de l’écologie, de l'altruisme ?

Mais même si tout cela est à envisager, dans ce contexte où bois, pierres, végétaux occasionnels ou spirales métalliques prennent des allures inattendues, l’artiste est elle-même en continuelle métamorphose : "La clef de l’œuvre est là : tout ce qui vit, se transforme. Rien n’est jamais achevé…" (¹)

Jeanine RIVAIS

 

(¹) André Masson. Bestiaire.

 

TEXTE ECRIT SUITE AU XXXe FESTIVAL "BANN'ART, ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI"  DE BANNE 2017.