ARMANDE PIGNAT, peintre

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Armande Pignat, êtes-vous autodidacte ?

Armande Pignat : Non pas du tout ! J’ai commencé à peindre très tard. Souvent, ce que j’exprime, ce sont des réminiscences naturelles. Puis, lorsque le tableau est fini, je le reprends sur le ton de la dérision, comme cette « parodie d’Annonciation »… J’aime bien désacraliser les thèmes religieux. Dans ce sens, je suis, par exemple, retournée voir les tableaux de Giotto… Ensuite, je réfléchis pour savoir si je conserve le côté un peu grotesque ou dramatique, selon les versions, ou si je dois changer le sens du tableau. Mais tout cela, ce sont des histoires que je me raconte.

 

            JR. : Ce qui est remarquable, dans votre travail, c’est que chaque « histoire » est très pleine, avec une foule de détails…

            AP. : C’est un peu ce qui m’a amenée dans le monde des Singuliers.

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            JR. : Quand je vous ai parlé de l’univers de l’enfance, à propos de vos « histoires » peintes, vous m’avez répondu « plutôt le quotidien » : deux amoureux qui se séparent…

            AP. : Oui. Et quand je tire mon idée d’un roman ou d’une pièce, je suis toujours très heureuse de capter le sens ou la morale de l’histoire. Et je dois dire que, par exemple, l’idée de Sigismond, ce prince condamné à être éternellement enfermé, m’obsède un peu.

 

            JR. : En même temps, c’est un personnage « éternel », atemporel, le seul repère géographique étant le bord de la rivière.

            AP. : Oui. On peut le voir ainsi. Mais je trouve que mes femmes font toutes preuve d’une féminité excessive ? Tout cela, bien sûr, tient aux lectures que je fais a posteriori.

 

            JR. : Parfois, vous insérez un visage dans vos arbres, mais il me semble que, souvent, ils ne sont qu’un prétexte décoratif.

            AP. : Oui, c’est par un souci de composition. Je ne peux vraiment pas oublier mes études artistiques. Alors, pour moi, ce serait une erreur de ne faire que des visages dans les arbres. Mais toujours, la maison est une présence rassurante. Je dois d’abord représenter l’abri, le lieu sûr, et le tableau prend alors un autre sens…

 

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JR. : Vous pensez par exemple, à « Tristes Tropiques » ?...

            AP. : Oui, si l’on enlève la maison, le seul moyen d’échapper à la forêt serait ce minuscule bateau.

 

            JR. : En fait, face à vos œuvres, le spectateur ne peut pas se contenter de regarder le tableau, et de se dire que c’est ceci ou cela, il faut qu’il élabore sa propre histoire ?

            AP. : Oui. Et je trouve formidable que les gens se racontent une histoire parfois tout à fait différente de la mienne ; ou m’éclairent sur un point qui n’est pas évident pour moi !

            J’ai toujours aimé avoir chez moi des tableaux avec des personnages. Je pense qu’en les regardant, on peut toujours se raconter des histoires différentes. Les animer, les faire vivre.

            Longtemps, j’ai fait de l’abstrait matiériste. Et je me rends compte que je fuyais le figuratif. Mais j’ai récupéré beaucoup de choses…

 

            JR. : Justement, j’allais y venir.

            AP. : J’ai d’abord récupéré des toiles, des morceaux de toiles…

 

            JR. : Vous avez donc fait des collages ?

            AP. : Oui. Oui, des sortes de repentirs. Mais bientôt, je vais en manquer. Il faudra donc que je trouve un autre procédé pour avoir des fonds déjà suggestifs. Car, jusqu’à présent, le fond était empreint de colle, de carton, etc. Ce qui me donnait parfois des images subliminales.

 

            JR. : Vous voulez dire que les sous-couches changeaient complètement la nature de votre œuvre ?

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AP. : Oui. Je pense. Je verrai donc bientôt ce que cela donnera. D’autant que cela m’évitait l’angoisse de la toile nue !

 

            JR. : Dans l’ensemble, vos œuvres sont des peintures en deux dimensions. Mais vous allez tout de même dans une légère troisième dimension. Pourquoi éprouvez-vous le besoin de mettre certains éléments en relief ?

            AP. : C’est une constante dans mon travail. Car même lorsque je faisais de l’abstrait, je mettais beaucoup de reliefs. Je crois que j’ai une assurance vers le travail de la matière.

 

            JR. : Pourquoi, alors, ne vous êtes-vous pas lancée dans la sculpture ?

            AP. : Je n’en ai pas eu l’occasion. Il n’est pas dit que je ne le ferai pas un jour ! J’ai par contre beaucoup travaillé le textile. Et, là, j’ai trouvé nombre d’occasions de mettre des reliefs.

 

            JR. : Ces broderies que l’on voit sur certains de vos tableaux, sont des accumulations de peinture ?

            AP. : Non. Ce sont des amalgames de fils que j’ai entrecroisés sans aucune règle.

 

            JR. : Vous mettez beaucoup d’éléments qui sont souvent symboliques des contes : oiseaux, poissons, etc. Mais on ne trouve jamais –du moins n’en ai-je pas vu- d’animaux qui soient habituellement les compagnons de l’homme, par exemple chiens, chevaux… Pourquoi seulement les oiseaux et les poissons ?

            AP. : Cela s’est imposé. Je ne vois pas du tout quelle pourrait être leur place ! Il arrive d’ailleurs que les poissons soient « en haut » et les oiseaux « en bas » !

 

       JR. : Ils ont donc hors de leur contexte habituel ? Tout à l’heure, vous avez parlé d’oiseaux qui pouvaient être menaçants. Mais autrement, sont-ils simplement là pour le décor, situés dans une campagne ou une situation quelconque ? Ou faut-il leur donner un autre sens ?

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            AP. : C’est un microcosme. Une tranche d’humanité, qui concerne les humains, la faune et la flore. Au départ, je faisais comme les enfants, qui mettent toujours le soleil. En tout cas, des étoiles, quelque chose de céleste. Le tableau est presque toujours structuré entre ciel et terre.

 

            JR. : Que vous a apporté le passage de l’abstrait au figuratif ?

            AP. : Cela m’a apporté énormément. Je suis maintenant très heureuse, très attachée à ces tableaux. Je crois que je m’y raconte complètement.

Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Salle d’Art actuel, le 14 mai 2010.