LES "ICONES" PSEUDO-RELIGIEUSES DE MARIE MARTINEZ

*****  

Combien d'artistes, de Millet à Dali, ou, plus près de nous, Cecilia Gimenez de terrifiante renommée, se sont-ils attaqués aux symboles religieux, soit en toute "bonne" FOI, soit pour expurger des mal-être, des haines, etc. Sans parler des parodies de croyances consistant, pour le commun des mortels, à acheter et adorer les saint-sulpiceries qui sévissent aux abords de tous les lieux de culte(s) et qui, finalement, fabriqués sans vergogne en séries, confinent au paganisme !? 

Où se situe, dans ces nuances, Marie Martinez dont l'œuvre consiste en une multitude de ces figures religieuses, au moyen desquelles elle désacralise depuis des années tous les tabous qu'une enfance passée dans un pensionnat de bonnes sœurs lui avait inculqués ? Une chose est avérée : elle est l'auteure "raisonnée et déraisonnable" d'une figuration pseudo-mystique avec ses christs, ses curés, etc. provenant des bondieuseries qu'elle a glanées dans des vide-greniers ou des brocantes. Mais, par les interventions qu'elle pratique sur elles, son  art est complètement fictionnel. Réaliste néanmoins, car elle effectue sur ces symboles des ajouts qui les rendent proches d’une réalité qui la concerne. 

De quelle façon Marie Martinez intervient-elle pour détourner ces objets de "culte" ? Les formes originelles restent intouchées, les personnages usinés qu'elle se procure représentant très fidèlement ce que les rites religieux ont transmis depuis des siècles, à l'œil et à l'esprit du croyant ! Mais son Christ dévoile non un Sacré-Cœur, mais une bourse rouge. Laquelle est du même rouge que le nez, la barbe, les cheveux et les bandes de la tunique jaune ! 

Pourtant, il semble bien que son sujet favori soit la Vierge. Qu'elle soumet à de multiples épreuves : Drapée d'un voile écarlate, vêtue de la traditionnelle robe bleu azur, elle présente, comme le Fils, un Sacré-Cœur mais le sien est devenu une grenade en train d'exploser. Ses orbites sont creuses ; et son visage, ses mains et ses pieds sont des squelettes. A la fois Christ et Vierge, elle représente non la vie, mais la mort ! "La femme adultère", tout de blanc vêtue, a les yeux bandés et son ventre percé laisse s'écouler du sang : qui l'a ainsi blessée ?  Une autre encore, intitulée "Ainsi soit-il" a la bouche bâillonnée (fatalisme ? Cruauté ? Tout est dans le ton donné à la lecture de ce titre). Et une troisième, qui prie "Délivre-nous du mal", a les mains attachées par une lourde chaîne. D'où, là encore, un double sens : le mal est-il dans le fait que la chaîne l'emprisonne ? Ou la chaîne est-elle là parce que le mal est ailleurs ? : En tout cas, il s'agit bien de ne rien voir, ne rien dire, ne toucher à rien ! 

Marie Martinez aborde enfin le thème sociétal : son "Corbin" ne moque-t-il pas les médecins moyenâgeux qui se protégeaient des épidémies en se couvrant la tête d'un masque au long bec ? Que peut bien lire si attentivement son curé, pantalon baissé et cuisses découvertes au-dessus des bas, tranquillement assis sur une cuvette de cabinet ? Et qui veut effrayer son voisin, en affichant, pendue à un branche formant gibet, une "Mandragore", dont chacun connaît le mimétisme avec les formes humaines et les malédictions dont on la croit capable ?... 


Ainsi, les œuvres de Marie Martinez dénoncent-elles, avec une technique très sûre, le silence lourd d'interrogations dont son enfance a été jalonnée et que, malgré ses efforts, elle porte sans doute pour toujours tapies au fond de son cœur ? Pas de fioritures, pas d'effets de manche ! Sous des apparences austères, l’essentiel est là, dans ses créations ambivalentes, figées et néanmoins vivantes. Peu d'émotion étalée. Un soupçon de force. Une touche de mystère. Tout cela carrément exposé, mais sans acrimonie, sans agressivité, avec tout de même un doigt de provocation ! 

Des œuvres, en tout cas, qui font jubiler le visiteur "mal"-pensant, époustouflé de ce qu'elle a "osé" !  

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN JUIN 2015, APRES LE FESTIVAL DE MONTPELLIER, "SINGULIEREMENT VOTRE".