LES FANTASMAGORIES DE MARCELO CARPANETO CREATEUR DE MASQUES

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"Selon moi, ce qui caractérise une sculpture, c'est la manière dont on renonce à la forme solide et pleine. Les trous, les perforations éclairent la matière qui devient organique et ouverte. Ils sont toujours présents, et c'est là que la lumière passe". Germaine Richier


Marcelo Carpaneto est originaire d'Amérique du Sud. Sur ce continent furent exhumées certaines momies aux faciès hurlants, les griffures à l'intérieur des cercueils laissant supposer que les individus avaient été enterrés vivants. Ces événements ont-ils eu sur lui une influence ? Le poussant vers des créations de masques fantasmagoriques, saisissants, souvent effrayants, à tout le moins inquiétants ?

Non qu'il soit venu à eux spontanément : la sculpture sur pierre, divers modelages, des moulages sous toutes les formes ont jalonné un itinéraire qui l'a mené vers la terre. Itinéraire au long duquel la seule constante a été le travail de ses mains ! A-t-il, au cours de cette avancée, été préoccupé par le corps humain ? Une chose est avérée, c'est qu'il en est venu à se cantonner aux têtes. Et même qu'il les a remplacées par la symbolique des masques. 

Là encore, son aboutissement est hors normes :  loin de créer des masques longuement polis, lustrés, brillants, académiques en somme, il réalise des visages ou parties de visages statiques, portant une expression de tragique, mais de tragique au sens grec, grave sans être mélodramatique. Et semblant, de leurs orbites vides, dévisager le visiteur cloué de surprise devant eux. 

Car, outre le fait d'être privées de vue, ces créations sont en même temps privées de leur intégrité physique  : déchiquetés, crevassés, des lambeaux de "chairs" rugueuses pendent de part et d'autre des nez. Mais, si ces atrophies sont saisissantes, ce sont elles qui, paradoxalement, avec leurs creux et leurs reliefs, leurs superpositions partielles de matière, dialoguent avec la lumière ! Celle-ci linéarise l'objet dans l'espace. Organise le "jeu" entre vides et pleins.

Invariablement, la main du spectateur n'étant pas tentée de toucher la matière raboteuse, celui-ci conclut, à la seule impression visuelle, que ces œuvres sont en terre. Erreur ! La plupart sont des bronzes ! Et ce qui crée cette impression fausse, c'est que l'artiste a passé sur le métal des enduits "secrets" qui lui donnent la patine et la couleur de  l'argile ! 

Une autre évidence se fait jour: Qui dit masque, dit la plupart du temps objet destiné à cacher un visage, augmenter la distance entre sa vie intérieure et son activité extérieure, créer une personne superposée à la sienne. Se faire autre, en somme. Or, les masques de Marcelo Carpaneto sont importables, a fortiori injouables ! Bien que la matière soit étirée au maximum, que son épaisseur soit minimale, que les courbes faciales soient respectées, du fait de leur rugosité ils seraient une blessure pour le visage, et non un outil de transformation. Acceptant cette impossibilité, l'artiste en a profité pour faire muter ses visages : Pour nombre d'entre eux, le nez s'est allongé, épointé, les bajoues élargies : le "visage" est devenu  tête d'oiseau, de rapace souvent, accentuant le côté macabre de l'objet ; des cornes/ailes rigides confortant cette impression.  


Passant ainsi de l'humain à l'oiseau, mystifiant son visiteur en donnant au bronze la couleur de la terre, justifiant l'adage que "le beau peut être laid", Marcelo Carpaneto est sans conteste un concepteur personnel, dont les œuvres ont des propriétés fortes ; et dont le talent indiscutable se révèle par leur originalité ! 

                                                                    Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN JUIN 2015, APRES LE FESTIVAL DE MONTPELLIER, "SINGULIEREMENT VOTRE".