MAMAN, LES P'TITS BATEAUX…

OU JAN-FRANCOIS LUCCHI "PAYSAGISTE" DE L'INTIME

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Naïf. Fils et petit-fils de peintres et néanmoins autodidacte. De ce fait, il ne se préoccupe pas de perspective. Et le spectateur a devant lui un bateau traversant horizontalement le tableau ; un clocher à l'abri duquel un couple se jure fidélité... Car Jan-François Lucchi peint avec une infinie patience et une précision d’ethnographe, l’intimité de ses lieux (petites maisons trapues aux fenêtres fleuries, églises à dimensions humaines, "tapisseries" où courent médaillons et arabesques…) ; de façon à ce qu’ils suggèrent d’emblée un mode de vie sans sophistication, où les gens se connaissent et se parlent ; où les volets ne sont jamais clos ;  où le poisson aux nageoires/feuilles traverse les espaces/terres, tandis qu'une "abeille" à minuscule visage de fillette vole au-dessus d'un village implanté "sur" le bateau, à l'égal des fumées sortant des cheminées ! Les enfants volent, les oiseaux marchent, les poissons vont à la queue-leu-leu, les girafes ont la taille des petits enfants! 

Tout ce gentil monde s’active posément, se hâte lentement, se bécote, joue à la ronde, bavarde ou se promène… car l’artiste sait,  pour rendre avec une sorte de candeur enfantine cette impression de vie fourmillante, réduire les personnages à leurs lignes essentielles, simplifiant les visages, linéarisant les corps, pointillant les intervalles, mariant les couleurs…

Car il faut aussi parler des couleurs. Celles du ciel et de la mer, le bleu profond des longues journées d’été ; le violet pommelé des nuages. Celles enfin des vêtements monochromes ou tout au plus bicolores, vives sans être jamais criardes, jouant les unes des autres de façon à former de petites taches qui d’emblée conquièrent l’œil.

Et finalement, si attentif et tendre est le pinceau de l’artiste que chaque scène semble se dérouler dans une sorte d’écrin douillet bordé ici par des frises de petits cubes multicolores, là par des clôtures couvertes d'affiches; etc. 

Et de tout ce bien-être implicite, de cette évidente philosophie confirmant qu’il fait bon prendre son temps, se dégage une sorte de poésie du bonheur… Laquelle, parfois, glisse vers une fantasmagorie doucement onirique ; un clin d’œil léger comme celui de ce cœur devant lequel se tiennent par la main deux petits amoureux entourés de fleurs, si semblables à ceux de Peynet ! 


S'aimer, se bécoter, prendre le bateau et méditer à sa proue, profiter du grand soleil, monter dans sa décapotable pour partir ailleurs… n’est-ce pas là, vieux comme le monde, le désir de tout humain, a fortiori de tout créateur ? Alors, avec Jan-François Lucchi,  pas de souci des styles, des modes, des géographies et des temps, il fait bon entrer dans son monde, et rêver !

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN JUILLET 2015, APRES LE FESTIVAL DE MONTPELLIER, "SINGULIEREMENT VOTRE".