REVES OU CAUCHEMARS, MAL-ETRE ET CREATIVITE CHEZ ANNE-MARIE GBINDOUN, peintre.

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gbindoun 1
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Comment imaginer qu'elle se soit lancée "par hasard" dans une telle création ? Qui ne tiendrait à rien dans sa vie ? Alors, il ne peut s'agir que de rêves tellement forts qu'ils lui ont mis le pinceau et le crayon à la main, pour l'"obliger" à les transcrire sur la toile ! Mais, ces rêves l'entraînent-ils vers de lointains cosmos où seraient en gestation des êtres indéfinissables ? Ou plutôt est-ce au moment du réveil qu'Anne-Marie Gbindoun prend conscience des créatures humanoïdes qui ont hanté son sommeil ? Tout, dans sa démarche, ressemble à ces aubes difficiles où l'on ne garde d'un cauchemar qu'un souvenir partiel ; où ne subsistent de l'"aventure nocturne" que des lambeaux. En vain, essaie-t-on de reconstituer une cohésion dans les entrelacements de chaque scène partielle ! En vain interroge-t-on sa mémoire pour en arracher les détails non-rémanents ! Seul perdure, impossible à effacer, le malaise !

C'est alors que l'artiste Anne-Marie Gbindoun prend le pas sur la rêveuse et tente de conjurer picturalement ces hantises fragmentaires ; "retrouver" un à un sur la toile, les chaînons manquants ; reconstituer à partir de ce non-sens le sens de ses rêves. Rude tâche à laquelle elle s'accroche depuis des décennies. Explorant toutes les pistes possibles. Sans jamais, à l'état de veille, malgré sa volonté créatrice, parvenir à faire "émerger" un authentique "personnage" "réaliste", à l'image de ceux qui côtoient ses jours.

Pourtant, elle confie à la toile de bien complexes alchimies : comme si, en arrière-plan de son esprit, flottait perpétuellement une sorte de Golem, auquel elle s'efforcerait –au sens littéral- de donner corps. Et, pour commencer, de "créer le magma" dans lequel il puisse "éclore" : elle superpose, pour ce faire, épaisseurs sur épaisseurs de peinture et de pastel, les appose, les enchevêtre longuement à grandes traînées du pinceau, à multiples embrouillaminis de la main, afin de créer des espaces harmonieux ou conflictuels. Ici, encore humides, ils vont se mêler en flaques informelles ; là, telle couleur va faire vibrer les autres ; ailleurs, des transparences provoquent des nuances et des granités inattendus… D'ajout en ajout, de geste en geste, l'artiste en vient, à force de superpositions irrégulières de sous-couches, à une véritable gangue lourde et chaleureuse, qui devient berceau où vont se lover les étranges personnages qui la troublent…

gbindoun 2
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Aucun élément de décor. Il semble que la main vienne d'elle-même fouir ces formes et ces couleurs préalables ; compose à petites touches incertaines une silhouette allusive, si fugitive qu'il faut apprendre à la reconnaître pour pouvoir la saisir. Asexuée, lorsqu'elle "apparaît" dans son entièreté. Toujours dotée d'yeux, parfois de bouche, parfois d'une arête plus claire suggérant la place du nez ; souvent d'épaules tombantes terminées par des bras incomplets, de hanches surplombant des amorces de jambes. C'est tout… De sorte qu'à la fin (ce mot convient-il bien pour ces êtres inachevés ?), l'œuvre semble un écrin hermétiquement clos et les personnages disséminés dans ce "non-lieu", transparaissent à la fois dans et sur le magma.

Aucune violence dans ces œuvres tellement denses. A moins que l'on appelle violence cette introversion absolue, ce sentiment profond de souffrance latente, de psychasthénie… Tout cela créé non pas, comme il est habituel, par l'expression, mais au contraire par la non-expression, par toute cette humanité suspendue dans la gangue, par cette "absence" d'image. Et il faut saluer le grand talent d'Anne-Marie Gbindoun, son savoir-peindre et dessiner, son imaginaire mono-obsessionnel qui lui permettent de "dire" tant de choses avec du non-dit !

Le temps viendra-t-il, où elle n'aura plus besoin de ce sentiment d'incomplétude de ses créatures pour soulager le sien propre ? Où, ses rêves enfin réconciliés, elle pourra contempler de son esprit libéré, et de son cœur si puissamment investi, un authentique "humain" né de, et épanoui grâce à ses mains et son pinceau ? Attendons !

                                                                                                      Jeanine Rivais.

 

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MUSEE DE LA CREATION FRANCHE : 55 avenue du Général De Lattre De Tassigny, 33130 Bègles. Tél : 05.55.85.81.73.

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