HOMOMORPHISME ET ZOOMORPHISME CHEZ EMMANUELLE DECK

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Après avoir longtemps baroudé parmi de multiples occupations (marionnettes, décors de théâtre…) ; puis venue à la sculpture, avoir expérimenté toutes sortes de matériaux (latex, résine…), Emmanuelle Deck a "rencontré" le grès chamotté. Et décidé de faire avec lui un bout de chemin. Qui s'est avéré une longue route puisque cette passion dure depuis quinze ans ! 


Et désormais, elle clame dans le grès la force et la sincérité de ses créations ; la diversité de ses techniques ; la communion irréfragable entre ses mains, le matériau qu'elle pétrit, son esprit, et ses fantasmes. 

La plupart du temps anthropomorphes ou animalières, ses œuvres sont conçues avec un grand souci d'exactitude (les rides sur le visage de l'homme attendant la pluie ; le sexe du singe…) et une précision quasi hyperréaliste des proportions. Usant sans artifices des matités de la terre brute, elle se laisse guider par ses émotions, part de ses sources d'inspiration, de ses intuitions, de petits moments fugaces surgis au hasard… pour en venir à des créations pleines de force et à la preuve que son imaginaire fantastico-quotidien est infini ! 

Tour à tour, elle travaille le grès chamotté seul, avec du métal ou du bois. Mais quelle que soit la combinaison, c'est le grès qui est le matériau "essentiel", les autres n'étant que des faire-valoir. Par exemple le gobelet du cracheur d'eau, le siège rudimentaire du "Petit bonze", les arceaux sans fioritures du "Chaos" sont en métal, dans ou sur lequel s'épanouissent les personnages. Pour le bois, il en va de même, les branches permettant au soulard "En goguettes" de s'y appuyer ; et à l'enfant de se cacher pour épier par les trous ; servant de perchoir au guetteur dans "Ne vois-tu rien venir ?" Etc.

Quant aux personnages de terre, ils sont plus vrais que vrais : le cracheur d'"H2O" avec ses lunettes au bout du nez et sa coiffure afro, a la mine réjouie de quelqu'un en train de jouer un bon tour à ses semblables ! "L'aventurier" avec son bob et sa cravate de travers jubile à l'idée de sortir enfin de son fauteuil en bois ; le "Sumo", appuyé sur ses deux poings et le derrière en l'air est prêt à foncer sur l'adversaire ; et "Le méditant" en position du lotus affiche sa sérénité ; tandis que la "Femme bleue" observe le désert de ses yeux dubitatifs. 

On pourrait ainsi continuer à l'infini, passant du drolatique à l'absurde, du lunaire aux regards interrogatifs… tous sentiments humains les plus simples, mais si justes, si réels que chacun pourrait s'y reconnaître.

Il serait de même possible d'épiloguer sur les animaux, de l'éléphanteau transportant "La Vieille", sa trompe flairant le sol, et sa queue en tire-bouchon ; au singe accroupi, mains en offrande, sexe bien en vue, affectant son air bonhomme, sans doute pour obtenir quelque gâterie… 

Et il faut en venir aux titres. Ils tiennent dans la galerie de personnages d'Emilie Deck, une importance capitale. Aucune fantaisie dans leur choix ; un unique mot pour un sujet unique, "La vieille", "Le méditant"… Comme si chacun était porteur d'un message essentiel au cas où le spectateur n'aurait pas compris que le personnage principal n'est pas l'éléphanteau mais la vieille ; pas le palmier mais l'homme offrant aux cieux son visage, "En attendant la pluie". Ce qui lui permet de centrer ses personnages sans se soucier de lieux géographiquement, historiquement, et temporellement définis.

D'autres fois, il s'agit d'inattendus jeux de mots, comme "La singesse" intitulant le singe. Par ce truchement, elle peut encore mieux dénoncer le dérisoire, sembler prendre de la distance, obliger le spectateur à s'amuser de ce décalage entre l'animal, et le sentiment que suscitera spontanément ce titre ! 

Par contre, jamais rien d'énigmatique, de flou. La plupart du temps, il y a redondance titre/tableau, l'un et l'autre facétieux, drolatiques, poétiques, sages, toujours EVIDENTS !…


Bref, l'œuvre d'Emmanuelle Deck est une longue suite de "scènes" rappelant à chacun qu'elle est profondément investie dans cette litanie d'individus qui les constituent. Une oeuvre tantôt gaie, tantôt sérieuse , toujours profondément concernée par les problèmes du monde. Et, même si quelques animaux peuplent son monde inattendu, sa préoccupation principale est l'humain. 

Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN JUIN 2015, APRES LE FESTIVAL DE MONTPELLIER, "SINGULIEREMENT VOTRE"