PRAZ SUR ARLY : FESTIVAL 2003

UNE MANIFESTATION ARTISTIQUE, UN COUPLE FONDATEUR, UNE CONVIVIALITE

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CINQ QUESTIONS A COLETTE DEYME

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          Jeanine Rivais : Depuis quand peignez-vous ? Et quel a été votre itinéraire, pour en venir à la forme actuelle de votre création ?

          Colette Deyme : Cela remonte très loin, sans que je puisse déterminer une date ! Par contre, je n’ai pas toujours fait ce genre de peinture/délire, j’ai commencé par une peinture très classique. 

          Je crois que c’est le travail lui-même, une façon différente de regarder les choses qui m’a fait évoluer. Personne n’a la même opinion à vingt ans, et des décennies plus tard. Pas la même vision, pas la même façon d’apprécier les choses. Tout change. Je crois que d’une façon générale, j’aurais à 20 ans été incapable d’apprécier les peintures que j’apprécie maintenant. Il se fait une évolution, c’est le propre de la vie.

           Par contre, je ne sais pas pourquoi j’en suis venue à cette forme de peinture. Peut-être aurais-je pu en venir à une autre ? Je pense que tout, dans ma vie, m’a amenée là. Vers une façon de peindre la plus libre possible. Du moins j’essaie. J’essaie de trouver des idées que je n’ai pas apprises, d’aller vers des choses que je ne sais pas. Vers une forme de liberté totale, bien que j’ignore si cela peut exister ?

Il y a dans ma peinture beaucoup de jeu. Je crois que c’est par le jeu et par le travail que je suis venue à la peinture que je fais actuellement.  

 

          J. R. : Quelle définition donnez-vous de votre travail ?

         C. D. : Je n’ai aucune définition.

 

          J. R. : Je n’en crois rien. Vous m’avez prise à partie l’an dernier en disant que je n’avais pas défini toutes les facettes de votre création.

          C. D. : Non. Justement, je ne me définis pas. Si je dis que je recherche la liberté, ce n’est pas pour me définir, m’enfermer dans une définition. 

 

          J. R. : Alors, justement, vous pouvez essayer de cerner ce que vous entendez par « liberté » dans votre peinture ?

        C. D. : Je suis sûre d’une chose, c’est que je n’ai pas de message. Je n’ai pas une forme intellectuelle de peinture. Que ce soit par la technique, la forme, le fond, je désire être libre. Techniquement, je veux toucher à tout, tous les matériaux qui me tombent sous la main. Dans la forme, je veux essayer d’aller partout…

 

         J. R. : Qu’entendez-vous par « aller partout » ?

       C. D. : Tout prendre. C’est une forme de boulimie chez moi. Tout essayer. Je ne connais pas, en fait, ce « partout ». C’est un terme très vague. J’ai faim de tout. Je veux tout essayer. En conséquence, parfois je provoque un peu cette recherche de liberté par le jeu, par l’erreur. Il m’arrive souvent de repeindre par-dessus des toiles, je cherche. Je suis une chercheuse perpétuelle, en sachant que je ne trouverai peut-être jamais. Je cherche. 

        C’est la raison pour laquelle je ne peux donner aucune définition précise de ma peinture. J’ignore s’il y a une réponse. Je me pose souvent la question que vous posez, sans trouver de réponse. Je ne sais même pas dans quelle catégorie de créateurs me placer. On parle de Singuliers, mais pourquoi ? D’abord, qui a défini l’Art singulier ? 

 

          J. R. : La réponse, là, par contre, est simple ! Quand Dubuffet a interdit d’employer le terme « Art brut » pour des œuvres autres que celles de sa collection, il a fallu trouver un autre vocable. C’est Alain Bourbonnais qui a choisi « Art hors-les-normes ». Puis il y a eu, en 1978, l’exposition des « Singuliers de l’Art ». Et l’expression est devenue « Art singulier »… 

           C. D. : Ce n’est donc pas l’Art brut…

 

          J. R. : Ca peut l’être. Mais bien sûr, votre travail n’est pas de l’Art brut. D’ailleurs, le mot est devenu obsolète. Et si chacun respectait la volonté de Dubuffet, personne, en dehors de la Collection de Lausanne et l’Aracine, n’aurait le droit de l’employer. 

          C. D. : Dans ces conditions, que signifie « Art singulier » ? 

 

          J. R. : Tout est parti des « Singuliers de l’Art », cette exposition où Dubuffet avait prêté des œuvres de sa collection. Puis des créateurs « singuliers », bizarres, marginaux, qui ne se rattachaient à aucune mouvance, que l’on avait découverts au hasard de recherches dans la campagne, etc.

          C. D. : Voilà. On ne sait pas où les ranger, donc on les range dans cette mouvance. Alors, tout le monde est singulier ! 

 

          J. R. : Ou est supposé l’être. Mais quand on les place dans cette connotation historique d’Art singulier, le terme est synonyme d’Art hors-les-normes.

         C. D. : Dans ce cas-là, je pense qu’on peut me mettre dans l’Art singulier ? Mais c’est difficile pour un peintre d’être dans sa peinture et d’essayer de se définir. Je n’ai rien contre le fait d’être considérée comme appartenant à cette mouvance. Il y a des tas de gens qui y sont et que je respecte. Que j’admire. Si j’en fais partie… mais au fond, ce n’est pas à moi de le dire…

 

          J. R. : Si. Le problème est : Vous y sentez-vous bien, ou n’y êtes-vous que par raccroc ? Y êtes-vous par détermination ou parce que vous ne pouvez pas être ailleurs ? Toutes les éventualités peuvent s’envisager.

          C. D. : En effet. Je veux bien me situer dans l’Art singulier. Mais il y a un mouvement qui me séduit beaucoup ; en outre, j’aime beaucoup les écrits de Karel Appel : c’est le mouvement Cobra. Quelle différence y a-t-il entre le mouvement singulier et le mouvement Cobra : est-ce qu’on peut la définir ?

 

          J. R. : Le mouvement Cobra était beaucoup plus intellectuel que le mouvement Singulier. Même s’il a prôné toutes les formes spontanées de créations. Il a été beaucoup plus célèbre, a eu une influence plus vaste et diversifiée du fait que, par ses écrits, justement, il s’est opposé à l’art officiel. Car ses fondateurs ont beaucoup écrit sur la peinture. 

          C. D. : Justement, ce qu’a écrit Appel me convient.  Il disait entre autre que l’artiste ne « doit pas produire, il doit créer ». Je trouve cela très vrai. Cela devrait être vrai pour tout art. Chaque chose devrait être nouvelle. Presque détachée de ce que l’on a fait précédemment. Toujours ce renouvellement. Cette liberté que je défends, parce que l’on a trop tendance à nous enfermer dans des circuits, dans une image, à attendre de nous quelque chose de défini. Même le public peut nous enfermer dans une image. Qu’on nous laisse la liberté de « devenir »… 

 

          J. R. : Vous avez donc répondu, par vos interrogations,  à la question sur l’Art singulier. Passons à la suivante : Vous exposez pour la première fois à Praz-sur-Arly. Quelle définition donnez-vous de son Festival ?

          C. D. : J’ai du mal à définir les choses. Mais, d’après tout ce que j’ai vu, c’est du bon travail. Je respecte infiniment tout ce qui y est présenté. De plus, il y a un contact formidable entre nous. Je passe un bon moment de partage, de communication, d’échange. D’humour, parce que ce sont tous des gens qui ne se prennent pas au sérieux. 

        Je me sens bien avec eux, mais je ne défends pas spécialement l’Art singulier, je ne défends pas ce qu’il peut représenter. Nous travaillons. Nous travaillons tous. Nous présentons un travail, peut-être sans savoir où il se situe, comment cela va continuer, est-ce que c’est ou non une mode ? Je ne sais pas. Cela peut être une mode, une question de mode. De toutes façons, l’Art singulier a permis à plein de gens de s’exprimer. D’ailleurs Louis disait il y a deux jours, qu’il avait commencé par une peinture très classique, et qu’au début il avait honte de montrer ses dessins quand il en est venu à un travail plus libre. Ce que je pense, c’est que nos chemins ont sans doute été différents. Que pour certains ont été bénéfiques les contraintes d’une éducation. Mais qu’à d’autres, cette possibilité non guidée a été bénéfique. Autrefois, personne n’aurait accepté des œuvres créées aussi librement. Beaucoup de ces créateurs ont ouvert les portes, et nous nous sommes tous engouffrés dedans. A la limite, tout le monde peut peindre, tout le monde peut dessiner. C’est peut-être aussi la porte ouverte à tout et n’importe quoi ? Quand je parle de liberté, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de règles d’harmonies, de constructions…

 

          J. R. : D’imagination… 

         Venons-en à la question suivante : Quelqu’un a écrit que la création artistique est une mise en forme de sa douleur. Votre création est-elle conforme à cette définition ? Ou bien, n’est-elle, au contraire, que pur plaisir ?

        C. D. : Je ne pense pas, bien que parfois j’aie de fortes angoisses devant ma toile blanche. Le problème est que l’on veut tout mettre sur chaque toile, faire au mieux. Est-ce qu’effectivement, on peut considérer qu’il s’agit d’une « douleur » ? Je mets « douleur » entre guillemets, parce qu’il ne s’agit pas d’une souffrance insupportable ! Je prends l’exemple d’une toile pour le Salon d’Automne. Il est vrai qu’il faut présenter une seule toile, qu’il faut présenter la photo à une date dite. Pour ce Salon, on a envie de présenter la toile la plus grande, la plus aboutie, la plus représentative. Pour cette circonstance, je peux dire que j’ai souffert. C’était difficile, parce que je voulais donner le mieux de moi-même… Mais autrement, je ne peux pas dire que ma création soit une douleur.

          J. R. : Ce n’était pas tout à fait le sens de la phrase proposée. En fait, elle demande : Y a-t-il en vous une douleur si forte, que votre peinture permette de vous en libérer ?

          C. D. : Non. Absolument pas. Peut-être puis-je parler de souffrance, dans le sens que je viens d’exprimer. Mais autrement, peindre est une façon d’être, une façon de vivre, de respirer. On ne peint pas uniquement quand on pose de la peinture sur la toile. Je pense que peindre, c’est une façon de regarder, de voir. C’est ma façon d’être. 

 

          J. R. : Alors, est-elle «pur plaisir»?

         C. D. : Pur plaisir, je ne crois pas. Il faut parfois s’obliger à travailler. Cette façon d’être que je viens d’évoquer peut être à la fois plaisir et une foule d’autres choses. « Pur plaisir » serait presque dévalorisant. Je pense que c’est une nécessité, sans être une déchirure. 

 

 

          J. R. : Quels sont vos projets ?

        C. D. : Je pense que je vais poursuivre ce but vers la liberté. Chercher. M’étonner, me surprendre. Et puis, travailler, travailler, travailler… 

 

       Entretien réalisé le 28 juillet 2003.

 

 

DEYME COLETTE : VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "COLETTE DEYME EN QUETE DE LIBERTE" : N° 72 Tome  2  d'AOUT 2004 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. 

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2002

VOIR AUSSI : "CINQ QUESTIONS A…" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 75 Tome 1 d'AVRIL 2004. 

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS : RETOUR SUR PRAZ-SUR-ARLY 2003.