ANNE DUVAL, sculpteur sur fil de fer,

Entretien avec Jeanine Rivais.

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            Jeanine Rivais : Anne Duval, Vous travaillez le fil de fer, mais jamais seul : peut-on dire « le fil de fer habillé » ?

            Anne Duval : Oui. Habillé avec du lin et différents tissus. Avant, c’était davantage avec le papier, mais maintenant, ce sont les textiles.

 

            JR. : Et pourquoi avez-vous changé de matériau ?

            AD. : Parce que, dans le temps, je trouve que cela coïncide mieux.

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            JR. : J’avais pensé que, peut-être, le tissu étant très mou, le contraste avec la rigidité du fil de fer était plus évident ?

            AD. : J’ajouterai que j’ai toujours beaucoup aimé les tissus.

 

            JR. : On peut dire également que c’est l’humain, l’humain dans tous ses états ?

            AD. : Oui, ce sont souvent des petites scènes de la vie quotidienne, des images prises sur le vif, comme le chat et le chien en haut de l’échelle. D’autres fois, c’est un travail sur les émotions. Par exemple, l’été dernier, j’avais très peur de me jeter à l’eau. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je mette en scène cette peur, d’où la bouée. Et l’on peut voir un type en train de hurler, une femme avec un walkman collé sur les oreilles, etc.

 

            JR. : Il faut donc voir certaines de ces historiettes comme des triptyques, parce que, si je prends l’histoire de votre peur de l’eau, je lis : « J’y vais ou j’y vais pas ? ». Ensuite, je vous vois en train d’apprendre à nager en toute confiance. Enfin, je vous vois sauter d’un tremplin, en criant : « A la baille » !!!

            AD. : Oui, j’ai vraiment décidé de canaliser cette peur. Je me suis souvenue de ma petite enfance où mon père m’avait appris à nager. Et j’ai pu conjurer cette peur. Sculpter est donc un moyen de transformer mes émotions. Ensuite, j’ai fait des enfants qui glissent puis s’ébattent dans l’eau…

 

            JR. : Oui, mais êtes-vous passée de vous et votre peur, aux enfants qui, eux, sont en confiance ? Est-ce votre progression ? Ou faut-il le lire autrement ?

            AD. : En fait, c’est le même personnage d’un bout à l’autre.

Un autre exemple est parti du fait que cet hiver, j’avais froid intérieurement, et je sentais qu’il me fallait ranimer la flamme. Alors, j’ai « allumé un feu »…

            Parfois aussi, je joue avec les mots…

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JR. : Chaque fois, le titre corrobore le sentiment que vous avez voulu exprimer avec la petite sculpture ?

            AD. : Oui, j’aime bien qu’il y ait une relation entre les mots et la sculpture ; jouer avec les mots ; ajouter une petite note humoristique, comme par exemple « Toujours en retard » qui fait partie de moi, l’adulte qui fonce !

 

            JR. : En fait, ce sont presque toujours des petites scènes autobiographiques ?

            AD. : Oui. Pour l’instant. Mais peut-être cela changera-t-il ? Par exemple, j’ai réalisé un « Duel amoureux ». Au départ, je ne savais pas trop comment positionner mes personnages, et puis je me suis aperçue que, placés d’une certaine façon, cela devenait presque un duel. D’où une ambivalence entre les deux mots !

            Parfois, ce sont des petites scènes toutes simples, comme un petit bonhomme emporté par son chien ; parce que je joue beaucoup sur les équilibres et les déséquilibres. La tête dans les nuages, comme dans « Entre terre et ciel » !

            JR. : Cela implique que vous travailliez avec des fils assez rigides, et non pas extrêmement fins comme certaines de vos collègues ?

            AD. : Oui, parce que mes sculptures ne sont pas accrochées, elles doivent tenir debout.

 

            JR. : Vos personnages sont toujours habillés, ou semi vêtus, mais leurs membres ne sont jamais cachés. Et surtout ni les pieds, ni les mains. Ni les têtes, bien sûr. Pourquoi ce parti pris ?

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            AD. : Je ne sais pas trop. En fait, j’ai travaillé la terre pendant plusieurs années, et à un moment donné, je me suis mise à travailler dans le mouvement. Puis je suis passée au fil de fer, mais au début, je continuais à faire les têtes en terre.

 

            JR. : Si je les considère les uns après les autres, je constate que vos hommes sont presque tous chauves, tandis que vos femmes ont toutes des chevelures très opulentes. Y a-t-il une raison précise ?

            AD. : Avant, je faisais toujours un peu la même chose, mais je crois que cela tient à ma volonté d’être dans le mouvement, plutôt qu’à travailler l’expression des visages. Je fais la structure, et après je m’amuse à donner un mouvement au personnage.

 

            JR. : En fait, ce travail et cette manipulation vous ramènent à l’enfance ?

            AD. : Oui.

 

            JR. : Une autre différence suscitée par l’habillement tient au fait que le fil posé nu devant un mur crée des ombres linéaires. Tandis que vos parties habillées deviennent opaques. Ce travail d’ombres chinoises est chez vous faussé par le fait qu’ici vous avez une planche, là une robe épaisse, etc.

            AD. : Oui, mais ce qui me plaît, justement, ce sont ces contrastes.

 

            JR. : Par ailleurs, votre principal élément de récupération est le tissu, mais vous n’avez rien contre des récupérations aléatoires ?

            AD. : Si un élément me plaît, oui. Mais dans l’ensemble, il y a peu d’éléments récupérés. Je travaille avec une petite pince, je n’ai donc pas besoin de beaucoup d’objets. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt l’expression des émotions que la recherche de matériaux.

 

            JR. : Vous m’avez dit que vous avez des enfants, ils doivent s’amuser, à voir « naître » ces créations !

            AD. : Oui, ils aiment beaucoup !

 

            JR. : Et n’ont-ils pas envie d’en faire aussi ?

            AD. : Ils sont très sportifs, et je crois que c’est le fait de les voir courir, sauter, etc. qui me donne ce goût de mettre mes personnages en mouvement.

 

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JR. : L’esprit est enfantin, la source est familiale et filiale, la réalisation est maternelle : vous êtes donc une mère et une artiste heureuse ?

            AD. : Oui, tout à fait.

 

            JR. : Y a-t-il des questions que je ne vous ai pas posées et que vous auriez aimé entendre ? D’autres sujets que vous auriez voulu aborder ?

            AD. : Je voudrais parler de « La famille de cœur », un atelier animé par Sabrina Grüss, où j’ai travaillé pendant douze ans, et qui m’a permis une reconstruction intérieure. Cet atelier était ouvert aux patients et aux non patients. Moi, je venais de l’intérieur, et j’ai retrouvé là-bas un équilibre. Je n’étais pas construite sur mon désir. Et en arrivant là-bas, le fait de travailler la terre… cela a été le coup de foudre. J’ai senti que c’était très important pour moi… pour comprendre mes émotions, les transformer. Petit à petit, les transformer en positif. Comme du plomb qui est lourd et que l’on transformerait en quelque chose de léger !...

 

            Cet entretien a été réalisé à Banne, dans la Grotte du Roure, le 15 mai 2010.