LES SCULPTURES METALLIQUES DE MARIE ARNAUD-TULLER

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          Depuis la nuit des temps, l'idée de la fragilité féminine est si bien ancrée dans les esprits, que le visiteur, en arrivant au stand de Marie Arnaud-Tuller, est tout surpris de découvrir ses lourdes sculptures métalliques ! 

          Créatrice d'Art-Récup', cette artiste autodidacte glane du métal de façon quasi-obsessionnelle, récupérant ressorts, outils campagnards, vieux vélos… les détournant donc de leur utilité originelle pour leur redonner une seconde vie, rapprochant ses trouvailles au gré de son imaginaire, mais préservant leur forme initiale… Ayant acquis au fil du temps la gestuelle du soudeur et la maîtrise de cette matière si dure, la voilà, bardée de cuir, de gants, de lunettes… prête au "combat", prête à s’attaquer aux morceaux de métal hétéroclites avec  la profonde complicité qui, depuis longtemps,  la lie au fer. Fascinée par l’idée-même de dureté du matériau, charmée par les rythmes formels, les morsures et les corrosions des éléments ! Bien décidée à intervenir sur le passage du temps ; à contrecarrer la nature en créant de nouvelles formes qui vivraient de nouveaux cycles : jouer les démiurges. En somme, être la plus forte. 

          Et laisser désormais le champ libre aux émotions nées des résistances différentes suivant les provenances, les cassures, les torsions... le vécu de l’objet qu’elle investit ; la force du feu qui prolonge sa main, impose son fantasme... 

          Choisissant d’instinct telle ferraille ; provoquant des associations inattendues d’objets les plus quotidiens et de trouvailles les plus nobles ; construisant des équilibres provisoires ; corrigeant des angles inexpressifs ; refusant des anarchies pour provoquer des horizontalités robustes, des verticalités élégantes, d’harmonieuses linéarités ; l’artiste exécutant à chaque nouvelle création, une sorte de ballet autour de ses métaux. Lequel ne prend fin qu’une fois la sculpture équilibrée en ronde-bosse ; l’espace investi avec la certitude que le vide autour de cette composition "existe" bien, que l'architecture instaurée est en harmonie avec son état d'esprit !

 

             Ainsi naissent humains et animaux ! 

          Humains, ils peuvent être ou ne pas être "complets" ; la tête pouvant être directement rattachée aux jambes raides et minces. Mais si le corps existe, il peut être triangulaire ou réduit à une simple bande métallique en Z.  Mais toujours, la tête est parfaitement ronde, les yeux exorbités, tout ronds ainsi que la bouche en O ; le nez se prolongeant très haut par-dessus la tête, ou servant de base aux sourcils broussailleux.

   Animaux, les scarabées, les araignées, les hérons, etc. exhibent leurs carapaces, leurs thorax ou leurs "plumes" dorées. Et, parfois, se glisse une bestiole étrange au bec/sécateur, à la tête/cloche, aux divers éléments du corps linéarisés ou poncturés, puissamment armés de pinces/crabes, et de multiples "plumes" caudales ! 

 

   Quelle est donc la démarche de Marie Arnaud-Tuller ? Etre réaliste ? Non, elle préfère des fantaisies qui "font penser à" telle personne, tel animal ou insecte, mais qui auront un nombre d'ailes, d'élytres, de pattes tout à fait aléatoire ! Respectant minutieusement sur "son" insecte, les courbes de celui qu'elle a en tête ; martelant les ailes pour y créer brillances et matités… Mais les découpes sont dépourvues de dentelures ; les corselets sont roidement tubulaires ; les antennes immobiles.

          Et puis, combinant de façon quasi-mathématique les éléments entre lesquels elle a ménagé de légers interstices, elle peut jouer avec la lumière de manière inattendue. Par ailleurs, elle parvient à donner à ses créatures, en dépit de l’extrême rigidité des petits morceaux métalliques, un sens du mouvement, une impression de fluidité, une surprenante souplesse des lignes

          Ainsi, la démarche humanoïde et zoomorphique de Marie Arnaud-Tuller a-t-elle généré une sorte d'ethnographie personnelle insolite ! S'il est vrai, comme le pensent des philosophes, que chaque individu possède en lui son propre bestiaire avec son animal de prédilection, voilà l'artiste perdue dans le caractère protéiforme de ses créations, bien empêchée de préciser quel est le sien ! Et s'il est vrai, également, que toute oeuvre a une valeur identitaire, alors, plaignons la sculptrice qui, dans son inconscient, doit se demander lequel brandir comme son étendard ! 

Jeanine RIVAIS

 

TEXTE ECRIT SUITE AU XXXe FESTIVAL "BANN'ART, ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI"  DE BANNE 2017.