TATIANA NIKOLAENKO, peintre et sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais.

Entretien traduit par Marie-Jeanne Vallès-Sotto.

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Jeanine Rivais : Tatiana Nikolaenko, vous êtes russe : d’où venez-vous ?

            Tatiana Nikolaenko : J’arrive de Saint-Pétersbourg.

 

            JR. : Y a-t-il longtemps que vous vivez en France ?

            TN. : Je ne vis pas en France, je vis à Saint-Pétersbourg.

 

            JR. : Mais comment êtes-vous arrivée à exposer en France ?

            TN. : Je suis l’amie de Marie, qui a rencontré Kaoline* et qui lui a parlé de mon travail de céramiste. C’est Kaoline qui m’a invitée à exposer ici.

 

 

       JR. : y a deux parties dans votre exposition : une partie qui ressemble à de la peinture ; et des sculptures. Cette première partie est-elle bien de la peinture ? Ou est-ce de l’encre de Chine ?

            TN. : Ce que j’aime, c’est travailler en noir et blanc, ou blanc et noir, comme vous préférez ; parce que, du noir au blanc, il y a des millions de nuances ! C’est bien de l’encre de Chine. Je les appelle des « graphismes ».

 

       JR. : Il me semble que, là encore, il y a deux parties, l’une que je pourrais qualifier de « maritime » ; et l’autre plus directement en relation avec « l’humain ». La partie « maritime » serait tout ce qui ressemble à des huîtres, à des poissons, des coquillages. Et l’autre partie qui serait par exemple, un corps déformé, à la fois oiseau et femme… 

            TN. : C’est d’ailleurs le titre de l’œuvre : « Femme-oiseau ».

 

            JR. : Saint-Pétersbourg n’est pas très loin de la Mer Baltique : est-ce cette situation géographique qui a influencé vos choix « ostréicoles » ?

            TN. : Oui, c’est bien la proximité de la mer…

 

            JR. : Pour chacune de vos œuvres, une première approche laisse penser qu’il s’agit bien d’huîtres. Mais si on s’approche, on s’aperçoit qu’il y a des yeux. Puis, un visage semble se détacher. Et finalement, ces yeux qui ont l’air de se détacher du visage, sont très impressionnants.

            TN. : Cette remarque m’émeut beaucoup, parce que j’ai un rêve depuis l’enfance, où je prends un train, et au moment où je sors, je vois des yeux qui me regardent, des yeux, des yeux ! Je fais ce rêve depuis que je suis toute petite ! Mais je n’ai pas forcément conscience de tout cela avant de peindre.

 

            JR. : Ce qui m’a vraiment impressionnée, en découvrant ses œuvres, c’est ce sentiment d’une infinité d’yeux en train de me regarder ! 

            TN. : Je suis très contente, parce que c’est très exactement ce que j’ai voulu créer comme impression !

 

       JR. : Et ce n’est qu’après cette sensation due aux yeux, que j’en suis venue à trouver des visages.

            TN. : Je ne sais pas d’où ils viennent, ils apparaissent sans que je les cherche !

 

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JR. : Parfois, c’est un visage d’homme. Mais près de l’un d’eux, dépasse une tête de rat…

            TN. : Ce tableau s’intitule « Raspoutine ». Ce sont des personnages, ou des formes ; pas spécialement une tête d’animal.

 

            JR. : Parfois, vous êtes tout de même très figurative. Dans certains tableaux, il y a incontestablement l’oiseau, une tête, etc. Par contre, d’autres fois, vous êtes dans une expression beaucoup plus suggérée. Le spectateur ne fait que « deviner » ici des pieds, là un bec, etc. Est-ce pour vous une expression fantasmatique ? Ou bien avez-vous voulu construire une sorte d’animal fantasmagorique ?

            TN. : Je choisis seulement de donner quelques directions pour organiser mon propre conte.

 

            JR. : Vous évoluez donc à des degrés plus ou moins figuratifs ou plus ou moins imaginatifs dans chaque tableau. Par contre, comment réunissez-vous les deux tableaux qui représentent des espèces de chevaux à têtes quasi-humanoïdes, avec des oiseaux bien dessinés dans un cadre bien défini ? Et comment les réunissez-vous au reste de votre fantasmagorie ?

            TN. : C’est à partir de ces œuvres que j’ai commencé à comprendre que je donnais trop d’informations concrètes dans mes dessins. Il y a des gens qui n’ont pas envie de se creuser la tête pour comprendre un tableau, et des œuvres comme celles-ci leur conviennent. Pour d’autres, il suffit de leur donner une impulsion, et ils mettent leur propre histoire, leur propre subjectivité sur l’œuvre.

            Je trouve important que chacun donne à une œuvre son propre sens, et non pas le sens que j’aurais voulu lui donner. Que chaque regard donne un nouveau sens à l’œuvre.

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JR. : Donc, votre démarche a consisté à quitter peu à peu le réel pour venir dans la fantasmagorie ?

            TN. : Voilà. Parce que les dessins les plus réalistes datent de quelques années, jusqu’aux plus récents que nous venons d’évoquer.

 

            JR. : Venons-en à vos sculptures. Ce stabile que vous avez créé avec des personnages entièrement blancs, me semble le contrepoint de vos graphismes ? D’abord parce que les sculptures sont toutes blanches, et ensuite parce que, contrairement aux éléments pesants lourdement implantés au milieu de la page, elles sont suspendues au bout de fils de fer très fins. Comment considérez-vous ces deux parties l’une par rapport à l’autre ?

            TN. : Je pense au contraire que mes sculptures prolongent mes graphismes. De même qu’il y a un dessin sur la feuille blanche, les personnages blancs forment une sorte de dessin avec le laiton. Je parle de profondeur, de volume. Je n’ai apporté que des personnages, mais je fais aussi des poissons, des oiseaux…

 

       JR. : Mais, dans le cas de vos sculptures, les personnages sont très connotés. Ce sont de toute évidence des gens qui appartiennent à la noblesse russe.

            TN. : Mais tous sont des aristocrates, y compris les poissons ou les oiseaux !

 

            JR. : Dans ce cas, pourquoi vos graphismes sont-ils beaucoup plus gestuels, et non pas aussi sophistiqués, fignolés, aussi figuratifs  que vos sculptures ?

            TN. : Parce que dans mon travail, je suis partie de dessins figuratifs. Mais que j’en viens, comme nous l’avons dit, à des projections de plus en plus libres. Et je sens que cela devient de plus en plus simple, minimaliste, du point de vue de la technique. Naturellement, au niveau du sens, ce peut être moins simple. Mais pour la technique, cela est évident.

 

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JR. : Attention, non figuratif ne signifie pas simple !

         Je redis que, pour moi, je ne voyais pas ces deux démarches dans un prolongement, mais plutôt comme une antithèse : une démarche où l’approche doit se faire de façon subjective, et  l’autre où vous nous imposez une certaine beauté très classique.

         Il n’y a pas de fiction dans vos sculptures.

            TN. : A chaque fois, je dois trouver la limite où je dois m’arrêter : dire ou ne pas dire. Les petits personnages ont des attitudes, ils s’accrochent…

 

            JR. : Oui, c’est en ce sens que le visiteur a certes sa part de rêve, mais pas sa part d’imaginaire. Alors que sur les graphismes, il peut rêver à l’infini sur ce que vous avez voulu représenter.

            TN. : Je suis d’accord. La preuve en est que certaines sculptures sont des lampes, c’est-à-dire quelque chose de domestique !

 

            JR. : Oui, elles sont uniquement esthétiques, alors que, par la fantasmagorie, les graphismes sont forcément moins faciles d’accès.

            TN. : Beaucoup de gens, en voyant mes graphismes, pensent aux tests de Rorschach…

 

            JR. : Un peu, mais les résultats des tests de Rorschach sont de pur hasard, alors que vous intervenez tout de même sur les nuances de couleurs et de formes après vos projections !

            TN. : Oui, je prends une feuille de papier, je verse de l’encre, ou de l’encre de Chine, je secoue mon papier, et je vois tout de suite une image, je laisse le temps passer, je note les associations d’idées, et j’ajoute très peu de choses. Uniquement pour donner la direction. Puis j’ajoute de l’acrylique blanc…

            Ce que j’aime, c’est que le visiteur s’interroge sur ce que j’ai voulu dire, le voie, mais le voie à sa façon…

 

            JR. : Y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose et que je n’ai pas posées ? Et dans ce cas, qu’auriez-vous aimé que je vous demande, concernant votre travail ?

            TN. : Non, je ne crois pas, nous avons parlé de beaucoup de choses ! Et vos questions m’ont beaucoup surprise. Elles ont déjà créé des pistes pour mon travail à l’avenir.

 

* Voir entretien de Jeanine Rivais avec Kaoline, dans la même rubrique.

 

ENTRETIEN REALISE LE 31 MARS 2010 A LA GALERIE SENAC DE MEILHAN, A LA FLOTTE-EN-RE(Ile de Ré, France).

 

*** Mille mercis à Marie-France Vallès-Sotto qui a si gentiment et avec talent assuré la traduction de cet entretien.